Auteur d’un témoignage convaincant sur son histoire d’enfant déporté, Binjamin Wilkormirski avait tout inventé. Est-il pour autant un escroc ? Retour sur « Fragments »
Le nom de Binjamin Wilkomirski, un livre intitulé Fragments. Une enfance 1939-1948 (1), où il raconte sa terrible histoire d’enfant juif né en 1939 à Riga (Lettonie), déporté à Auschwitz à quatre ans et adopté par un couple de bourgeois zurichois. Seul problème : cette histoire n’est pas vraie. C’est ce qu’affirme après d’autres l’écrivain et journaliste londonienne Elena Lappin qui a enquêté sur Wilkomirski et publie les résultats de son investigation dans un livre intitulé l’Homme qui avait deux têtes (2). L’affaire pourrait s’arrêter là. Sauf que cette histoire fascine. Parce que Dössekker n’est pas un imposteur ordinaire et parce qu’il y a une réelle douleur dans son livre. Parce que l’écriture, la publication et le succès de Fragments mêlent l’extermination des juifs, le mal-être d’un enfant adopté, les pratiques sociales pas très glorieuses d’une Suisse bien sous tous rapports, les usages étonnants du monde de l’édition et le statut de la victime et de la tragédie dans notre société. Quand Fragments paraît en 1995 (en allemand, puis en anglais, en français), il est accueilli comme un chef-d’oeuvre et reçoit des prix quasiment dans tous les pays où il est publié. La mère mourante qui donne un objet « inconnu, rude, dur », du pain, des bébés qui se rongent les mains, des rats qui sortent d’un ventre de femme… le texte de Wilkomirski a une charge d’émotion et d’horreur qui le distingue des autres témoignages sur la Shoah. Les critiques le comparent à Primo Levi et les survivants des camps se reconnaissent dans ce livre. Comme l’explique Elena Lappin, l’identité de Wilkomirski a été mise en doute dès 1995 par le journaliste suisse Hanno Helbling, mais il a fallu attendre 1998 et l’enquête d’un autre journaliste suisse, Daniel Ganzfried, pour que les éditeurs et le public se posent vraiment des questions. Ces journalistes ont révélé que, avant son adoption, Bruno Dössekker ne s’appelait pas Binjamin Wilkomirski, mais Bruno Grosjean. Il est né le 12 février 1941, dans le canton de Berne, d’Yvonne Grosjean, mère célibataire. Placé en institution, il sera ensuite adopté par un couple de bourgeois protestants, le docteur Walter Dössekker et sa femme Martha.
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