L’interrogatoire de l’accusé, entamé vendredi, s’est poursuivi avec les questions des avocats mardi, à Rennes.
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Quand on lui relit ses « mensonges », Daniel Legrand est presque surpris. « Donner autant d’inventions, ça me paraît énorme », reconnaît-il à la barre, de sa grosse voix rauque et mâtinée d’accent cht’i. Mais il le redit publiquement, au moins pour la quatrième fois depuis le début de l’affaire Outreau : ses aveux étaient destinés à sortir de prison puis à prendre Myriam Badaoui à son propre piège.
L’interrogatoire de l’accusé, entamé vendredi 29 mai, s’est poursuivi avec les questions des parties, mardi 2 juin, à la cour d’assises de Rennes (Ille-et-Vilaine). Le jeune homme de 33 ans, acquitté en 2005 pour les accusations postérieures à ses 18 ans, est rejugé pour des viols et des agressions sexuelles qu’il est accusé d’avoir commis sur les quatre enfants Delay entre ses 16 et ses 18 ans. Daniel Legrand, qu’on avait peu entendu jusqu’à présent, a de nouveau été confronté à ces fameux aveux, qui ont pesé lourd dans son dossier puisqu’il avait d’abord été condamné en première instance à Saint-Omer, en 2004.
« Quand j’ai menti, je faisais en sorte de bien mentir »
L’avocat Patrice Reviron, qui défend Jonathan Delay, les a repris point par point, pour démontrer sa conviction : Daniel Legrand ne peut avoir formulé des aveux aussi « détaillés » simplement pour sortir de prison ou contraindre Myriam Badaoui à dire la vérité. A titre d’exemple : « Comment a-t-il pu désigner les deux filles de Sandrine Lavier [acquittée en 2005], effectivement reconnues victimes, puis leur mère, en précisant qu’elle venait avec ‘ses filles’ chez les Delay ? » « C’est le hasard », répond Daniel Legrand.
« Comment, encore, a-t-il pu décrire Jean-Marc Couvelard, [un homme lourdement handicapé accusé par les enfants, puis rapidement mis hors de cause], comme quelqu’un ‘d’agressif, violent et pas normal’ s’il ne le connaissait pas ? » « J’ai fait une description imaginaire », rétorque Daniel Legrand. « Quand j’ai menti, je faisais en sorte de bien mentir », poursuit-il, les deux mains bien accrochées à la barre (Daniel Legrand a préféré être interrogé là que dans le box des accusés).
Me Reviron poursuit sa charge : « Pourquoi accuser des innocents s’il l’était lui-même? » « Le juge m’a présenté un album photo, il mettait les doigts sur les photos alors, moi, je disais ‘oui, peut-être’… », avance Daniel Legrand, confirmant là les déclarations de Myriam Badaoui, entendue la semaine dernière. Début 2002, Daniel Legrand s’est finalement rétracté. Interrogé sur la réaction du juge Fabrice Burgaud, l’accusé mime devant la cour un magistrat « les mains dans les poches », qui fait « une sale tête et le regarde méchamment ». Myriam Badaoui, encore plus expressive, l’avait représenté en train de taper du poing sur la table.
« Il n’y a pas de petite fille morte ! »
De l’accusatrice en chef du dossier Outreau, qui a reconnu à plusieurs reprises avoir menti, Daniel Legrand se souvient d’une femme qui avait aussi « une sale tête » et « l’air méchant ». Pour sa défense, il rappelle à la cour qu’elle l’a largement inspiré pour le contenu de ses aveux, puisqu’il avait été confronté directement à cette mère incestueuse et à ses co-accusateurs (David Delplanque et Aurélie Grenon) quelques jours après sa garde à vue. A plusieurs reprises devant le juge, Daniel Legrand, vierge et peu coutumier des mots « pénétration », « sodomie » ou « godemichés », répète alors à l’envi : « Comme elle dit Myriam. »
Me Reviron s’étonne, lui, du nombre de similitudes entre la description, en 2001, du meurtre d’une fillette belge chez les Delay par Daniel Legrand – l’élément qui a fait basculer l’affaire – et celle de Myriam Badaoui, qui a confirmé à l’époque, à la grande surprise du jeune homme, ce « stratagème » destiné à faire éclater les mensonges de cette femme. Tous deux parlaient ainsi d’une « peau bronzée », Daniel Legrand d’un « pyjama bleu » et de « baskets blanches », Myriam Badaoui d’un « jogging bleu » et de « chaussures rouges », pointe l’avocat de Jonathan. L’hypothèse de questions induites par le juge Burgaud avait été évoquée par la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire en 2006.
« J’étais excellent ! »
Le commissaire Masson, qui dirigeait l’enquête à la police judiciaire de Lille, a eu cette réflexion à la barre la semaine dernière : « Je me souviens de m’être dit : ‘Ou l’affaire du meurtre est vraie et l’affaire Outreau tient, ou elle n’est pas vraie et le dossier s’effondre’. » Ce volet, dissocié du volet pédophilie par le juge Burgaud, a fait l’objet d’un non-lieu en 2007. La défense le rappelle avec véhémence : « Mais il n’y a pas de petite fille morte ! » « On n’en sait rien », rétorque Me Reviron, lourd de sous-entendus. Il lance à Daniel Legrand : « Franchement, tout le monde dit que c’est admirable, votre raisonnement [de l’époque]. Pas moi ! » « Si je n’avais pas menti, peut-être que je serais encore en prison ! » lui oppose l’accusé avec aplomb.
A la sortie, Daniel Legrand, entouré par ses avocats, se prête au jeu des questions-réponses avec les médias. « Alors comment ça s’est passé ? » « J’étais excellent ! Ils m’ont posé des questions et j’ai su répondre du tac au tac ! » Le verdict sera rendu vendredi.
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