Claude Ponti – Lui-même victime, il s’engage contre le harcèlement sexuel

Claude Ponti le 12 janvier aux éditions L’Ecole des loisirs, à Paris. (Vincent Leloup/Divergence pour le JDD)
Claude Ponti, tombé du nid
3 février 2018
Star des auteurs d’albums pour la jeunesse, Claude Ponti invente des poussins facétieux qui aident les enfants à grandir. Ses héros triomphent des épreuves, comme lui.
L’artiste a vengé le petit écolier. Sur le cliché en noir et blanc qui ouvre sa biographie autorisée*, Claude Ponti, sage raie sur le côté, bouche maussade, engoncé dans un gilet tricoté par son institutrice de mère, tient un pinceau de la main droite. Or le gamin est gaucher et, si on a pu le forcer à faire semblant le temps d’une séance photo, il ne se laissera pas contrarier. Jamais. « Plutôt crever. » Qu’importent les baffes administrées par le directeur de son établissement primaire des Vosges, le même qui plongeait certains élèves dans une auge glacée en plein hiver ou les enfermait à la cave dans le noir pour les punir ; qu’importe le redoublement imposé du CM1 pour cause d’écriture brouillonne. « Ils n’ont pas pu me faire changer de main », dit-il avec le sourire, doux et ferme, de qui a résisté à tout.

Lui-même victime, il s’engage contre le harcèlement sexuel

Un de ses compagnons imaginaires de l’époque a résisté au temps. Dans les années 1950, Claude Ponti avait commencé à dessiner, sur ses cahiers d’écolier, de petites créatures jaunes. Ces esquisses duveteuses, qui suscitaient déjà l’admiration des adultes, sont devenues les personnages fétiches de ses albums : des poussins à la mine réjouie, facétieux, qui bondissent d’une page à l’autre, se propulsant dans les airs pour embarquer le petit lecteur dans de folles aventures. « Ils ont une puissance de vie », apprécie leur créateur. Cette phrase résonne longtemps. Et s’il parlait aussi de lui ? « Claude » – comme l’appellent les nombreux enfants qui l’adulent –, « c’est le papa des poussins ». Le géniteur ne renie pas la filiation – cet esprit libre se garde de contester les interprétations même si lui-même semble plutôt tout droit sorti de l’œuf : « Quand je regarde cette vieille photo, je vois bien que j’ai une gueule de poussin. »

« Je sais ce que c’est qu’être une proie »

Ponti, 69 ans, auteur et illustrateur de plus de 70 albums, écoulés à 7,5 millions d’exemplaires en français, est l’un des plus grands noms de la littérature jeunesse. Chaque ouvrage, généralement publié à l’automne, est une surprise et « une œuvre en soi », « drôle et contemplative », « avec plusieurs registres de dessin », que l’on aime « conserver et regarder », selon les tendres mots de son amie la romancière Marie ­Desplechin. A chaque livraison, un personnage farceur continue de malmener le code-barres, mais le format change – grand, petit, large, étroit –, donnant des sueurs froides à l’imprimeur et aux parents qui n’arrivent pas à aligner ses bouquins sur les étagères. « Il est incadrable, poursuit sa complice. Cela va avec son talent exceptionnel : il sait ce qu’il veut. »
Dans les années 1960, le jeune lycéen des Vosges a échafaudé un plan de carrière précoce : fuir sa famille grâce aux crayons et aux pinceaux ; rire au nez de la tragédie, en bon disciple de Topor. « Ce qui m’a sauvé, à part le fait que je dessine, c’est la rage », explique le cadet d’une fratrie de trois garçons. Dans Les Pieds bleus**, un roman pour adultes paru en 1995, il s’était inventé un double de fiction pour raconter, à mots crus mais couverts, les torgnoles et les humiliations du paternel, un ouvrier d’origine italienne, la démission maternelle face aux coups, l’abandon durant un an et demi chez une tante, jusqu’à la naissance de son benjamin.

Aujourd’hui, persuadé d’assister à « un moment historique bouillonnant » – il relaie la dénonciation des violences sexuelles sur son compte Twitter –, Ponti est prêt à balancer droit dans les yeux : oui, le roman parlait bien de lui, et l’inceste dont il était question, il en a été victime. « Longtemps, c’était indicible, soupire-t-il. Enfin indisable. » Le néologisme en forme de pirouette d’ancien dyslexique ressemble à ceux qui secouent ses textes, émerveillant les petits, déroutant certains grands. Dans la conversation de tous les jours, de manière surprenante, Ponti jongle assez peu avec les mots.

Il aborde la maltraitance, la domination, la violence dans des livres pour enfants

Les souvenirs des viols commis par son grand-père maternel lui sont revenus à 20 ans, une fois quitté le foyer familial. A cette époque, il a compris pourquoi il était « bizarre » ; atteint de stress post-traumatique, conclurait-on aujourd’hui : obligé de repérer, en entrant dans une pièce, les portes de sortie ; allergique à la foule ; incapable de respirer en courant, jusqu’à s’effondrer en plein sprint, bouche cousue sur un terrain de rugby, parce que le bruit de l’air qui entre et sort, insoutenable, lui rappelait les halètements obscènes de son grand-père pendant les agressions. « J’ai une idée très précise de ce que c’est que de vivre dans la maison d’un homme qui peut vous atteindre à n’importe quel moment, détaille-t-il. Je sais ce que c’est qu’être une proie, et une proie permanente, donc il y a des choses que je comprends. »

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Les victimes d’amnésie traumatique au Sénat !


Les victimes d’amnésie traumatique au Sénat !
A tous et toutes, tout d’abord un immense merci pour tous vos messages d’encouragement et de soutien aujourd’hui. Vous étiez tous là en pensée en énergie lors de cette audition.

J’écris le récit de cette journée sur le blog de la « Génération qui parle » pour dire aussi un grand merci à Anne Lucie et à Andréa d’avoir relayé l’appel à témoins qui m’a permis de recueillir un maximum de témoignages remis ce jour aux sénateurs et qui elles-mêmes déploient une immense énergie pour notre combat collectif.

Symboliquement, pour moi cela a été un moment fort car j’ai traversé avec vous vos souffrances depuis que vous avez commencé à me confier vos histoires il y a deux semaines.

J’ai été donc auditionnée par le groupe de travail sur les infractions sexuelles mis en place par la Commission des lois, qui réunit tous les partis. Ce groupe planche notamment sur les délais de prescription. Il est présidé par Marie Mercier (LR) qui est médecin dans la vie.

Outre Marie Mercier, étaient présents François-Noël Buffet (LR), deux autres sénatrices ainsi que deux collaborateurs parlementaires.

J’ai commencé par faire une courte intervention sur notre combat pour l’introduction de l’amnésie traumatique dans la loi, rappelé les statistiques de l’étude de l’association Mémoire traumatique et victimologie du Dr Muriel Salmona : 40% des victimes de viols mineurs souffrent d’une amnésie traumatique qui peut durer jusqu’à plus de 40 ans après les faits.

Et puis j’ai parlé de vos témoignages en disant ceci : « il est rare qu’une victime d’amnésie traumatique s’exprime devant les élus de la République. A ce titre, j’ai eu à cœur de penser aux autres personnes qui n’avaient pas cette possibilité. J’ai donc lancé un appel à témoins début décembre sur Twitter pour recueillir un maximum de témoignages en effectuant un travail journalistique de vérification sur certains. J’espère que cela vous aidera à mieux appréhender, à travers ces histoires, ce phénomène neurologique complexe. Ces témoignages viennent de la France entière ».

Ils ont tout de suite faite part de leur intérêt, notamment Marie Mercier. Je pense qu’il est rare qu’ils aient de la matière « humaine » sur notre trouble.

J’ai ensuite poursuivi : « de façon globale, il ressort de ces récits (hommes et femmes confondus) une grande souffrance et un fort sentiment d’isolement. Une étonnante précision de leur mémoire traumatique parfois 50 ans après les faits (ainsi l’un de nos témoins septuagénaire violé par un prêtre qui au sortir de son amnésie d’un demi siècle a retrouvé une victime de ce prêtre décédé). A la fois une aspiration et une peur de la justice, une peur d’être taxé de folie. Et évidemment une unanimité pour introduire l’amnésie traumatique dans la loi en guise de reconnaissance de ces souffrances ».

Puis de manière informelle, j’ai parlé de certains d’entre vous. Natacha, tout juste sortie de l’amnésie traumatique à qui il ne reste qu’un an pour porter plainte. J’ai expliqué à quel point c’était compliqué lorsqu’on était envahi par les émotions de faire sereinement une démarche judiciaire. Evidemment, j’ai plaidé pour l’imprescriptibilité. J’ai également parlé de la jeune C. violée par le mari de sa nourrice à deux ans et sortie de l’amnésie à 16 ans.

Ils avaient une écoute très attentive et déjà informée du sujet puisqu’ils ont entendu la pionnière du sujet en France et notre référence à tous, la Dre Muriel Salmona. D’un coup aussi, l’amnésie traumatique prenait un visage humain car une victime leur parlait.

J’ai ensuite raconté mon histoire et mon parcours que vous connaissez. Et j’ai enfin déroulé un certain nombre d’arguments juridiques pour tenter de les convaincre, en insistant vraiment sur les immenses souffrances que traversaient nombre d’entre vous dans ce parcours.

Lors de l’audition qui a duré une heure, j’ai vraiment ressenti de l’écoute, de l’attention, de l’intérêt et de la bienveillance, ce qui est déjà un énorme progrès. Qui aurait cru qu’une victime d’amnésie traumatique soit ainsi entendue au Sénat il y a seulement quelques années ?

Leurs travaux vont se poursuivre avec de multiples auditions. Outre des experts, ils ont déjà entendu des magistrats, des enquêteurs, d’autres victimes de viol. Ils se sont déplacés sur le terrain dans des unités spécialisées. Le résultat de leur travail fera l’objet d’un rapport qui devrait normalement alimenter la matière du futur projet de loi sur les violences sexuelles en 2018.

Obtiendra-t-on gain de cause sur l’amnésie traumatique ? pour être sincère, rien n’est moins sûr. La question est malheureusement complexe à « traduire » juridiquement de façon solide mais nous allons tout faire pour continuer à nous battre en ce sens.

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