Je voulais représenter comment ça se passe dans ma tête depuis la tuerie de Tours. Mais je pense que ce que j’ai vécu ce jour là est de l’ordre de l’indicible, comme ce qui s’est passé pour la plus grande partie de mon passé.
Mais je me suis dis que malgré tout, y mettre une forme, dessiner le lieu, pourrait éventuellement m’aider à digérer, à diminuer, cette stupeur dans mon cerveau.
Mais je savais aussi que rien ne pourrait expliquer ni ce que j’ai ressenti ni ce que cela a provoqué en moi ce jour là, jour où il y a eu 4 morts et 7 blessés. Mais je me disais qu’une trace serait là et que ce n’est pas rien.
Comment avez-vous dessiné ?
Pour la réalisation de mon esquisse, avant de la commencer, j’ai fait un exercice du livre « gérer la dissociation d’origine traumatique » concernant l’ouïe.
Ensuite j’ai posé mon premier coup de crayon sur ma feuille, pour transcrire en premier ce que je ressens en moi, et c’est difficile.
J’ai donc représenté ce visage avec ce fusil sur la tête, car c’est ce que je ressens, ce fusil qui représente cet homme qui a tué tout ce qui se présentait devant lui et autour de lui.
Dans ce visage j’ai représenté ce rond, de couleur noire et jaune, ce qui pour moi représente le mot « cible », car c’était cela : j’étais une cible comme pour les autres personnes qui étaient là près de ce tueur.
Ensuite en dessous, j’ai représenté cette bombe avec dedans cette personne à l’envers. Cela veut signifier ce qui se passe dans ma tête : une bombe sur le point d’exploser à n’importe quel moment. Et cette situation me met dans tous mes états. Car je n’arrive pas à gérer cette stupeur en moi.
Ensuite j’ai continué mon dessin par la représentation de ce corps en repli à cause de la souffrance.
Puis j’ai terminé par la représentation de ce lieu où j’ai vu le tueur se déplacer, où moi j’étais présente avec mon garçon et ce gendarme à côté de moi avec les autres personnes.
J’étais là suspendue à cette arme, suspendue à la mort qui était au bout de celle-ci, au bout de cette main qui représentait le tueur.
Matériaux utilisés :
Dessin réalisé sur feuille de format de 50 x 70 cm à grain fin.
J’ai utilisé les couleurs aquarelles suivantes : rouge de cadmium foncé, noir d’ivoire, jaune citron
Finition crayons aquarelles.
Qu’avez-vous ressenti ?
Ce mot « mort » est là, toutes ces victimes qui ont perdue la vie ce jour là c’est terrible, ça me hante, J’ai vu la vie qui s’arrête, la personne qui s’effondre. Rien ne peut représenter cela. Il n’y a pas de mots pour enlever cela de mon cerveau. Pour moi, ce sont des victimes avec des visages, des familles, un travail, un nom, qui ont disparu d’un coup comme ça, car elles étaient présentes tout comme moi, ce jour là, sur ce boulevard. Ça fait mal.
En faisant ce geste j’essayais de me dire que cela peut représenter un début de pansement.
Il y avait cette lourdeur en moi : impossible de réfléchir, j”avais du mal à déplacer mes mains, c’était lourd, comme si tout pesait des tonnes ; j’avais cette sensation d’être figée et quand cette situation de paralysie disparaissait, les dissociations prenaient le relais.
On a envie de se balancer on a tellement les tripes et les boyaux à l’envers et le cerveau en rémoulade qu’on se recherche nous-même.
Que ressentez-vous face à ce dessin ?
Je n’arrive pas à exprimer : c’est emprisonné. Pourquoi je n’arrive pas à exprimer cette douleur en moi, je ressens c’est une bombe, mais comment la mettre en mot. Je ne sais pas, car peut-être comme je l’ai écrit c’est impossible.
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