le panurgisme lexical des médias par Langue sauce piquante

16 février 2011
La question de l’appauvrissement du vocabulaire des médias n’est pas nouvelle : sans cesse sur le métier tu remettras l’ouvrage*.

Une nette tendance moutonnière consiste à adopter les termes mis à la mode* et à les utiliser au détriment d’autres, souvent à tort et à travers, donnant ce sentiment d’uniformité grise, cette impression qu’on lit et entend jour après jour les mêmes litanies, les mêmes tropaires.
Voici dans un premier temps quelques verbes intrusifs : ouvrez un journal, la radio ou la télé, il en tombera par poignées.

Et pour commencer, on ne présente plus initier et entamer, qui phagocytent goulûment tous les verbes indiquant le… commencement : débuter, ouvrir, lancer, entreprendre, engager, etc. Il vaut mieux limiter initier à “apprendre les rudiments de quelque chose à quelqu’un”. Entamer, quant à lui, devrait être réservé au sens de “enlever une partie de quelque chose”, “prélever une première partie d’un tout”. C’est un terme qui devrait rester en cuisine (que l’on pense à l’entame).
Il n’a échappé à personne que les gens ayant un pouvoir de décision tranchent beaucoup, et cela au détriment de moult verbes qui feraient aussi bien l’affaire : décider, choisir, se prononcer, juger, ordonner… Mais non, il faut toujours que le journaliste reprenne une petite tranche de ce verbe qui multiplie les jugements de Salomon.
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* Cela pour couper le sifflet à tous ceux qui seraient tentés de dire : vous vous répétez.
* Notamment par les agences de presse.

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Film – Le Ruban blanc de Michael Haneke – Allemagne

Le Ruban blanc Un film de Michael Haneke
(Allemagne / Autriche / France / Italie, 2009, 144 mn)
Avec Rainer Bock, Christian Friedel, Susanne Lothar, Burghart Klaussner… Avec sa noirceur habituelle, Haneke fait réfléchir sur les mécanismes de la violence ordinaire en disséquant la psyché d’une petite communauté paysanne au début du XXème siècle. Le diable a parfois le visage d’une petite fille…
Interview arte.tv : Michale Haneke
Le réalisateur Michale Haneke à propos de son film « Das weisse Band » (« (Le Ruban blanc) »).

Synopsis : Un village de l’Allemagne du Nord protestante. 1913/1914. À la veille de la première guerre mondiale. L’histoire des enfants et adolescents d’une chorale dirigée par l’instituteur du village, leurs familles : le baron, le régisseur, le pasteur, le médecin, la sage-femme, les paysans. D’étranges accidents surviennent et prennent peu à peu le caractère d’un rituel punitif. Qui se cache derrière tout cela ?
Critique : Beau à tomber par terre, filmé dans un noir et blanc de gravure, ce « Ruban blanc » déroule des paysages de campagne nordique à perte de vue. La voix off d’un instituteur vieillissant se souvient alors par chapitres de quelques incidents qui ont bouleversé une petite communauté paysanne dans sa jeunesse en Allemagne du nord au début du siècle. Si le contexte et l’esthétique du film évoquent un peu les films de Carl Theodor Dreyer, l’univers lui est bien celui d’Haneke : une dissection clinique et légèrement perverse de la violence, de la culpabilité et du côté obscur de la psyché humaine. Le film égrène dans une lente litanie des actes de malveillance assez brutaux et anonymes qui frappent ce petit village en crescendo : un accident de cheval provoqué, un incendie de grange puis les tortures de deux enfants… Ici les innocents se comptent sur doigts d’une main et sont souvent les victimes : le jeune instituteur (narrateur) et sa future femme Eva, deux tout petits garçons, un jeune handicapé mental et une fillette aux rêves prémonitoires. Les adultes en général montrent une autorité rude (le régisseur et le baron), une froideur toute protestante à l’image du pasteur qui fait peser la chape de plomb de la morale et d’un protestantisme strict sur sa famille comme sur ses paroissiens. Le pire de tous, le docteur fait régner une sournoise terreur chez lui. Il se rend coupable d’inceste sur sa fille et torture mentalement sa maîtresse et gouvernante dans des scènes éprouvantes qui rappellent la cruauté des « Scènes de la vie conjugale » de Bergman. Mais les personnages les plus inquiétants sont une bande d’enfants menés par la sinistre Klara, la fille du pasteur. Une fois de plus chez Haneke, les enfants deviennent symboles de toute une civilisation. Cette histoire et le noir et blanc noir et blanc, somptueux mais glacé, rapproche le film d’un autre aussi troublant : « Les Désarrois de l’élève Törless » (1966) de Volker Schlöndorff qui raconte les comportements sadiques d’une classe d’adolescents dans une académie militaire au tout début du XXe siècle. Dans « le Ruban blanc » aussi, tout au long de l’histoire, le fantôme de la montée du régime nazi quinze ans pus tard devient un fond obsédant à l’action. Ce ruban du titre, qui symbolise l’innocence et la pureté des enfants pour le pasteur, pose un contrepoint ironique à leur machiavélisme dans le film. Dans ce « village des Damnés », la violence avance masquée, les soupçons ne mènent à rien, on enterre les incidents avec facilité et le déni, l’aveuglement des adultes face à leurs fautes et à celle de leur progéniture sont de mise. Avec sa noirceur habituelle, Haneke s’attache à faire réfléchir sur les mécanismes du sadisme, il s’interroge sur la naissance de la violence et la réaction à cette violence latente ou non. Il montre un monde où tous (ou presque) sont coupables. Même si la violence est une réaction, et répond plus ou moins à la maltraitance des enfants, il parle aussi d’autre chose de plus mystérieux dans le ressort du crime même le plus anodin : le manque voire l’absence totale d’affect plus horrifiante que tout. Et comme dans « Benny’s Video » « Funny games » ou « Caché », la perversion la plus troublante se cache sous la pureté, sous les traits de cette « prochaine génération » qui obsède le cinéaste et qui, sous des dehors très polis, se révèle maléfique. Quand le mal parfois prend le visage d’un enfant…

Delphine Valloire