Principes de la prise en charge psychologique des sujets traumatisés
L. Crocq, D. Cremniter, D. Demesse, M. Vitry
page 89
Une telle attitude thérapeutique se démarque de l’attitude traditionnelle de la psychiatrie, qui passe par le préalable de la demande venant du patient et se retranche derrière le principe de la « neutralité bienveillante ». Or, ce principe, qui est légitime et adéquat en ce qui concerne des patients de la pratique courante à la recherche des origines de leur malaise, ne convient pas à des victimes en soif de protection et d’empathie. Opposer à la quête d’affection d’une victime en désarroi un visage impassible, et la renvoyer tant à ses questions d’aujourd’hui qu’à ses problèmes d’enfance ne fait pas son affaire ; et elle va vivre cette attitude comme une rebuffade.
Sur le terrain, l’intervenant médico-psychologique et le sauveteur assurant le soutien psychosocial se doivent de répondre à ce besoin de reconnaissance et d’affection qui perturbe le rescapé. Le rescapé revient des enfers, il a vu sa mort toute proche, et tout l’événement a fait effraction dans son psychisme, y laissant le tourbillon de la désorganisation et du néant. Son besoin primordial est de revenir dans la communauté des vivants, des vivants parlants, et d’énoncer devant eux, devant ces témoins d’écoute compatissante, sa souffrance sensorielle, d’improviser des mots pour mettre du sens sur l’insensé du vécu traumatique. Aussi l’attitude de l’intervenant doit-elle être celle de l’écoute compréhensive et emphatique, pour recevoir cette verbalisation du trauma. Elle doit aussi être une attitude de contenant : contenant pour couvrir les déchirures que l’effraction traumatique a provoquées dans l’enveloppe des défenses (par sa seule présence, par une main posée sur l’épaule de la victime, l’intervenant l’assure que plus rien du dehors ne peut faire à nouveau effraction dans son psychisme) ; et contenant pour atténuer les débordements émotionnels des premières abréactions, débordements dont l’intensité viendrait rajouter à la violence de la situation et accroître l’effroi du sujet.
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