Chérif Delay est l’aîné de la fratrie des enfants victimes d’Outreau (les quatre petits Delay et huit autres), dont le troisième procès est sur le point de se clore. L’inculpé pour pédophilie Daniel Legrand-fils est une nouvelle fois en passe de se faire acquitter.
Chérif était, ces dernières années, parti « oublier » les procès et l’affaire à Dakar, au Sénégal. C’est là que Serge Garde, qui réalisera par la suite le documentaire Outreau, l’autre vérité pour le cinéma, l’avait retrouvé. C’était il y a quatre ans. À l’époque, Chérif ne voulait plus qu’on l’appelle Kévin, prénom celtique dont l’avait affublé son beau-père calaisien – selon plusieurs sources, pour mieux le prostituer. En devenant majeur, Chérif avait le choix : parler ou se taire à jamais. Il fit le premier, et raconta son enfer à Serge. Ce sont ces images que je vous propose de voir aujourd’hui.
Elles font froid dans le dos. Elles décrivent une souffrance inimaginable, celui de l’enfant qui endure et ne peut rien dire. De cette interview et du film qu’en tira Garde, puis de deux livres sont nés ce que les avocats des acquittés d’Outreau, Éric Dupond-Moretti en tête, appellent aujourd’hui le « complot révisionniste » d’un quarteron d’internautes et d’experts pédopsychiatres. On a le droit d’être circonspect devant cet argument.
Moi, je ne suis pas là pour juger. Je suis là pour écouter, et essayer de me faire un avis. J’entends comprendre, sans que tel ou tel tribun de la presse ou du barreau ne me l’impose. Car cette affaire d’ Outreau est si étrange qu’on en ressort, même après trois procès, avec une seule certitude : face au fléau pédophile, la justice française est complètement démunie, et impuissante. On en ressort à chaque fois avec le sentiment diffus que tout le monde ment.
La décision du jury pour « Outreau 3 », n’est pas encore tombée « à l’heure où nous mettons sous presse », comme on disait quand il y avait encore une presse et des journaux en papier. Notons néanmoins que cet adage est bidon. Preuve en est qu’il y eut un procès Outreau 1 – de mai à juillet 2004 – et en appel, un procès Outreau 2 – au mois de novembre 2005. Entre-temps, on avait donc dû largement se permettre de commenter la première décision de justice afin d’en arriver à la seconde.
Je vous refais le pitch, en bref, au cas où vous reviendriez d’un très long hiver d’une quinzaine d’années : à Outreau, Pas-de-Calais, dans le quartier de la Tour du Renard, douze enfants furent selon leurs dires que la justice écouta en les indemnisant violés pendant des années par plusieurs pédophiles. Qui étaient-ils, ces pédos ?
Version procès 1 : parmi dix-sept accusés, treize d’entre eux sont condamnés.
Version procès 2 : finalement, il n’y a plus que quatre d’entre eux qui sont coupables. À savoir le célèbre couple Delay-Badaoui, doublé de leurs voisins les « D-G » (on les appelle comme ça parce qu’ils sont aujourd’hui libres, et qu’ils auraient le droit à l’oubli) tombent pour « viols, agressions sexuelles, corruption de mineurs et proxénétisme ». Je mets le mot en italique exprès, car on va y revenir.
On acquitta les personnes qui croupissaient en prison pour rien, et lors d’un grand show diffusé en direct, une impressionnante commission d’enquête parlementaire jura ses grands Dieux que plus jamais la Justice ne mettrait des innocents en prison – et déculotta publiquement le jeune Juge Burgaud.
Et on en arrive à un pauvre remake organisé à Rennes depuis trois semaines et jusqu’à aujourd’hui, Outreau 3. Il s’agissait d’y juger Daniel Legrand fils (condamné en 2004, puis blanchi en 2005) pour des viols commis à la Tour du Renard lorsqu’il était mineur. Pourquoi maintenant, me direz-vous, si longtemps après ? Parce qu’après, il y aurait eu prescription. Et que cette prescription, le syndicat FO de la magistrature et l’association Innocence en Danger n’en voulaient à aucun prix.
Ils espéraient qu’au cours de cet ultime round judiciaire, la vérité sortirait, non pas de la bouche des enfants, reconnus victimes et venus déposer, continuant d’accuser certains des acquittés – mais des acquittés eux-mêmes…
Cela n’a pas eu lieu. Je ne m’avance guère, à l’heure où nous mettons sous presse donc, pour vous annoncer le non-lieu de Daniel Legrand-fils, qui sera porté en triomphe, dès ce soir, de Rennes jusqu’à Outreau.
Mais, revenons à la qualification de proxénétisme pour laquelle quatre condamnés se retrouvèrent en prison – Thierry Delay y est, lui, toujours… En toute logique, s’il y a eu proxénétisme de leur part, c’est qu’il y avait des clients ? Je veux dire : à part eux-mêmes – qui ne pouvaient pas être leurs propres clients. Où sont-ils passés, alors, ces clients ?
J’ai confiance en la justice de mon pays, et je la suis comme un seul homme quand elle me dit que ces clients, ce ne sont pas les acquittés d’Outreau 2 (et l’acquitté à venir d’Outreau 3). Seulement voilà : maintenant que cette affaire est close pour toujours, je reste sur ma faim. Alors j’avais envie d’entendre ce que dit celui « par qui le scandale est arrivé », Chérif. La vidéo est sur ma chaîne YouTube Karl Zéro Absolu, maintenant.
Thèmes : Outreau, procès d’Outreau, France, Pas-de-Calais, Karl Zéro, Chérif Delay, Daniel Legrand
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