4/ L’identification à l’agresseur dans les états limites

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C’est dans l’article « Confusion de langue entre les adultes et l’enfant »1 que Ferenczi invente cette notion reprise plus tard et différemment par Anna Freud.

Dans des situations extrêmes provoquant détresse et peurs limites (agression grave comme le viol, l’abus sexuel, la maltraitance, les punitions passionnelles où l’enfant ayant commis une bêtise est puni de façon démesurée), l’enfant va pouvoir s’identifier à son agresseur.
S’oubliant complètement pour se mettre au service de l’agresseur, devinant ses moindres désirs, il déjoue d’une certaine manière les attaques et les chocs qui pourraient arriver de manière imprévisible : « La peur devant les adultes déchaînés, fous en quelque sorte, transforme pour ainsi dire l’enfant en psychiatre ; pour se protéger du danger que représentent les adultes sans contrôle, il doit d’abord s’identifier à eux. »
Cette soumission entière assure à l’enfant une certaine maîtrise sur celui qui est susceptible de le surprendre et de l’atteindre. L’identification à l’agresseur donne la possibilité à l’enfant de maintenir une image suffisamment positive du parent – agresseur – dont il dépend pour vivre et subsister. Elle a pour effet de faire disparaître la violence de ce dernier en tant que réalité extérieure : la violence de l’agresseur est intériorisée de sorte que la tendresse originelle peut continuer de se développer à la faveur de l’agresseur. Il est à relever  qu’à partir du moment où l’agresseur est devenu intrapsychique, il perd son statut d’objet pour devenir une partie du Moi. On constate à ce moment précis une des origines de la confusion entre sujet et objet, Moi et non-Moi, entre le dedans et le dehors. Cette configuration particulière ne permet pas à l’autre d’être reconnu dans son altérité. La violence subie est intériorisée de façon confuse, car, la plupart du temps, elle est déniée par l’agresseur lui-même. Dans ce cas, l’enfant ne sait plus mettre des mots sur l’expérience qui lui arrive puisque les mots utilisés par l’agresseur visent à disqualifier son ressenti subjectif.


1. S. Ferenczi (1932), « Confusion de langue entre les adultes et l’enfant », Psychanalyse IV, Œuvres complètes, 1. IV, Paris, Payot, 1982, p. 125-135.

Autres billets sur Les états limites

1/ Livre – Les états limites par Vincent Estellon
2/ Les états limites : The Borderline Patient
3/ L’angoisse chez les Etats limites selon Otto Kernberg
5/ Le clivage vertical
6/ Qualité de la communication dans la genèse de l’état limite

3/ L’angoisse chez les Etats limites selon Otto Kernberg

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L’angoisse. – Flottante, diffuse, d’intensité variable, l’angoisse est toujours présente en toile de fond du tableau clinique. Lorsqu’elle atteint son sommet – la crise -, l’angoisse est susceptible de produire des effets de sidération pour la pensée: paralysée, incapable de se représenter, la pensée est comme arrêtée. Au plan somatique, elle s’accompagne souvent d’un florilège de symptômes divers tels la tachycardie, la sudation, la sensation de gène respiratoire, le malaise. Contrairement à la peur (dont le sujet peut se faire une représentation), l’angoisse ne peut se rattacher à un objet précis ou à une situation: elle envahit l’être sans qu’il ait le temps de comprendre ce qui lui arrive, ni pourquoi cela arrive. Si l’angoisse de castration (liée à la culpabilité œdipienne) est dominante chez les névrosés, les états limites peuvent présenter des angoisses de nature mixte : angoisses identitaires, angoisses liées à la perte et à l’éloignement de l’ objet, angoisses plus primitives d’effondrement, de terreurs sans nom. Pour Widlôcher, c’est une angoisse d’annihilation, de perte du sens de la vie. Les travaux de Winnicottl sur la crainte de l’effondrement (fear of breakdown) sont en rapport avec ce type d’affect.

En anglais, breakdown évoque la panne de voiture. Quelque chose s’est cassé ou détraqué dans le moteur ; ou bien alors il manque de carburant. On peut l’utiliser également dans le domaine de la santé pour évoquer l’altération, le déclin et le risque de l’arrêt complet.En termes psychopathologiques, cela va donner le risque de « craquer », la crainte de « s’effondrer ».
Selon Winnicott, cette crainte serait liée à une expérience antérieure d’effondrement qui a pu être ressentie lorsque l’environnement n’a pas pu répondre de façon consistante à un état de détresse. Si ce type d’angoisse peut s’apparenter à la psychose, il s’agit de préciser que l’angoisse borderline est toutefois différente de l’angoisse psychotique dans la mesure où les frontières entre le Moi et l’objet, même si elles sont poreuses, sont existantes. Par rapport à l’objet, on note la prévalence d’une angoisse anaclitique étroitement liée à la distance de l’objet: tandis que l’éloignement réactive l’angoisse d’abandon ; le rapprochement exacerbe l’ angoisse d’intrusion. L’incapacité à mentaliser ou à élaborer psychiquement à partir de ce trop-plein d’énergie pulsionnelle conduit souvent le sujet vers une clinique de l’agir.


1. D. W. Winnicott, « La crainte de l’effondrement » in Nouvelle revue de psychanalyse, n° II, Figures du vide, Paris, Gallimard, 1975.


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