Marionnette et émotion

La marionnette a le pouvoir théâtral de faire exprimer les émotions : la colère, la peur… Faire naître de ses mains un personnage qui va se charger de tout le reste.

On est deux et on travaille en miroir ; la marionnette, notre propre création nous renvoie une image de nous. Une image inconsciente, qu’on va la soumettre dans le répétition au plateau, un lieu protégé et en toute confiance. Et tout ça dans le contexte groupal qui soutient l’individu parce qu’il se trouve dans le même train, qui a la même ou une similaire problèmatique, qui est dans le même état émotionnel chargé.

Les traumas, les violences reçus, on doit pouvoir les hurler au public les jouer, donc prendre de la distance et ensuite donner des réponses aux faits réels. Un allez retour entre la réalité dure et l’imaginaire créatif.

Tête-plâtre

La marionnette permet de synthétiser tous les arts

On pourrait aussi l’appeler psychothérapie par l’art, ou psychothérapie médiatisée ou encore psychothérapie expressive orientée. On entend l’art comme mode d’expression qui se met au service du soin à travers la relation psychothérapeutique. L’art devient un moyen d’expression et de communication privilégié. L’art joue le rôle de médiateur, il est le moteur de la communication. L’art thérapeute est un artiste formé à la relation avec les publics en difficulté. Il doit faire un travail sur soi, comme chaque psychothérapeute. Il propose la création afin de permettre au sujet de se réparer. Donc, le but recherché n’est pas l’esthétique, comme dans un atelier purement artistique.

Chaque atelier va poser des différents objectifs, par rapport à la problématique de son public. Sur le terrain psychiatrique, nous mettons en place des ateliers thérapeutiques dans les hôpitaux et on va travailler avec toutes les psychopathologies rencontrés. On distingue le travail psychopédagogique, où on apprend à dépasser sa difficulté psychique et sociale. On travaille par exemple, sur le mal être du sujet à vivre dans deux différentes cultures, à dépasser sa timidité, à se redynamiser. Nous visualisons toujours le potentiel des sujets. Les ateliers de l’art thérapie est un espace de liberté, où on peut transgresser l’interdit.

Caché derrière le castelet avec une marionnette, ou derrière un masque et l’anonymat, nous pouvons dénoncer les abus, les maux que les interdits occasionnent. Le sujet dépasse plus facilement sa timidité quand il n’est pas confronté directement au regard frontal de l’autre. Le regard médusé de l’autre qui peut le pétrifier, l’enfermer sur lui même. Cette liberté d’expression suppose un cadre avec des règles et des limites qui ont une fonction protectrice et structurante. Il y a aussi les règles propres à toute activité artistique. Quand le jeu s’établit avec des règles, on peut espérer une réorganisation psychique heureuse. On prépare un espace contenant, afin que le sujet fragile puisse être en liberté, afin de retrouver son désir de création partagée et ainsi se purifier. « Katharsis » veut dire purgation, purification des passions, par le moyen de la représentation dramatique. Aristote dans sa politique nous parle des mélodies qui transportent l’âme hors d’elle même. La musique fonctionne comme un remède, une purification, un allégement, accompagnés de plaisir.

La marionnette permet de synthétiser tous les arts. Arts plastiques, arts de la scène, écriture, musique.

Historique 

En Chine, (1558-1550 A.C.), les marionnettes (Yong, marionnettes en bois, de taille humaine), sont liées à la culte des morts. Elles étaient manipulées par un prêtre, elles présentaient un défunt, un ancêtre ou un dieu. A travers sa manipulation, le prêtre fait parler les esprits ou les dieux et cela constitue le rôle d’un chamane qui a une fonction d’exorciste.

En Grèce antique, les marionnettes, les masques la danses et le drame sont liés aux rituels de Dionysos. Les fêtes qui se déroulent au début du printemps s’appellent «Anthestiria» et comportent le déguisement, la mascarade, l’ivresse (le vin est utilisé comme médicament), le jeu, le théâtre, la marionnette, le masque, la transe et le délire extatique. C’est le dieu qui donne la manie, la possession par l’autre, mais aussi la guérison, la purification à travers l’extase. Ces rituels permettent au sujet de devenir un « autre », admis et accepté par le groupe social dans ce cadre précis. Je pense au carnaval, où le sujet peut incarner des rôles interdits dans la vie quotidienne. Dans ce cadre, nous avons le droit de transgresser l’interdit. Malheureusement dans beaucoup de sociétés, nous avons perdu ces rituels « thérapeutiques ».

Il s’agit de la thérapie par le double. Le double qui fait partie de nous mêmes et qui souvent nous échappe. L’idée de la mort a été rendu supportable par la fabrication d’un double, dont le rôle est d’assurer une autre vie après la mort.

Narcisse se métamorphose en fleur blanche, il y a là l’idée de l’éternel renouvellement, où la mort est vaincue par une nouvelle création. La marionnette matérialise le miracle de la résurrection, elle passe de l’immobilité à l’animation, de la mort à la vie.

On retrouve cette idée de la maîtrise de la mort à la cérémonie «Niobo» au Zaïre, il s’agit d’une marionnette géante, le double du défunt, portée par les enfants du mort. C’est elle qui conduit le cortège, elle blague, refuge d’avancer, simule le retour à la maison, elle ne veut pas se laisser enterrer… Il y a une dédramatisation de la réalité de la mort et dérision.

Sur le cérémonial des indiens Hopis, dès la fabrication de la marionnette, le sculpteur et ses compagnons désignent une femme, considérée comme la gardienne de la marionnette ou la mère rituelle. Elle simule l’accouchement, elle lave ses cheveux, et la nomme. La marionnette est considérée comme un enfant, un nouveau né.

Otto Ranc site que la déesse de l’amour se transforme en déesse de la mort. La mort est vaincue par une nouvelle création. Cela nous ramène à l’image idéale de la mère, un renouvellement éternel et l’idée de l’immortalité humaine, tant désirée.

La marionnette est utilisée pour la magie noir et la magie blanche. Au théâtre, nous pouvons incarner le mal, jouer avec lui, on fait comme si…Faire un diable permet de vivre, de mieux mesurer les dimensions de ces abîmes, d’où la peur peut venir. Le sujet en donnant forme à ses peurs, il arrive mieux à les combattre, à les gérer. Jouer à la guerre, ne permet ni de gagner, ni de perdre, mais de représenter le monde, se confronter à la vie et grandir.

En Afrique, les marionnettes symbolisent l’union des vivants et des morts, elles communiquent la volonté des esprits des ancêtres, à travers la manipulation des «vieux» (il s’agit des marionnettes fétiches, réservées aux initiés, c’est intérdit aux femmes et aux enfants de les voir).
En Sibérie, en Birmanie, les chamanes utilisent les marionnettes pour guérir.

En Inde, en XI siècle, avant J.C., apparaît à côté des thèmes religieux un personnage populaire «Vidouchaka», un brahmane, nain et bossu, chauve, bête et rusé, moqueur et grossier, qui bat tout le monde. Après la naissance du Christ, ce personnage voyage et se transforme en Guignol (France), en Polichinelle (Italie), Punch (Angleterre), Karagioz (Turquie et Grèce). Le Guignol apparaît fin XVII siècle, et sert initialement à informer (infos politiques et sociales), et s’adresse à un public quasi analphabète. Napoléon III va censurer ces représentations. Je vais finir avec les Guignols des infos contemporaines, (caricatures des hommes politiques) et leur fonction qui est de critiquer la vie politique de la société actuelle.

                       ENFANTS
Les enfants sont à un âge susceptible aux changements, car rien n’est encore fixé. Ils comprennent directement le langage symbolique, (ex: les contes), sans retour intellectuel. Nous pouvons alors intervenir plus facilement et changer leurs croyances. Les enfants apprennent plus vite, ils sont plus près au jeu. Le jeu représenté devant l’autre, qui est attentif et bien veillant, permet d’exprimer les affects mais aussi les réintégrer. Grâce au jeu, l’enfant peut résoudre des conflits psychiques, il peut se décentrer (âge égocentrique, avec une vision du monde subjective), il peut voir qu’ils existent d’autres points de vue. Il assimile et s’accommode pour s’adapter à la réalité.
Les enfants aujourd’hui sont obligés de rester assis sur une chaise pendant des heures à l’école. L’éducation a presque éliminé le jeu, qui a mes yeux est trop important pour le développement de l’enfant. Cette continuité naturelle est nettement arrêtée. Je vous rappelle que l’homme joue pendant toute sa vie. Nous nous demandons alors pourquoi on a souvent à faire avec des enfants hyperactifs qui ne tiennent pas sur place.  
Dans nos ateliers nous créons l’espace pour instaurer le ludique, dans un cadre réfléchi, chaque fois, par rapport à la problématique du groupe. En plus, le jeu proposé est structuré lui même par des règles propres à la médiation. Si on veut travailler plus sur le corps, nous proposons le masque ou la danse. 
Nous réactivons l’imagination des enfants, afin d’optimiser leur narcissisme, le sentiment qu’ils ont pour la perfection. 
Le jeu collectif restaure l’estime de soi et rétablit la confiance réciproque. Il construit le « je » narcissique avant le « je » social. Le groupe va soutenir le sujet, et va lui réactiver des images parentaux, des places de chacun dans la famille. Des situations traumatiques vont se rejouer dans un nouveau contexte. La souffrance exprimée par le jeu et l’humour fait rire et dédramatise. 
Le castelet est un espace protégé qui met à l’abri tout le corps du manipulateur, en ne laissant voir que sa main gantée. Tirer le rideau c’est cacher pour préserver le secret. Le secret est source d’angoisse et son aveu libère l’âme. 
L’art, en tant qu’expression et communication est chargé d’un message, d’un sens. Et c’est le travail de l’art thérapeute de l’entendre.