Procès Outreau : le face-à-face glaçant de Thierry Delay avec ses enfants

Logo-francetvinfoCondamné à vingt ans de prison en 2004 pour viols et agressions sexuelles à l’encontre de douze enfants, dont les siens, Thierry Delay a maintenu mardi qu’il ne connaissait pas Daniel Legrand, l’accusé de ce « troisième procès Outreau ».

Compte rendu d’audience – Mardi 26 mai 2015 – Hélène Romano

Logo-Outreau-une-mise-au-pointCe mardi matin, il y avait comme une ambiance de fête de famille au procès de Daniel Legrand : on se salue longuement entre confrères journalistes, les avocats de défense saluent chaudement leurs porte plumes, et Daniel Legrand serre la main aux journalistes puis à ses avocats. Il faut dire que tout le monde se connaît à force.
On a même repéré les « conspirationnistes », les seuls à prendre des notes du début à la fin des débats, soit dit en passant.
Ensuite, Eric Dupond et Franck Berton font leur petite conférence de presse (dans la salle d’audience), distribuant leurs petits communiqués de presse, avec les éléments de langage que vous retrouverez dans, hélas, la plupart des médias.
Dimitri devait être entendu, mais il n’était « pas en état » de témoigner. On attendait aussi la venue de Gérard Lopez, psychiatre et fondateur de l’institut de victimologie de Paris, qui est dans l’incapacité de venir, et nous lui donnons toutes nos pensées les plus positives.

1. Hélène Romano

C’est donc Hélène Romano, docteur en psychopathologie, qui a été la première à passer à la barre. Elle est venue expliquer comment fonctionnent les victimes, ce qu’est la mémoire traumatique.
Elle explique que lors d’un événement comme un viol, la gestion du stress entraîne une incapacité à mémoriser correctement, et leur mémoire « ne peut pas être linéaire » car ces victimes subissent une dissociation.
« La mémoire traumatique est une mémoire purement émotionnelle », détaille Hélène Romano, « ces victimes ne peuvent pas vous faire un récit chronologique, ce qui est une preuve d’authenticité ». Des effets encore plus marqués quand les abus sont commis par des proches.
La spécialiste ajoute que quand ces victimes tentent de relater les faits, « leur récit est en miettes, éclaté. On ne peut pas attendre d’une victime qu’elle donne un récit linéaire ». Du coup, quand on les interroge, on estime facilement que leur discours n’est pas authentique, et on estime qu’ils mentent.
Le président lui demande alors pourquoi les enfants Delay ont dit récemment des choses qu’ils n’avaient pas dites avant (a priori il fait référence aux accusations contre Daniel Legrand, qui n’avaient pas été explicitées auparavant par deux des frères Delay).
« La mémoire traumatique varie suivant la manière dont l’enfant a vécu et suivi les faits, selon son état psychique. Parfois, la mémoire de l’émotion peut se débloquer, des éléments du passé prennent sens, des sensations reviennent », explique Hélène Romano, « certains éléments réactivent le traumatisme, par exemple un procès ».
Le président lui demande alors comment on peut savoir « qu’un souvenir reconstitué n’est pas un souvenir reconstruit »?
Hélène Romano rappelle l’existence d’une théorie obscure, appelée les faux souvenirs, et rappelle que « ce que l’on sait, c’est que la restitution d’un souvenir, c’est la dimension émotionnelle et sensorielle qui est réactivée ». Pour elle, « le fait de ne pas être sûr de sa mémoire » est un gage d’authenticité.
Précisons qu’à ce stade, nos amis du Figaro, du Monde et de La Voix du Nord n’avaient encore rien noté sur leurs carnets. Il faut dire que ces explications, qui tendent à valider les déclarations des enfants, ne plaisent pas beaucoup aux avocats de la défense.
Elle explique aussi comment un enfant peut mélanger deux personnes (« s’il y a plusieurs agresseurs, le nom qui revient est celui qui a le plus marqué », et « deux auteurs ne peuvent faire qu’un dans le souvenir de la victime ») ou bien désigner la boulangère comme un homme, notamment « si elle n’est pas très féminine », ce qui était le cas de Roselyne Godard.
Elle rappelle ensuite à quel point un procès au cours duquel ils doivent témoigner est traumatisant pour ces victimes, précisant que « c’est un moment hautement à risque du point de vue psychique ».
Questionnée par l’avocate d’Enfance Majuscule, Hélène Romano revient sur ce que représente pour un enfant d’être traité de menteur par des avocats, par un tribunal, par la presse : « c’est une violence indiscible que de traiter un enfant de menteur. Il témoigne comme il peut, avec ses mots à lui, de ce qu’il a vécu. Cela peut tuer psychiquement d’être traité de menteur à ce moment-là ».
Elle rappelle aussi qu’il est essentiel de prendre correctement en compte la parole des enfants, en précisant « qu’un enfant victime peut être sous emprise et il peut détourner ses accusations pour ne pas s’enfoncer davantage ».
Elle explique encore qu’avant 6 ans les enfants n’ont pas la capacité à construire un mensonge, et évoque ensuite les mineurs auteurs d’agressions sexuelles (ce qui pourrait être le cas de Daniel Legrand, qui dodelinait de la tête toute la matinée) « sont à 80% des mineurs victimes, qui agressent parce qu’ils sont débordés par ce qu’ils ont vécu ». Et elle ajoute que « l’agresseur aussi peut avoir des difficultés à nommer ce qu’il a fait ».
Hélène Romano insiste enfin sur le fait que ces violences, ces chaocs traumatiques, ont d’importantes conséquences sur la santé ».
L’avocat général, manifestement décidé à venir en aide coûte que coûte à Daniel Legrand, tente d’attaquer avec la fumeuse théorie des faux souvenirs, ce à quoi la psychologue répond que « le mot ‘faux’ ne correspond pas à la réalité de l’enfant ».
Puis, le club des 6 passe à l’attaque, d’abord Eric Dupond (Moretti), qui lui demande – un régal – si elle a vu les enfants, si elle était aux autres procès, si elle connaît le dossier. Il insiste encore, demandant (sans attendre les réponses évidemment, le but est seulement de nous faire son laïus) pourquoi elle s’exprime sur ce dossier.
On serait pliés de rire si Dupond n’était pas d’aussi mauvaise foi, parce que c’est bien le clan de la défense qui a fait venir un certain Paul Bensussan, qui n’a jamais rencontré un seul des enfants d’Outreau, et, selon Hélène Romano, « n’a jamais reçu un enfant en thérapie », pour expliquer à la cour qu’il ne faut pas prendre au sérieux la parole d’enfants « carencés ». Autant dire que c’est le jour et la nuit avec ce que dit Hélène Romano, mais là ça ne dérangeait pas Dupond qu’un type qui ne connaissait rien au dossier vienne donner son avis.
Puis Dupond enchaîne sur une histoire d’amalgames, de blogs, précisant que « ces enfants ont été reconnus victimes et ils le sont », mais ajoutant que « au total plus de 50 personnes ont été mises en cause ».
Puis il continue sa tirade, disant qu’Hélène Romano « n’est ni témoin ni experte », alors qu’elle est régulièrement appelée à témoigner dans des tribunaux, qu’elle publie à l’INSERM et participe à des colloques internationaux. Mais on connait la vieille habitude de Dupond et ses copains : taper sur les experts, détruire les témoins même au recours de mensonges de bas niveau (mais est-il vraiment capable d’autre chose ? Cela reste un mystère), décrédibiliser les victimes. Un beau travail de la part d’un type qui ose critiquer des citoyens un peu moins endormis que la moyenne.
Il fait des raccourcis, sort des phrases de son contexte, et on arrive très vite au premier cirque de la journée (il y en aura au moins une dizaine, tous du fait de la défense).
Ce à quoi Hélène Romano lui répond qu’il est « dans l’instrumentalisation », et le président lui demande de « passer à une autre question ». Car de toute manière, Dupond se tape des réponses.
Le ténor de Lille tente ensuite d’attaquer Hélène Romano parce qu’elle a dit que la boulangère qu’elle ne connait pas et elle l’a précisé « n’était peut-être pas trés féminine », ce qui est un fait. Bien-sûr, Dupond en profite pour nous faire son exposé sur la boulangère, exposé sans aucun intérêt pour le débat.
Dernière carte: il revient sur l’affaire du cadavre de la petite fille qui aurait été mis sous le lit d’un des enfants Delay, ce qui pour lui est faux. Il demande au témoin : « qu’est-ce que ça vous inspire ? », et c’est le président qui doit le couper une fois de plus : « de quoi parle-t-on là ? ». Car oui, une fois de plus on s’égare, on nous refait les procès d’Outreau et on s’éloigne du cas Daniel Legrand.
C’est ensuite Me Vigier, avec son sourire de… (censuré) qui tombe sur le témoin, rappelant qu’elle n’était pas là pendant les témoignages de Jonathan et Chérif (il est interdit aux témoins d’assister aux débats, mais peut-être que cet avocat l’ignore). Ouis il déclare : « quelle que soit la question, votre réponse est la même : vous sacralisez la parole de l’enfant, vous n’êtes pas en croisade ».
Donc prendre en compte la parole de l’enfant sans la jeter automatiquement à la poubelle reviendrait à la « sacraliser » ? Voilà le genre de raisonnements qui nous a amenés à toutes ces affaires de pédophiles dans nos écoles.
Bref, là encore, c’est le cirque à l’audience, tout le monde crie, et le président doit rappeler la défense à l’ordre, expliquant à Vigier de ne pas faire « les commentaires après vos questions ». Ce qui est en effet une habitude fâcheuse quand on prétend vouloir la sérénité des débats.

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