(1937-1954)”.
Un article publié dans la revue L’Année sociologique, Troisième série (1957-1958), 1958, pp. 29-93. Paris : Les Presses universitaires de France.
L’inceste est envisagé sous des angles différents suivant les disciplines et les auteurs.
Pour certains, il est essentiellement la manifestation d’une perversion bio-psychique dont l’analyse relève de la psychopathologie médicale : médecins et psychiatres doivent, selon eux, conjuguer leurs efforts pour en éclairer les mécanismes.
Pour d’autres, la prohibition de l’inceste est à la base de l’organisation exogamique des sociétés tribales et constitue, de ce chef, la règle fondamentale sur laquelle repose la culture.
D’autres encore envisagent l’inceste comme un processus social qui affecte les rôles respectifs du père, de la mère et des enfants.
N’écartons pas non plus ceux pour qui l’inceste est la cause d’un drame humain : les littérateurs ont mis au jour des éléments importants pour la compréhension de ce phénomène.
Enfin, on peut dire aussi de l’inceste qu’il est une variante de l’attentat à la pudeur et qu’il est réprimé dans toutes les sociétés civilisées.
Ainsi, chaque discipline particulière – la médecine, la psychiatrie, l’ethnologie, la sociologie, la littérature, le droit – en abordant l’étude de l’inceste, se penche plus spécialement sur l’un ou l’autre de ces aspects.
Les études parues sur l’inceste sont très nombreuses.
Les médecins spécialisés dans la pathologie sexuelle ont consacré, depuis fort longtemps, des chapitres substantiels à la pédophilie, à l’alcoolisme, à l’hypergénitalisme, etc., facteurs étiologiques majeurs de l’inceste.
À partir des théories de Freud sur le complexe oedipien, l’école des psychanalystes a enrichi la connaissance de ce phénomène de nombreuses observations cliniques.
En ethnologie, c’est en étudiant l’organisation exogamique que les chercheurs se sont intéressés aux causes de la prohibition de l’inceste.
Les pénalistes, les magistrats, les services sociaux attachés à l’administration de la justice n’ont pas ignoré, eux non plus, cette catégorie importante des attentats à la pudeur.
Nous connaissons, par ailleurs, de nombreux romans et pièces de théâtre dont l’argument central est une relation incestueuse.
Enfin, tout récemment, les sociologues se sont également penchés sur ce problème. K. Weinberg, auteur du premier travail sociologique d’envergure, dénombre plus de 4 500 titres d’ouvrages et d’articles se rapportant à l’inceste [1].
Il faut toutefois faire remarquer que la production sociologique est de loin la plus maigre en comparaison avec celle des autres disciplines. Ceci tient, en partie, à la jeunesse de cette science qui manque encore de chercheurs qualifiés et de concepts théoriques suffisamment au point. Les recherches sociologiques sont rares pour une autre raison encore. L’inceste n’est pas un phénomène issu de l’apprentissage de normes de conduite comme c’est le cas pour la plupart des délits, pour les délits contre la propriété, par exemple. L’inceste peut être considéré comme une réaction individuelle à des conditions d’existence imposées, en quelque sorte, par la société.
En raison de l’intensité du tabou sexuel, ce comportement déviant des normes socialement admises est un des crimes les plus dissimulés et, peut-être, le plus marginal des comportements délictueux portés à la connaissance des autorités et des sociologues.
La rareté des cas a donc éliminé l’aspect morphologique de l’analyse sociologique de l’inceste : toute une branche riche et traditionnelle de la recherche sociologique ne put ainsi lui être appliquée.
Les troubles que l’inceste introduit dans le jeu normal des rôles des divers membres de la famille, le phénomène de groupe qu’est l’inceste, conséquence d’une faible intégration dans la culture de la société globale sont autant de points de vue qui ont, jusqu’à présent, été à peine effleurés par les chercheurs.
La rareté des matériaux, mais aussi la difficulté d’accéder aux sources pour ceux qui ne sont ni juristes ni médecins-psychiatres ont de quoi décourager les rares vocations qui, éventuellement, se présentent. De plus, le chercheur doit établir lui-même les documents de base à partir des dossiers de police et de ceux des Assises, ce qui représente une dépense de temps et de patience considérable.
En abordant la présente étude, nous nous sommes placé dans une perspective sociologique.
Ce qui nous intéresse, ce sont les phénomènes de groupes, les différents aspects de la conscience collective. Nous n’avons pas eu de contacts directs avec les inculpés : l’observation clinique ne fut donc pas à notre portée. Celle-ci doit cependant compléter notre étude car elle seule pourrait apporter des réponses à maintes interrogations que nous ne pouvons que formuler.
Il nous a paru utile, d’autre part, de rappeler brièvement les divers essais d’explication ethnologique de l’origine et la signification de la prohibition de l’inceste car ces recherches projettent des lumières sur la signification qu’on peut attribuer à ce crime dans nos propres sociétés. À la lumière des théories ethnologiques, maintes explications de l’inceste apparaîtront fantaisistes, ou du moins très partielles.
Enfin, avant d’aborder l’analyse des résultats de notre propre enquête, nous rappellerons les connaissances que nous avons de l’inceste dans nos sociétés occidentales.
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