Les blessés de guerre du 13-Novembre

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Le 05 février 2016
Par Pauline Delassus

Ils ont survécu à cette nuit d’horreur mais leurs souffrances morales ou physiques sont loin d’être guéries. Ces attentats ont fait 130 morts et 352 blessés. Par ailleurs, on compte jusqu’à 4 000 personnes impliquées, simples témoins ou proches de victimes. Pour tous, le 13-Novembre 2015 marque le début d’une vie à jamais différente.

Dans la tête d’Omar, il est toujours 21 h 25 le 13 novembre 2015 au Stade de France. Le vigile marocain n’a jamais quitté le champ de bataille qu’il a connu dans une ville pourtant en paix. La terre tremble encore sous ses pieds. Il entend toujours le bruit de la première explosion. Son étrange odeur de calciné, indéfinissable et entêtant parfum de guerre. Autour, les gens courent. Lui, la peur ne l’a pas encore immobilisé. Il décide de tenir sa position. Il porte un gilet sans manches numéroté, dérisoire armure de couleur orange. Il voit l’ennemi avancer vers lui, calme et déterminé, silhouette sombre vêtue d’une doudoune noire. Un grand boum, et plus rien. L’obscurité.

Omar perd connaissance

Quand il ouvre les yeux sur le bitume, seules ses paupières bougent. Le reste ne répond plus. Impossible de se relever, impossible de parler. Dans une mare de sang, un homme demande de l’aide. Omar entend ses cris, voit son corps mutilé. Il y a par terre des membres arrachés, ceux du kamikaze, des lambeaux de chair et, dans l’air, toujours la même odeur.

Il a connu la mort sans avoir perdu la vie

« C’est trop dur », souffle Omar ce samedi de janvier où nous lui rendons visite. On retrouve dans son récit l’effroi raconté par les poilus de la Grande Guerre.  Celui aussi des GI américains pétrifiés sur les zones de combat en Afghanistan et en Irak. Assis sur le lit d’une clinique psychiatrique, Omar dessine au crayon sa ligne de front. C’est une centaine de mètres, des portes G à H du Stade de France où il a connu la mort sans avoir perdu la vie. « J’ai accompli ma mission », dit celui qui a fait évacuer plusieurs dizaines de personnes au moment des explosions.

« Mais, depuis, je suis très fatigué. Les enquêteurs disent que je suis un miraculé. »

Lui se sent « comme un nouveau-né malade », un soldat héroïque sans grade ni arme, revenu au monde traumatisé. « Inhibition psychomotrice, insomnie totale », ont diagnostiqué les médecins. Omar ne peut plus marcher ni dormir. Il parle avec difficulté, pousse de longs soupirs, s’effondre en larmes à l’évocation des attentats.

On parle de troubles de stress post traumatiques

On parle de troubles de stress post traumatiques, ces balles invisibles d’abord détectées chez les militaires américains pendant la guerre du Vietnam. Ça ressemble à des images de terreur qui sans cesse resurgissent, ces pages qu’on n’arrive pas à tourner. En moyenne, 30 % des soldats en seraient atteints. Désormais, à Paris, ce sont de simples vigiles comme Omar, des étudiants, des artistes, des enseignants ou des retraités qui en souffrent.

« On guérit mieux d’un blast que d’un traumatisme psychique »

Le Dr Stéphane Bonnet,qui nous a dit cela, est chef du département de chirurgie digestive à l’hôpital militaire Percy. Pour lui, les blessés du 13-Novembre « sont exactement les mêmes » que ceux qu’il a soignés à l’hôpital de Kaboul, lors des opérations de l’armée française en Afghanistan. « A la différence que la blessure fait partie de la profession du militaire, nuance son collègue, le Pr Sylvain Rigal, titulaire de la chaire de chirurgie de l’école du Val-de-Grâce. Il est toujours plus facile de se reconstruire psychologiquement quand le traumatisme initial est compris et accepté. Pour les blessés du 13, il ne peut pas être compris. »

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Un praticien écoute les histoires de ses patients

Pendant plusieurs jours, il écoute les histoires de ses patients, des destins tragiques de jeunes gens contraints, pour se défendre, à des gestes de guerriers. L’un raconte avoir utilisé un cadavre en bouclier. Amandine et son fiancé comptent les tirs pour tenter de s’enfuir de la salle du Bataclan lorsque les tueurs rechargent leur arme, avec pour seul objectif la survie.

Victor

Victor, 29 ans, fait partie des prisonniers du Bataclan, ces martyrs enfermés de longues heures sous le joug des terribles bourreaux. Étudiant en droit, destiné au métier de notaire et passionné de rock, il vient de Nantes pour écouter les Eagles of Death Metal. Sa soirée se termine dans le noir, face contre terre, les tibias explosés par une balle. Ses oreilles sifflent, il est incapable de bouger. Dans la fosse du Bataclan, ils sont plusieurs comme lui à jouer les morts, à craindre les sonneries de téléphone qui entraînent les exécutions, à étouffer leurs cris de douleur dans les corps sans vie qu’ils trouvent sous eux.

Je suis tellement content d’être là

« On essayait de s’entraider en chuchotant. Ça a aidé d’être en groupe. Seul, je ne sais pas si j’aurais pu gérer », dit Victor, qui cherche, depuis, à retrouver ceux qui ont constitué son régiment d’infortune. Il est sorti de l’hôpital, mais il doit rester couché dans l’appartement familial qu’il occupe faute de pouvoir retourner chez lui, à Nantes. Il faudra un an et plusieurs interventions avant qu’il puisse remarcher normalement. Ses blessures, impressionnantes, sont apparentes.

L’importance du soutien des psychologues

Victor assure qu’il tient le choc grâce au soutien de psychologues, les premiers jours de sa convalescence, et à la présence de sa mère et de son frère. Quand les policiers l’ont extrait de la salle de concert, Victor n’avait plus que 1 litre de sang dans le corps. La pose d’un garrot et d’une perfusion l’a sauvé. « A quinze minutes près, c’était fini, a-t-il appris depuis. Je suis tellement content d’être là, ça me donne envie d’en profiter et ça me rend plus fort », dit-il en attrapant sa guitare. Il joue un air de Neil Young et projette des voyages, une cigarette fumée en terrasse, des soirées entre amis… Il est en vie.

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Ils ont tué mon père par Ann-Flore

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illustration tué mon père

Le 10 novembre dernier, mon père, ma mère, mon beau frère, quelques amis de la famille et moi fêtions les 29 ans de ma sœur. Comme d’habitude, nous avions bien bu. Ma mère et moi reprenions la route, un peu attaquées et riant très fort, suivant de près mon père sur sa Harley, qui lui aussi rentrait, un peu plus sérieux, car sur sa moto il ne déconne jamais.

Sains et saufs, nous étions tous arrivés à Cergy. Le lendemain, le 11, alors que ma famille allait glander en ce jour férié, mes parents m’ont amené à la gare, pour rejoindre Paris, puis Arras où mes obligations professionnelles m’attendaient. En quittant leur voiture, les larmes sont montées. Coincées dans ma gorge alors que je les embrassais tous les deux, elles n’ont pas tardé à couler lorsque je me suis éloignée.

L’étrange sentiment qu’un jour j’allais perdre l’un d’eux

A mesure que j’attendais mon train, j’ai paniqué puis pleuré de plus belle. J’ai mis ça sur le compte de ma récente rupture, de ce job que je n’aimais pas. Mais je me sentais en fait ailleurs, comme hantée par l’étrange sentiment qu’un jour j’allais perdre l’un d’eux.

Arrivée plus tard à Arras et quelque peu calmée, la nuit du 11 novembre fut pourtant chaotique. Je ne cessais de me réveiller, habitée par cette même pensée. Le 12 et le 13 filèrent tant bien que mal. Et ce vendredi midi, je regagnais Paris, oubliant cette date maudite qu’est le vendredi 13. Je quittais le travail sur les coups de 18 heures, pensant ironiquement que tout allait bien pour le moment.

Je rejoignais mes amies pour dîner, dans le 14ème (pas loin de chez l’une d’elles, car elle avait mal au dos). Nous troquâmes ainsi notre habituelle Bastille pour le parc Montsouris. J’envoyais alors un texto à mes parents, pour leur souhaiter un bon concert. Habituellement ma sœur, mon beau frère et moi aurions été de la partie. Mais ce soir-là nous étions fatigués, et pour je ne sais quelle raison nous avions décliné l’invitation, nous qui sortions pourtant toujours en bande.

Nous avons entendu les premiers pimpons

Aux alentours de 21 heures, l’une de mes amies a reçu un appel de son papa. Il l’invitait à rentrer rapidement, car des tirs avaient retenti à Saint Denis, puis dans le 10ème ou le 11ème, on ne savait pas trop. Quelques secondes plus tard à peine, nous avons entendu les premiers pimpons et vu les premiers giros, avec une seule pensée en tête « Merde, un nouveau Charlie ! »

Évidemment connectées à nos portables, nous avons toutes cherché plus d’infos. La télé du resto s’est elle aussi allumée. Les conversations animées laissaient place à une drôle de stupeur. Rue de Charonne, boulevard Voltaire… On annonçait même que cela avait tiré à quelques mètres du Bataclan.

Immédiatement j’ai alors tenté de les appeler, eux qui profitaient pour une fois d’un concert en amoureux. Le téléphone de mon père n’a pas sonné et seule sa messagerie me répondait. Quant à ma mère,personne ne semblait être au bout du fil. Paniquée, j’alertais alors ma sœur, qui tenta en vain de me rassurer. Certaines sources indiquaient en effet que le Bataclan avait été évacué. Peut-être étaient-ils sortis ? Peut-être avaient-ils couru et perdu leur téléphone ? Comment savoir ?

Les informations s’entrechoquaient, aussi bien dans ma tête, sur Internet et Twitter, que dans la bouche de ceux qui comme nous ici buvaient un verre. Le sol s’effondrait chaque seconde un peu plus sous mes pieds. Les clopes que je fumais elles, tremblaient dans mes mains moites, quand mes yeux cherchaient sans cesse des informations à lire. Je voulais savoir.

J’ai enfin su.

J’ai su qu’une prise d’otages avait lieu au Bataclan et que ce n’était pas une blague. On parlait de 20, 30 déjà 40 morts…

En état de choc, je quittais le bar et envoyait un dernier texto à mon père « Dites moi que ça va ?? » Des mots qu’il ne put jamais lire.

Des mots qui résonnèrent dans ma tête jusqu’à ce que je sache, dans la nuit, qu’il avait été tué d’une balle dans la tête. Et que deux balles s’étaient logées dans les jambes de ma mère, qui se protégea dans ses bras morts à lui, jusqu’à ce qu’elle puisse enfin sortir de cet enfer.

L’inquiétude est partout avec moi

Aujourd’hui, deux mois après cet atroce carnage, alors que Paris semble reprendre des couleurs, notre vie à nous ne nous a toujours pas été rendue et ce ne sera probablement jamais le cas. Car l’inconscience et la légèreté ont bel et bien été remplacées par la peur et la crainte permanente que cela ne recommence. L’inquiétude est partout avec moi. La mort m’accompagne elle aussi partout où je vais. Au cinéma, au restaurant, en terrasse… Partout j’ai peur d’y rester. Partout, j’ai peur d’enterrer tous ceux que j’aime encore et qui ne font pourtant rien d’autre que de vivre leur vie jugée débauchée pour certains.

Partout où je vais, j’ai désormais peur d’être trop voyante, trop tatouée, trop athée : autant d’arguments pour être visiblement flinguée. J’ai même peur d’ouvrir Charlie Hebdo dans le train. Bref, je ne me sens plus en sécurité.

Je sais que certains diront qu’il ne faut pas avoir peur, qu’ils auraient gagné. Je m’en fiche, je n’ai pas honte d’avouer que je suis terrorisée. Comment ne pas l’être quand chaque jour les infos énumèrent le nombre de morts à travers le monde ?

Je n’ai pas honte non plus d’avouer que cette peur me vrille l’estomac, car elle est finalement venue remplacer la colère et la haine qui m’ont trop longtemps habitée. Lassée de celles-ci,j’ai enfin compris qu’elles faisaient de nous le miroir de ces monstres et j’ai réalisé que seules la tolérance et la compassion sont les armes qui gagneront face à la propagande d’un état dénué d’humanité. Alors munissons-nous.

Tu t’appelais Richard Rammant et tu étais le meilleur des papas.

Ann-Flore est née en 1990 et possède une superbe collection de papillons sous verre. Si cette jeune banlieusarde (qu’il est moche ce mot) rêve de monter une friperie spécialisée dans les années 50 et 70, elle termine pour le moment ses études et navigue entre communication et rédaction. Elle a en plus la gentillesse d’être réactive et rapide, ce qui n’est PAS FRANCHEMENT LE CAS de la majorité d’entre nous.

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