10/ Caractéristiques du souvenir narratif autobiographique

Introduction
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Les récits autobiographiques se produisent lorsque l’individu a le sentiment d’être personnellement propriétaire du souvenir et des événements rapportés par le souvenir – cela s’applique à la fois à la PAN et à la PE. La mémoire narrative, ou mémoire épisodique (Tulving, 2002), a été décrite comme une « fonction de la personnalité vivante » (Schachtel, 1947, p. 3). La mémoire narrative autobiographique ajoute ainsi de la cohérence à notre personnalité au fil du temps et des contextes successifs.
Les souvenirs narratifs ont des caractéristiques particulières (Janet, 1928a ; Van der Kolk et Van der Hart, 1991). On peut les retrouver intentionnellement, et ils peuvent se déclencher sans référence particulière à des signaux situationnels. Ils véhiculent un récit pour la personne qui écoute, une histoire souple et adaptée à un auditoire particulier.
On racontera une anecdote personnelle dans une soirée tout à fait autrement qu’on ne la rapporterait, avec plus d’affects, à un ami proche. De temps en temps, les souvenirs sont réexaminés à partir de points de vue nouveaux. Les souvenirs narratifs sont verbaux et condensés : un long événement peut être raconté en un court moment. La mémoire narrative n’est certainement pas une bande vidéo des événements, elle est plutôt reconstructive par nature. Un souvenir reconstruit est condensé et symbolisé. Par exemple, une femme peut avoir un souvenir clair de son accouchement, mais elle ne revit pas les heures de travail, ni la douleur physique. Elle peut raconter l’histoire en un temps bref, sans y inclure chaque détail. Certaines PAN ne peuvent s’écarter d’un récit stéréotypé de ce qui leur est arrivé. Leur récit peut être extrêmement général, présenter d’étranges lacunes, avec une syntaxe, un ordre du récit et un usage des pronoms inhabituels. Elles peuvent rapporter d’horribles événements de façon dépersonnalisée, sans aucun affect.
Le souvenir narratif remplit des fonctions sociales et relationnelles. Il sert de lien entre les êtres humains ; c’est une façon pour l’individu de se faire connaître des autres, et c’est aussi une façon de faire des prises de conscience personnelles. Pour la PAN, l’isolement social et le manque de conscience de soi peuvent se produire en partie parce qu’il n’y a tout simplement pas de mots pour raconter l’histoire.
Janet (1919) notait qu’un souvenir autobiographique, « […] comme tous les phénomènes psychologiques, est une action : elle consiste essentiellement dans l’acte de raconter » (p. 272). La création d’un souvenir autobiographique se compose de deux types d’actions mentales (Janet, 1928a) : 1) perception, encodage, et stockage des actions mentales et comportementales pendant l’événement originel, et 2) rapport (récit) parallèle de ce qui s’est produit. Ce sont ces actions mentales qui assignent l’expérience et sa signification au souvenir : « Il arrive ceci et cela, et je ressens cela, et je pense cela, et cela veut dire ceci et cela pour moi en tant que personne, et cela affecte mon comportement de telle et telle façon. » Lorsqu’on se rappelle ses expériences personnelles, on s’engage plus ou moins dans ces deux types d’action mentale.


Tulving, E., (2002). Episodic memory: From mind to brain, Annual Review of Psychology,53, p. 1-25.
Schachtel, E.G., (1947). On memory and childhood amnesia. Psychiatry, 10, p. 1-26.<
Janet, Pierre, (1919). Les médications psychologiques.Paris, Flammarion ; Réed. Paris, l’Harmattan, 2005.
Janet, Pierre, (1928). L’évolution de la mémoire et de la notion du temps. Paris : A. Chabine. Réed ; Paris : L’harmattan, 2005.Van der Kolk,B.A., Van der Hart, Onno, (1991). The intrusive past: The flexibility of memory and the engraving of trauma. American Imago, 48, p. 425-454.


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Michelle – Le refuge

Il y a ce petit trou dans ma tête et ce petit trou noir, c’est mon refuge.
Quand je dis que ce petit trou est mon refuge, c’est mon évasion. Mon île perdue au milieu de nulle part où personne ne peut me joindre. Du moins c’est ce que j’en déduis.
Je ne sais pas trop si sur mon île je suis bien ou si je suis mal, j’y suis, point. Les lumières s’éteignent, le silence plat se fait, les angoisses disparaissent en un éclair.
Comment je m’y rends ? Je ne le sais plus. J’ai fait tant de fois ce trajet et pourtant, je ne sais toujours pas ce qui m’y mène.
Si je vous parle de ça, c’est qu’hier soir j’en ai pris conscience. Au fil de réflexions sur tout ce que j’ai lu ces derniers jours, en particulier le mémoire d’Emmanuelle, je me suis posée des tas de questions.
Cette mémoire que je cherche tant à retrouver, ces souvenirs de mon enfance perdus, je crois les avoir cachés dans ce petit trou noir.
Quand je n’aime pas ce qui se produit autour de moi, hop! Je m’y réfugie.
Je n’y avais pas porté attention avant, c’est devenu une seconde nature pour moi. Depuis toute petite je crois que j’y vais et j’en reviens dans le plus grand des naturels, sans même m’en rendre compte. On ne se rend pas toujours compte de mon absence et ensuite on se demande pourquoi je ne me souviens pas de ce qui s’est dit. Peu importe que ce soit un évènement du jour, il est dans mon petit trou noir. Du moins, c’est ce que j’en conclue.

À ce que j’ai compris, ce serait le stress qui causerait mes escapades. Je n’en sais rien, pour moi c’est tellement devenu de l’ordre de l’automatisme que je ne peux pas faire la différence entre une fois et l’autre. J’ai déjà pensé que j’étais lunatique, on me parle et je quand je décroche, on me ramène, agacé de cette fuite. C’est vrai que c’est agaçant, pour l’autre parce que t’as l’impression de ne pas être écouté et pour moi parce que je ne me souviens pas de ce qui s’est dit. En fait, ça m’arrange, je ne veux ni être là, ni entendre ce qui se dit.

La question que je me pose est, est-ce que c’est devenu si normal de le faire que j’en suis devenue à le faire tout le temps, peu importe les situations ?
Je sais que souvent je perds le fil, j’oublie des tas de choses, des détails de discussions, des informations… si je pouvais juste mieux gérer ces absences, du moins éviter de prendre la fuite au moindre prétexte.
Probable que l’oubli m’a sauvé la peau à maintes reprises et c’est bien ainsi après tout.


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