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Il était vingt-deux heures trente et une larme trop tard pour Georg. Lorsque Camille apparut à l’écran, il ronflait en s’affalant sur la moquette.
Camille put lancer un regard triste à Jean resté attentif et ne dirait rien concernant l’émission. Sûrement que ça n’avait aucune gravité, mais elle perdait courage et la notion de ce qui était important ou non. C’était son petit problème de rien du tout. Plus qu’une déception, si fait qu’elle restait là, assise, bien droite. L’attitude de Georg marquait son refus d’écouter, comme un jugement de non-lieu. Ne rien dire… ne rien laisser paraître, garder son cri, comme une note qui corne, cette note coincée pour les organistes, cette note intemporelle, inachevée. Sa prise de parole restait plutôt insignifiante, trop inconvenante pour qu’il l’écoute. Alors qu’elle lui avait lancé, à travers l’émission, toutes sortes de perches afin de lui dire qu’elle gardait tout espoir à travers lui et c’était justement ce qu’il ne voulait pas entendre. Camille, elle, comprenait que la fille que Georg connaissait n’existait plus.
Le lendemain de l’émission, elle avait endossé le rôle de la victime solide devant six millions de spectateurs, mais elle savait que son tuteur de résilience s’était défilé et qu’elle devait faire avec les six millions et sans le tuteur. Elle prenait conscience de la trace plus menteuse. Elle n’était pas encore en mesure de vivre avec l’existence du viol, même si elle affirmait le contraire, mais elle ne serait plus obligée d’oublier. Cette émission avait eu lieu, elle était transcrite : Camille n’était plus une affabulatrice.
Le fait que le père de Camille soit officier supérieur faisait peur aux journalistes, comme si en exerçant une autorité par les armes il devait être plus méchant que les autres. Salutaire, pour Camille, de rester persuadée qu’il avait plus de facultés à exercer son autorité et jouer de la permissivité de la société. Ni plus féroce, ni plus calculateur, mais il était pleutre. Camille soutenait que le système du viol par inceste, d’où qu’il vienne, restait intéressant à étudier pour qu’il cesse de se reproduire. Une méthode totalitaire universelle dans laquelle chacun pouvait se trouver impliqué. Un procédé par lequel les bourreaux s’assurent de la complicité de leur victime et de leur entourage par leur silence, non par mesure de commodité, mais par idéologie dominatrice. Une domination accessible aux plus ou moins influents dans notre société.
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