Si la relaxe de Dominique Strauss-Kahn faisait peu de doute dans l’affaire de proxénétisme dit du « Carlton de Lille », la décision du tribunal de ne condamner que René Kojfer était inattendue.
« Je suis le dindon de la farce » lâche René Kojfer, dans le hall du tribunal correctionnel de Lille. L’ancien directeur des relations publiques du Carlton ne peut retenir ses larmes : il est le seul à avoir été condamné dans la très médiatique affaire de proxénétisme aggravé, dont le jugement a été rendu ce vendredi. Il a écopé d’un an de prison avec sursis pour avoir « aidé la prostitution » de quatre jeunes femmes en jouant les intermédiaires.
Vêtu d’un costume gris, l’homme âgé de 74 ans a entendu le président Bernard Lemaire, aussi pédagogue que lors des débats en février dernier, relaxé un à un les treize autres prévenus [il a prononcé quatre condamnations dans le volet financier, NDLR]. Faits prescrits ou n’étant pas couverts par l’information judiciaire, infractions insuffisamment caractérisées, délit commis à l’étranger… En filigrane de ce jugement particulièrement étayé –147 pages ! – s’est dessiné un véritable réquisitoire contre le travail des juges dont il a souligné les multiples faiblesses et une instruction menée à charge.
« Je m’attendais à de la prison ferme »
La première grosse surprise est arrivée près de 45 minutes après le début de l’audience, lors de l’acquittement du tonitruant Dodo La Saumure. Le procureur avait requis deux ans de prison dont un avec sursis ainsi que 10 000 euros d’amende à son encontre, en raison notamment de son passé judiciaire. L’homme affiche treize condamnations au compteur, dont deux pour proxénétisme. Selon Bernard Lemaire, rien ne prouve que le proxénète, Dominique Alderweireld de son vrai nom, ait poussé ses « filles » à participer à ce que la pudeur nomme des « parties fines » à Paris ou Lille. Celui qui est est resté les bras croisés et la mine renfrognée pendant toute la lecture du jugement est le premier surpris en entendant le jugement, lâchant même un « merci » au président avant d’aller se rasseoir. Le principal intéressé confiera à l’issue de l’audience qu’il « s’attendait à de la prison ferme ». « Je suis soulagé et content, d’autant que le président a motivé sa décision. »
Les prévenus se succèdent à la barre et toujours le même refrain. « L’infraction n’est pas établie », suivi quelques instants plus tard de la « relaxe ». Christophe Paszkowski et David Roquet, pourtant qualifiés par le procureur de « recruteur » et « d’intermédiaire » sont à leur tour blanchis. Le président relève une nouvelle fois une erreur des juges d’instruction: les deux parties fines de Washington ne peuvent donc pas être retenues contre eux car le délit été commis à l’étranger. Il les condamnera malgré tout dans le volet financier à respectivement quatre et six mois de prison avec sursis pour « escroquerie » et « abus de biens sociaux ».
La relaxe de DSK, la non-surprise
La relaxe de DSK passerait presque inaperçue tant la salle est abasourdie. Il s’agirait presque de la seule non-surprise de cette décision de justice: le président a en effet suivi le procureur qui avait requis à son encontre la « relaxe pure et simple ». Il a estimé recevable la défense de l’ancien homme fort du Parti socialiste selon laquelle il ne savait pas que les jeunes femmes qui participaient à ces parties fines étaient des prostituées. « La connaissance de leur activité réelle ne peut résulter de leur tenue, de ses pratiques sexuelles ou de son poste au FMI », a expliqué le magistrat.
Et de préciser, comme pour lever tout soupçon: « Le prévenu, qui se revendique libertin n’a pas participé à leur recrutement ou leur rémunération (…) On ne peut pas considérer son rôle d’instigateur sur la base de 35 SMS échangés [avec Fabrice Paszkowski, NDLR] sur une période de 22 mois. On ne peut d’avantage lui reprocher une mise à disposition de ses locaux pour les besoins de la prostitution, dès lors qu’il était présent et qu’il y a participé. » En clair : DSK est un simple client et non « le pivot » d’un réseau de proxénétisme, le « roi de la fête », comme le décrivait les juges d’instruction. En entendant ses mots, l’ancien directeur du FMI, pourtant impassible pendant la lecture du jugement a esquissé un léger sourire avant de se retourner s’asseoir.
« Outreau bis »
Rarement une décision de justice a été un tel camouflet pour l’instruction. Déjà vivement dénoncée lors des réquisitions, le jugement prononcé semble en être l’exact contre-pied. « Nous savions que le débat contradictoire et public montrerait le vide du dossier. Ce jugement a mis à néant l’ordonnance », s’est félicité Henri Leclerc, l’un des avocats de DSK, quelques minutes après le jugement.
De là à faire le parallèle avec d’autres fiascos judiciaires, la tentation est grande. Me Delarue, le conseil de René Kojfer, y cède allègrement. « Ce dossier est au proxénétisme ce qu’Outreau est à la pédophilie », déclare-t-il. Et de préciser : « Cette affaire n’a jamais existé : c’est un ovni judiciaire qui a sombré ». Une comparaison que refuse de faire l’avocat du commissaire Lagarde, Me Bluche, qui préfère parler de « dérives » face à la médiatisation à outrance. Reste désormais à savoir si le parquet ou René Kojfer feront appel de cette décision. Son conseil a indiqué qu’il n’avait pas encore pris sa décision.
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