21 juin 2004 – Outreau – Enfants – Des paroles si fragiles

21/06/2004
Leur témoignage occupe une place clef dans les affaires d’agressions sexuelles et de maltraitance. Mais le procès d’Outreau est venu relancer la vieille suspicion : faut-il les croire ? En vérité, c’est un travail très difficile pour les enquêteurs, les juges, les experts d’apprendre à les écouter.
Exemples
Tête blonde au-dessus du micro, Malvina s’accroche à son silence. Elle n’entend pas la question du magistrat :
« Est-ce que vous vous souvenez de certaines choses ? »
Ce « vous » s’adresse à elle, malgré ses 9 ans. La petite fille est tétanisée. « Votre père, c’est qui ? »
insiste Jean-Claude Monier, président de la cour d’assises du Pas-de-Calais, en ce jour étouffant de mai.
« Vous souvenez-vous du nom de votre papa ? »
Elle veut sortir, file aux toilettes, puis revient. Sur un écran se met à défiler la vidéo de son audition, enregistrée il y a trois ans au commissariat de Boulogne-sur-Mer.
Malvina est l’une des enfants victimes dans le procès d’Outreau : elle accuse de violences sexuelles un couple de voisins et son propre père. A l’écran, l’enquêteur lui demande :
« Tu as dit qu’on t’avait fait des manières ? »
Oui de la tête.
A chaque question, elle mime oui ou non. Fin de la cassette.
Le président, à Malvina :
« Vous ne vous souvenez plus ? Ou vous ne voulez pas en parler parce que ce serait pénible ? »
Elle dit : « Un peu. »
Oui, ce fut « un peu », voire très pénible, pour les enfants d’Outreau de raconter, puis de répéter leur calvaire. Oui, leur récit fut jugé « un peu », puis très crédible par les enquêteurs, les experts psys et le juge d’instruction, qui n’a d’ailleurs pas organisé la moindre confrontation. Pour toutes ces raisons, ce qui devait être le procès de l’un des plus gros réseaux de pédophilie en France a viré au fiasco judiciaire. Il a fallu le coup de théâtre de Myriam Delay, personnage central du dossier, pour que la thèse du réseau s’effondre, le 19 mai, sous le poids des incohérences :
« J’ai menti », a-t-elle dit. Le chauffeur de taxi ne les aurait pas violés.
Ni l’huissier. Ni la boulangère. Ni le prêtre. Ni aucun autre des 13 accusés qui crient leur innocence depuis trois ans. Ils n’étaient que quatre, les couples Delay et Delplanque, dit-elle. Avant de se rétracter.
A l’issue d’un invraisemblable chaos, le président a disqualifié la psychologue Marie-Christine Gryson et ordonné de nouvelles expertises, pour les 21 et 22 juin.
Poursuivis pour viols avec torture et actes de barbarie, certains prévenus risquent de vingt à trente ans de prison.
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Autres billets sur la parole
2 février 2010 – France-Culture – L’enfance, le secret et la justice

6/ J’adressais des messages confus que j’imaginais 
suffisamment clairs par Chérif Delay dans Je suis debout

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Quand j’arrivais à m’exprimer, toujours indirectement, personne ne saisissait. Je n’arrivais pas à dire 
les choses dans le langage des grands, mais je n’arrêtais 
pas d’envoyer des SOS, comme des bouteilles jetées à la 
mer…
Aidez mes frères !
Je faisais des dessins. Il suffisait 
de les regarder. Tous ces pros n’avaient pas la bonne 
formation, ou alors ils ne pouvaient pas voir parce qu’ils 
avaient la tête brouillée par l’idée qu’il faut se méfier 
des enfants parce qu’ils sont des menteurs…

Écartelé entre le désir de sauver mes frères, et la peur 
du pire si je dénonçais Delay, ma mère et leur clique de 
pervers, j’adressais des messages confus que j’imaginais 
suffisamment clairs.
Le temps passait en mode survie. Tous les quinze 
jours, je devais retourner en enfer. Un jour, tout de 
même, j’ai fini par dire stop ! Oh ! Pas comme vous 
l’espérez. J’ai simplement pu dire :
– Je ne veux plus rentrer chez moi !
– Pourquoi?
– Je veux plus voir ma mère.
Incapable de dire les viols. Alors, une fois de plus, 
je suis passé pour un sale caractère.

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Autres billets sur le livre Je suis debout de Chérif Delay
2/ Autofiction, dans « Je suis debout » de Chérif Delay
3/ La responsabilité du suicide de l’un des acquittés d’Outreau
4/ La suite, je l’ai vécue comme pendant les viols. Dissocié. J’étais à la barre, mais totalement absent