Je crois que le travail de Béatrice sur ce blog est un grand tournant dans sa vie et dans celles des personnes qui la suivent. Pour elle, la rencontre avec l’Art-Thérapie et Emmanuelle a été une impulsion pour sortir la tête de l’eau. Pour nous qui la suivons, j’imagine des remises en question sur nos pratiques professionnelles, le cas échéant, mais aussi dans notre vision du viol (inceste, prostitution forcée, sexualité conjugale…) et de ses conséquences. Pour moi, l’une des grandes leçons de cette expérience d’immersion – via le blog et les rencontres sur le terrain – c’est que le vécu des personnes comme Béatrice, même si elles ne parviennent pas toujours à nous l’expliquer et nous à l’entendre, est une réalité autant physique que psychique. Or cette réalité, notre société en est responsable
• lorsqu’elle la minimise ou s’en détourne pour ne pas assumer son impuissance à la soulager ;
• lorsqu’elle refuse de remettre en question les valeurs culturelles qui lui ont permis d’exister.
Je viens de passer trois jours avec Béatrice. Nous avons assisté ensemble au groupe de parole de l’association Sortir du Silence – moment particulièrement bouleversant pour moi – et appris à mieux nous connaître. Certains moments ont été franchement drôles, par exemple les repas : Béatrice a très difficilement accès à ses perceptions sensorielles ; il faut que celles-ci soient particulièrement élevées pour qu’elle en prenne conscience, il lui est donc difficile de doser les assaisonnements ou d’évaluer la bonne température d’un plat. Ma peur de la blesser en le lui disant est devenue une blague et finalement nous avons trouvé un bon compromis : les gâteaux !
D’autres moments ont été plus difficiles, notamment lorsque épuisée – Béatrice ne ressent pas non plus la fatigue et dort très peu, ce dont je ne suis pas capable – je n’ai pas su entendre ce que cachaient ses objections à mes tentatives de la faire positiver. Béatrice a cru que mon aveu d’impuissance était un reproche ou un abandon, alors excédée je suis partie me coucher… Au réveil j’ai réfléchi et décidé (enfin !) de ne plus chercher à la « changer » mais d’optimiser l’existant en créant une liste de thèmes qu’elle pourrait travailler pour le blog. Nous avons réussi à nous expliquer sereinement et chacune a pu faire un pas vers l’autre : j’ai accepté ses difficultés, elle a accepté l’idée que des solutions pourraient émerger.
Nous avons pu intégrer au weekend trois séances de travail, lesquelles ont toutes donné lieu à des dissociations :
• une séance de peinture
• une séance de modelage
• une séance de travail inspirée du livre utilisé sur ce blog
Je ne rentrerai pas ici dans le détail des séances pour respecter le secret professionnel. Je peux en revanche partager ce qui me semble pertinent pour comprendre comment semble fonctionner la dissociation de Béatrice :
– les personnalités de Béatrice qui ont accès à la parole (ex. Béatrisse, Béa…) ont envie de communiquer avec les autres, c’est pourquoi elles viennent lorsque nous travaillons. Elles ont envie de me parler de ce qu’elles ressentent ou de ce qui les a marquées (leurs souvenirs)
– les parties jeunes ont envie que je participe à l’activité, que nous « jouions » ensemble (ex. peindre ensemble avec les mains)
– le modelage fait venir Béa, elle s’en sert pour « faire chier » parce qu’elle associe cette activité à un ordre. En modelant n’importe quoi ou en imposant le sujet, elle essaie de me dominer, en même temps elle me parle de tout ce qui la met en colère mais aussi de sa passion : jouer au cutter. Elle dit qu’elle ne m’aime pas car elle me trouve bizarre et trop sûre de moi, en même temps elle me demande souvent mon opinion durant la conversation. Elle dit qu’elle est la seule à commander et à exister.
– il y a une personnalité très primaire (elle se comporte un peu comme un enfant de 12 à 18 mois), qui me laisse perplexe car je me demande si ce n’est pas Grr… Dans tous les cas elle n’est pas méchante, elle fait juste des expériences mais comme elle manque de finesse et bien elle abime souvent les outils ou les feuilles ! Ce qui est curieux c’est que malgré son archaïsme elle a des « intentions » dans la mesure où elle a envie de créer des œuvres elle aussi, et même si pour nous cela ne ressemble à rien, on sent qu’elle a voulu représenter quelque chose de précis
– j’ai souvent l’impression que les personnalités intègrent le vécu de Béatrice et qu’il y a par moment une sorte de continuum entre elles. Un exemple : suite à la lecture de mon compte rendu clinique par Béatrice, une personnalité m’a écrit parce qu’elle ne voulait pas aller au lit et voulait dessiner et jouer au cutter avec moi ! Dans cette simple phrase, j’ai pu reconnaître plusieurs personnalités, des allusions à mes conclusions cliniques, et le fait qu’elle m’appelle par mon prénom était étonnant car seule Béatrice le fait normalement.
Le reste du weekend nous a permis de parler de trois grands thèmes : l’opération prévue en novembre, les difficultés à se comprendre au sein du foyer et le projet d’exposition. A ce sujet, il y a plusieurs pistes possibles : vers quel public orienter l’exposition ? A qui proposer un partenariat ? Quels thèmes mettre en avant ? Béatrice et moi sommes d’accord sur le fait que cette exposition doit rendre hommage à ce blog et respecter les motivations de celle qui en a eu l’idée, Emmanuelle. J’aimerais pour ma part que cela permette de sensibiliser aux réalités quotidiennes des personnes qui ont vécu l’inceste et souffrent de dissociation, afin qu’évoluent le regard de leurs soignants mais aussi de leurs familles. Reste à savoir qui partagera cette vision et pourra nous soutenir en nous prêtant une salle ou nous aidant à diffuser notre message.
6 réflexions au sujet de « La dissociation vue par une non-dissociée (épisode n°2) »
Bonsoir Muriel,
J’accompagne Béatrice car je trouve que c’est important. Une présence pour elle représente beaucoup cela peut diminuer l’angoisse du vide et de cet abandon qu’elle a malheureusement connu et quelle ressent parfois encore.
Et rien qu’à suivre son évolution dans son travail. Cet exemple qu’elle veut tant transmettre aux autres personnes est merveilleux.
Me concernant, cela mérite un effort voilà pourquoi je suis sur ce blogue, et je n’en doute pas.
Je ne suis ni psy, ni dissociée.
sissi
Bonjour Sissi,
que vous puissiez être présente physiquement autant que virtuellement me semble en effet un très beau cadeau pour Béatrice, et je ne doute pas qu’elle en soit reconnaissante.
Par expérience, nos professions (psychologues, psychiatres, psychanalystes) sont souvent très mal vécues par les personnes qui ont subi de grands traumatismes, même lorsqu’elles viennent nous demander de l’aide. C’est un paradoxe plus ou moins facile à accepter – être à la fois sollicité(e) et remis(e) en question dans mon identité – en ce qui me concerne il n’est pas toujours facile à vivre parce qu’il touche mes propres blessures, tout simplement.
Muriel Rojas
Ça je peux comprendre que tout le monde a besoin de son taux de sommeil mais même cela je ne le ressens pas, et j’en suis désolée. C’est sans doute l’hypervigilance.
Je voudrais revenir là-dessus, je ne sais plus de quoi on parlait, mais je sais que j’ai été blessée que vous soyez partie comme ça d’un coup… Je ne pense pas que cela vienne du mot abandon… Je sais que je suis aller me mettre en boule dans le lit et j’ai pleuré et que j’ai envoyé un mail et que le lendemain la première chose que je vous ai dite c’était cela et que j’ai commencé à parler car je voulais comprendre pourquoi ? Je voulais éclaircir mais j’étais mal car mes larmes étaient là je pense que vous l’aviez vu…
Maintenant pour mes personnalités, ça me reste compliqué, mais quand même une d’elle a bousillé deux instruments de quilling que je suis obligée de me racheter, ce qui n’est pas le problème. Ma question concerne la force de cette partie de moi et le danger avec le recul ?
Pour grr, oui il envoie des documents personnels, mais tout jusqu’au compte rendu etc.. Voilà pourquoi que le docteur L. ne veut que je ne me serve que de mon téléphone le plus possible au moins pour les mails car grr là est moins virulent si je peux dire… il est moins doué.
Et je confirme que je ne sais pas poster sur le blog, grrr sait et même si la sécurité est mise j’ai cette angoisse derrière de savoir qu’il peut aller se répandre partout. Béatrice sait pour les textes mais les troubles se sont amplifiés et je vois les boutons bouger, ce qui complique aussi cela est devenu compliqué et j’en suis bien ennuyée, mais je me dis qu’un jour je pourrais reposter. Un jour mes écrits quand je serais plus stable.
J’espère que ce travail va apporter.
Si vous le souhaitez vous pouvez reprendre mon mail, comme vous le savez j’aime quand c’est clair.
Beatrice
A mon tour d’éclaircir un point. J’ai régulièrement le même questionnement quant à ma participation au blog : est-ce vraiment un espace d’expression adapté pour les personnes qui n’ont pas été victimes et/ou qui travaillent dans le domaine psy ? Certes, on me réponds toujours, et je n’ai aucune raison d’en douter, que le but est de s’entraider. Or j’ai le sentiment que la réalité de terrain n’est pas si simple et une fois de plus l’expérience me prouve que partager des expériences cliniques ici n’est vraisemblablement pas une bonne idée. Débattre peut-être constructif, à condition d’écouter l’autre et de le questionner sur ce qu’il veut dire. Je ne me permettrais pas de remettre en cause l’intérêt ou l’efficacité d’un soutien de type blog, je précise juste que cela ne suffit pas à se forger des certitudes et qu’à mon humble avis – qui n’est pas une vérité – l’observation de terrain dans la vraie vie peut aussi être intéressante.
Muriel Rojas
Comment un enfant de 12 à 18 mois arrive à écrire ce qu’écrit Grr grr ?
Comment cet enfant peut-il poster des billets, parce qu’il est le seul à poster des billets, Béatrice ne sait pas faire ?
Comment cet enfant arrive à mettre en rade votre compte facebook ?
Comment arrive t-il à dresser des listes de personnes auxquelles il envoie les mails privés de Béatrice ?
Emmanuelle Cesari
Bonsoir Emmanuelle,
il s’agit de questionnements suite à des observations cliniques de terrain, pas de réponses ou de vérités. Je ne dis pas qu’il s’agit d’un enfant de 12 à 18 mois mais d’une personnalité qui, au moment où je l’observe, se comporte comme un enfant de 12 à 18 mois. Je ne dis pas non plus que c’est Grr mais que je me demande (notamment à cause de détails non divulgués ici) si ce n’est pas Grr.
Ce qui reste certain, c’est que je peux tout à fait me tromper, tout comme les interprétations que nous faisons toutes à partir du blog ou de mails sur la nature de Grr peuvent être erronées car la virtualité a aussi ses limites, surtout lorsqu’il s’agit de se prononcer sur des phénomènes dont nous ne sommes pas témoins physiquement.
Muriel Rojas