Ces gars-là, c’étaient « nos gars »

Ces gars-là, c’étaient « nos gars »
Virginie Kyburz / 22.03.2016
Nos jeunes, ceux de nos pays européens, ceux qui ont grandi chez nous mais sans nous… devenus jihadistes au service d’organisations terroristes

Les organisations terroristes fonctionnent comme les mafias. Ce ne sont pas des États mais des organisations basées sur le crime. Dans leurs rangs, en Europe, de jeunes recrues que je connais bien pour les avoir rencontrées en prison, mais aussi dans des foyers d’éducation. Et parfois même dans des bars.

Ils ont remis ça ce matin. Nous sommes le 22 mars. Cette fois c’est à Bruxelles que ça s’est passé. A l’aéroport et dans une station du métro. Ils ont fait sauter des bombes, entraînant d’autres êtres humains avec eux.
L’idéologie, c’est le culte d’une idée. C’est une idée fixe : mener le Jihad, convaincre ou tuer les mécréants, mais aussi contrôler la vie sexuelle des hommes et des femmes. Le pur et l’impur, le juste et le faux. Pour moi, l’idéologie, c’est le contraire de la justice et c’est le contraire de la science.
La justice, ce n’est pas faire la lumière sur les faits pour trouver la vérité, mais faire respecter la loi, comme le dit si bien le juge pénal Michel Racine, personnage joué par Luchini dans le très beau film « L’hermine » (2015). Et la science, c’est l’art de cultiver le doute. Comme le montre le fabuleux long-métrage de Mike Cahill, « I Origins » (2014), pour faire honneur à cette culture du doute mieux vaut se déclarer agnostique (sceptique) qu’athée (incroyant).
Les gamins qui ont attaqué des jeunes de leur génération en ce douloureux mois de novembre 2015 sont fâchés avec la culture du doute. Ils croient savoir. Et ils sont convaincus d’une chose : la justice, ce n’est pas pour eux. Et, quelque part, ils ont raison. Ils en veulent à ceux qui peuvent vivre avec cette justice sans en être blessés. En effet, ceux-ci, elle les protège. Le plus souvent. Mais ces gamins qui sont fâchés avec la justice le sont pour une bonne raison : ils croient qu’elle est contre eux. Ils la trouvent injuste, justement. Car celui qui ne peut reconnaître la responsabilité de ses actes ne peut qu’être blessé lorsque l’on cherche à la lui imputer.

Ces gamins de Molenbeek, je les ai connus en prison il y a une quinzaine d’années. Pour moi, ils n’ont pas changé. Rien de neuf entre les délits de droit commun que je leur connaissais et ces nouveaux crimes. C’est la même chose qui les fait se mouvoir. Une forme de radicalité, comme dit Olivier Roy. Ce politologue français spécialiste de l’Islam analyse : « Il ne s’agit pas de la radicalisation de l’islam mais de l’islamisation de la radicalité ». S’il savait comme je partage !

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Le psychiatre Serge Hefez commente les propos polémiques de Gérard Collomb sur le lien entre maladie mentale et radicalisation


Le psychiatre Serge Hefez commente les propos polémiques de Gérard Collomb sur le lien entre maladie mentale et radicalisation. Entretien.
PROPOS RECUEILLIS PAR MARC LEPLONGEON
Publié le 23/08/2017
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Associer les hôpitaux psychiatriques à la détection de la radicalisation
Le phénomène inquiète dans les plus hautes sphères de l’État au point que Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur, a proposé, au lendemain de l’attentat de Barcelone, d’associer les hôpitaux psychiatriques à la détection de la radicalisation. Des propos qui font polémique au sein de la communauté scientifique. Dans Le Monde, le psychiatre David Gourion met ainsi en garde contre l’idée selon laquelle les terroristes seraient « essentiellement des malades mentaux ». Aucune donnée ne permet de l’affirmer, écrit-il. Le psychiatre s’inquiète également des « protocoles » évoqués par Gérard Collomb et qui doivent être mis en place entre les ministères de l’Intérieur et de la Santé.

« Serons-nous invités bientôt à remplir une fiche décrivant les symptômes de nos patients susceptibles d’être des fous de Dieu ? D’un point de vue clinique, la plupart des patients schizophrènes en période de bouffée délirante aiguë ont des idées mystiques en relation avec Dieu et la religion. Ceux qui sont d’origine musulmane seront-ils dès lors automatiquement anathématisés ? » s’inquiète-t-il. Pour nourrir ce débat houleux, Serge Hefez, psychiatre et chef de l’unité de thérapie familiale à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, où il mène également une consultation en déradicalisation, a accepté de répondre à nos questions. Entretien.

Le Point : Gérard Collomb veut « mobiliser les hôpitaux psychiatriques pour identifier les individus radicalisés ». Qu’en pensez-vous ?

Serge Hefez : Dit comme cela, c’est très maladroit. Cela ne peut que provoquer une levée de boucliers des psychiatres, lesquels répondent au ministre que leur rôle n’est pas de signaler à la police des gens potentiellement dangereux. Mais la question posée par Gérard Collomb ne doit pas être balayée d’un revers de main. La radicalisation a de plus en plus à voir avec la psychiatrie et je suis convaincu que de plus en plus de profils psychiatriques vont passer à l’acte. Au départ, les recruteurs du groupe État islamique (EI) cherchaient des jeunes plutôt bien structurés n’ayant pas de profil psychiatrique avéré, afin d’en faire des guerriers sur le terrain. Maintenant, la logique s’est inversée : ils veulent faire le plus de mal sur place et le plus rapidement possible.

Voulez-vous dire que le profil des gens qui passent à l’attaque a évolué ?

Oui, ce sont aujourd’hui, de plus en plus, des profils psychiatriques qui ont peu ou pas de relations avec l’EI et qui passent pourtant à l’acte au nom de cette idéologie. Ce sont des gens qui sont déjà dans une structure psychique particulière, et qui vont être convaincus en deux coups de cuillers à pot qu’ils vont obtenir la rédemption en fonçant dans la foule. Attention, cela ne veut pas dire que tous les malades mentaux sont potentiellement dangereux et qu’ils se radicalisent. Mais certains, surtout s’ils ont une pathologie paranoïaque, peuvent être sensibles aux messages véhiculés par l’EI.

N’est-ce pas ce que le ministre de l’Intérieur a voulu dire, lorsqu’il a expliqué qu’un « certain nombre d’esprits faibles qui voient ce qui se passe vont passer à l’acte par mimétisme » ?

Si on enlève cette dénomination « d’esprit faible » qui est là encore maladroite, il est clair qu’il y a un certain nombre de malades psychiatriques qui peuvent passer à l’acte. Le passage à l’acte est quelque chose de contagieux. C’est vrai pour le suicide, c’est vrai pour le terrorisme. La prévention sert à agir à ce niveau-là. Certains malades mentaux peuvent être fascinés par le passage à l’acte, par ce qu’ils voient à la télévision, par les attentats de proximité avec une voiture, une fourgonnette ou un couteau. Tout cela exerce un effet de fascination et peut susciter l’imitation. Une fois que ce constat est posé, que fait-on ? Surveille-t-on plus les malades mentaux ? Les enferme-t-on davantage ? Doit-on les signaler systématiquement aux services de police ? Bien sûr que non. Mais il faut une vigilance particulière des psychiatres sur ces sujets-là et bien avoir en tête que sur la masse des malades mentaux, certains sont plus fragiles vis-à-vis des discours d’embrigadement de type sectaire.

Mais qu’entend-on exactement par maladie psychiatrique ?

Aujourd’hui, on a tendance à englober dans les maladies psychiatriques tous les malaises, vagues à l’âme, dépressions, alcoolisme, jusqu’aux formes les plus poussées de schizophrénie. C’est très confusionnant. Quand on parle de psychiatrie, on parle des personnes qui peuvent relever de l’absence de discernement, c’est-à-dire des personnes qui pourraient relever d’une alternative à la justice du fait de leur pathologie. Ce sont des délires qui troublent tellement leur perception que ces personnes ne sont plus responsables de leurs actes. C’est la fonction première de la psychiatrie : elle sert à déterminer la responsabilité pénale des citoyens afin de les protéger et de protéger la société de ceux qui peuvent s’avérer dangereux.
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