Procès d’Outreau : l’ex-juge Fabrice Burgaud sous le feu des critiques

Logo-Le-paisien-TVL’ancien juge d’instruction Fabrice Burgaud a une nouvelle fois défendu vendredi à Rennes, avec difficultés, son instruction de l’affaire Outreau, à la barre du procès d’un des 13 acquittés d’Outreau, Daniel Legrand, accusé de faits de pédophilie non jugés, commis avant ses 18 ans.

22 Mai 2015, 16h17 | MAJ : 23 Mai 2015, 00h42

L’homme au coeur du fiasco judiciaire d’Outreau apparaît à l’écran. Au quatrième jour du procès de Daniel Legrand fils, qui comparaît devant la cour d’assises de Rennes (Ille-et-Vilaine) pour des viols commis lorsqu’il était mineur, le juge Fabrice Burgaud, en charge du dossier à l’époque, s’est expliqué une nouvelle fois devant le tribunal ce vendredi.

Mais par visioconférence depuis Paris.

Aujourd’hui âgé de 43 ans, l’ancien juge d’instruction de Saint-Omer, désormais auditeur auprès de la cour de cassation, commence par une déposition longue de 45 minutes.
Legrand donnait «des détails précis»

Il reconnaît avoir eu «des doutes sur la participation» de Daniel Legrand fils et même s’être demandé «s’il n’était pas victime plutôt qu’auteur». Mais 15 ans après le début de l’affaire, il défend toujours son instruction même s’il a convenu, pour la première fois, de plusieurs faiblesses dans son travail.

Il rappelle qu’avant de se rétracter, Daniel Legrand fils, alors âgé de 20 ans à peine, « a avoué les faits à trois reprises », sans « aucune pression » de sa part.

Et d’ajouter : Daniel  Legrand « disait les enfants hurlaient, les enfants criaient. ». Il donnait des « détails précis », qui ne pouvait provenir d’informations publiées par la presse. Selon l’ancien juge d’instruction, « quand des gens inventent des faits, ils ne donnent pas des détails de crédibilité » Pour lui, « il avait l’air sincère. » Autre circonstance troublante d’après Fabrice Burgaud : « Au moment de ses aveux, il s’est excusé spontanément auprès des victimes pour le mal qui leur a fait. »

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Outreau : l’intégralité de la déposition de Chérif Delay

1410205722_logo-vdn-web-test-3Publié le 22/05/2015
De notre envoyé spécial à Rennes, Eric Dussart

Chérif Delay est arrivé en milieu d’après-midi, jeudi, dans la salle des assises d’Ille-et-Vilaine. Entouré de deux gendarmes : il est détenu à Rennes, pour des faits de violence, et soigné en service de psychiatrie. Il s’est assis sur les bancs de la partie civile, juste devant son frère Jonathan. Les deux hommes se sont serré la main. Chérif dans son survêtement aux couleurs de l’Olympique de Marseille, son jeune frère en costume bleu clair.

La déposition du deuxième fils de Myriam Badaoui (on sait qu’il y en aura une troisième, avec Dimitri, mardi matin) était évidemment très attendue. Elle a été l’un des temps fort de la première semaine de ce procès, plongeant parfois la salle d’assises dans un profond malaise. Ce jeune homme est dans une grande souffrance, c’est évident. Au fil de ses réponses, ses propos ont paru de plus en plus fragiles. C’est pourtant sur ses accusations, entre autres, que devra se prononcer la cour d’assises.
Le président Philippe Dary s’est adressé à lui avec beaucoup de sérénité. Après lui avoir demandé son identité (« Chérif Delay, né le 18 février 1990 »), M. Dary l’a laissé s’exprimer spontanément, d’abord, avant de lui poser des questions.
Chérif Delay « Je vais vous parler par rapport aux souvenirs que j’ai encore, mais certains sont lointains. Je vais répondre aux questions. Je vais le faire sans aucun problème, M. le président. Je me souviens de choses très lointaines. Je me souviens d’une mère qui n’a pas voulu m’accepter, et qui a fini par prendre ses responsabilités. Elle s’est remariée avec un homme… un homme que je ne veux pas nommer, parce que je ne sais pas qui il est.
Je voulais un père et je ne l’ai pas eu. Jusqu’à M. Darque. (L’époux de son assistante maternelle NDLR)
Les faits ont commencé quand j’avais cinq ans, à Noël. Je me souviens que mon beau-père voulait ouvrir les cadeaux avant tout. Les ouvrir tout de suite. Moi, je rêvais comme tout le monde dans cette salle, je suppose, de dessins animés, et j’ai eu une cassette porno. Je ne savais pas ce que c’était. Mais j’ai eu ça. J’ai tout de suite dit que je n’aimais pas. Que je ne trouvais pas beau ce que je voyais. Mais tout de suite, quand le film a été fini, il est venu et m’a fait les mêmes choses, dans les mêmes positions.
(A cet instant, Chérif Delay détaille des sévices cruels. La noirceur terrifiante de l’inceste. De la part de son père, puis de sa mère.)
Ensuite, je suis parti dans des familles d’accueil. J’allais chez mes parents le week-end, et pour les vacances. Je n’ai pas voulu ces flashes, j’ai voulu esquiver ces situations qui me faisaient tellement mal.
Je me souviens d’une personne qui est venue avec une enveloppe marron. Je regardais par le trou de la serrure. A partir de là, j’ai vu défiler des gens chez moi. Mon beau-père s’en prenait à moi, à coups de ceinture. J’étais exclu de la fratrie, à cette époque. Je n’étais pas son fils, je n’avais pas le droit de l’appeler papa. J’ai dû manger ses excréments. Parce que je n’avais pas la même couleur que lui, pour lui, j’étais une merde. C’est ce qu’il disait.
Cette personne qui est là (Daniel Legrand ndlr), je la reconnais en tant que victime, lors d’une agression, chez moi. Il y avait Thierry Dausque, son père Daniel Legrand, Monsieur Wiel. Je dis Monsieur parce que je fais preuve de respect, mais je pourrais dire des grossièretés.
C’est un ressenti, aujourd’hui, qui me pourrait la vie. J’ai beaucoup de flashes qui se mélangent, à cause de l’ancienneté des faits. Ensuite, je suis allé dans des foyers, ça s’est très mal passé. A 18 ans, je me suis retrouvé SDF, je suis tombé dans l’alcool, la drogue. J’ai du mal à passer ces procès, mais ici, ce n’est pas la même ambiance que les autres procès. Je regarde depuis tout à l’heure, je vois que tout le monde fait ce qu’il veut, tout le monde dit ce qu’il veut et je vous en remercie, ça fait du bien. »
Le président « Vous avez évoqué des choses qui ont commencé en 1995. Vous avez aussi évoqué une enveloppe marron… »
Chérif Delay « C’est une image que j’ai. »
Le président « …un défilé de personnes… »
Chérif Delay « Oui. »
Le président « Vous parlez de vos parents et vous donnez d’autres nom. Thierry Dausque ? »
Chérif Delay « Oui. »
Le président « Vous évoquez essentiellement des abus que vous subissez au sein de votre famille. Au cours de l’enquête, on vous présente des photos et vous reconnaissez certaines personnes. Un certain Jean-Marc ; C’est qui ? »
Chérif Delay « C’est une personne qui squattait beaucoup vers le hall d’entrée de mon immeuble. On avait peur de lui. Il faisait des bruits bizarres. Des bruits chelous. »
Le président « Il parlait ? »
Chérif Delay « Non, il criait. Il grognait. »
Le président « Il a commis des faits identiques à ceux que vous avez décrits ? »
Chérif Delay « Pas tout à fait. Lui, c’était de peur, de crainte. »
Le président « Votre père l’aurait obligé ? »
Chérif Delay « Je ne sais plus. Je me souviens surtout de lui parce qu’il faisait peur. »
Le président « Vous avez aussi évoqué des noms d’enfants ; Vous vous souvenez ? »
Chérif Delay « Oui, mais je ne vais pas les citer ici. Moi, je me bats tous les jours avec ça… »
Le président « Thomas, Kelly, ça vous dit quelque chose ? »
Chérif Delay « Non, je ne me souviens pas. »
Le président « Dans le rôle de votre mère, d’autres choses vous ont marquées ? »
Chérif Delay « Bien sûr. Elle n’a pas tenu son rôle de mère. S’amuser avec un godemichet et me le mettre, ce n’est pas normal… »
Le président « Vous avez parlé d’un caméscope. »
Chérif Delay « Oui, je m’en souviens très bien. »
Le président « Dylan, selon vous, n’a pas forcément subi les mêmes choses ? »
Chérif Delay « Non. En tout cas, pas quand j’étais là, le week-end. »
Le président « Il a été dit que c’est parce qu’il avait de trop petites fesses. Est-ce ce que votre père… »
Chérif Delay « Beau-père. »
Le président « Oui. Enfin, il vous a reconnu, c’est votre père… »
Chérif Delay « Non. »
Le président « Eh bien, c’est d’accord. Dylan, donc… »
Chérif Delay « Lui, c’était juste quelques caresses… »
Le président « En 2001, on vous montre quelques planches photos… »
Chérif Delay « Oui. C’est un premier choc. J’en ai vu ! D’abord ma mère en photo et mon beau-père. »

Le président lui montre des photographies : « C’est bien cela ? »
Chérif Delay « Oui, M. le président. »
Le président « Vous avez dit que votre père a fait des manières aux enfants. A vous, à Dimitri, à Jonathan, et aussi à Emelyne… »
Chérif Delay « C’est la fille… Si je ne me trompe pas, c’est la fille de Thierry Delay. »
Le président « Vous la voyiez, à cette époque ? »
Chérif Delay « Oui, pendant les vacances. »
Le président « Vous l’avez vue être abusée par votre père ? »
Chérif Delay « Je ne me souviens plus.
M. le président, si je peux me permettre, aujourd’hui, je ne me souviens plus mais ça ne veut pas dire que ça ne s’est pas passé. »
Le président « Bien sûr. Vous avez donc parlé de Couvelard, Jean-Marc, de Dausque, mais aussi de Delplanque, de Frank Lavier, de Sandrine Lavier, d’une Aurélie, vous en avez le souvenir ? »
Chérif Delay « Oui. »
Le président « C’était la compagne de Delplanque ? »
Chérif Delay « Je peux voir les photos, s’il vous plait ? »

On lui passe de nouveau un album.
Chérif Delay « Oui, je la reconnais. »
Le président « Y avait-il d’autres enfants ? »
Chérif Delay « Oui, je me souviens d’une en particulier. Aurore. »
Le président « Beaumont. »
Chérif Delay « Oui. »
Le président « Vous aviez dit d’autres noms. »
Chérif Delay « Par rapport à l’ancienneté, je ne peux plus donner de noms. »

Le président « S’agissant de l’accusé, ici dans le box, vous l’avez vu en tant que victime ? »
Chérif Delay « Oui. »
Le président « Qu’a-t-il subi ? »
Chérif Delay « Par rapport à mon beau-père, exactement comme moi. Des sodomies, des fellations… »
Le président « Votre beau-père était-il seul ? »
Chérif Delay « Non. Il y avait Dominique Wiel, Thierry Dausque… Il y avait d’autres personnes… »
Le président « Son père était là ? »
Chérif Delay « Oui, M. le président. »
Le président « Vous en êtes certain ? Comment pouvez-vous être certain qu’il s’agissait de son père ? »
Chérif Delay « Parce qu’il l’appelait papa, M. le président ! »
Le président « Quelle était son attitude ? Il regardait passivement ? »
Chérif Delay « Oui. »
Le président « Il ne participait pas ? »
Chérif Delay « Je ne suis pas sûr. »
Le président « La première fois que vous avez été entendu par le juge d’instruction, il vous a été demandé : « Daniel Legrand père et fils, ils t’ont fait du mal ? » Vous vous souvenez ? »
Chérif Delay « Non. »
Le président « Vous avez dit Daniel Legrand est un grand ami de mon père. Une fois, il est venu. Il était saoul, il m’a frappé, il ne m’a pas fait de manières. »
Chérif Delay « Je ne me souviens plus. »
Le président « Vous avez aussi parlé de cassettes porno. Avec la boulangère, Mourmand, Delplanque, Lavier, Wiel, Martel. Et s’agissant de Wiel, on vous a demandé s’il vous avait fait du mal, vous avez répondu non… »
Chérif Delay « Je me souviens de lui parce que ma mère voulait que je sois chrétien, par rapport à mon père. »
Le président « Vous avez l’image de Daniel Legrand victime d’une agression, de la part de votre père. Et aussi de Daniel Legrand auteur d’une agression avec d’autres. Vous citez Dausque, Wiel, votre père… »
Chérif Delay « Beau-père ! »
Le président « Oui, pardon, c’est vrai que… Dans une sorte de réflexe pavlovien, je le dis comme ça, mais vous avez raison…
A l’époque du juge d’instruction, vous sembliez en confiance, vous parliez librement. Vous ne mettez en cause ni Dominique Wiel, ni Daniel Legrand. On vous parle du fils et vous ne répondez pas, et le juge ne vous relance pas. »
Chérif Delay « Moi, je vous parle de mes souvenirs. »
Le président « Vous avez donc deux souvenirs. Une quand il est victime des faits, et une quand il commet une agression. Cette scène s’est passée comment ? C’est un flash ou vous voyez une scène ? »
Chérif Delay « C’est une scène ! C’est dans l’entrée, chez moi. Devant, il y a ma chambre, avec des lits, des dessins et tout. Je suis attaché. Je vois des adultes se toucher entre eux et dans mon souvenir, il y a aussi Dimitri, au moins. Et ils viennent et ils commencent une partouze. »
Le président « Y a-t-il d’autres mineurs ? »
Chérif Delay « Non. Je ne vois que Dimitri et moi. »
Le président « Ils vont abuser de Dimitri et de vous ? »
Chérif Delay « Oui. »
Le président « Y a-t-il des femmes ? »
Chérif Delay « Dans cette scène-là, non. Ma mère est venue pour regarder et elle a fermé la porte. »
Le président « C’était dans votre chambre ? »
Chérif Delay « Oui, en face de la porte d’entrée. »
Le président « Vous comprenez qu’on peut s’interroger sur vos souvenirs, aujourd’hui. Ces images, comment arrivent-elles dans votre esprit, alors qu’en ces termes-là, vous n’en avez jamais parlé. Notamment de Daniel Legrand père, dont vous disiez qu’il était un ami de votre père mais vous n’avez jamais parlé du fils. Et là, aujourd’hui, vous en parlez pour la première fois. »
Chérif Delay « Je vous explique mes souvenirs. »
Le président « Bien sûr, bien sûr… Mais vous comprenez ? Ce n’est pas anodin. »
Chérif Delay « Oui, bien sûr. »
Le président « Vous étiez petit, au moment de l’enquête. Vous aviez dix-douze ans… »
Chérif Delay « Douze ans. »
Le président « Vous avez été réentendu, après. Vous parlez d’une Karine, Duchochois, vous parlez d’un réseau, vous dites que vous allez en Belgique. Mais pour des caresses, des attouchements, de la part de la boulangère, d’une Madame Lepers… On ne vous a jamais montré de photos de Daniel legrand père et fils ? »
Chérif Delay « Non. »
Le président « Mais vous les avez vus, à Saint-Omer, au procès de Paris… »
Chérif Delay « J’étais à la barre, comme ici. J’ai cité des noms. »
Le président « On ne vous a pas demandé de vous tourner vers les accusés ? »
Chérif Delay « Si. »
Le président « A Saint-Omer ? Au premier procès ? Vous les avez regardés ? Ils étaient dix-sept accusés. Vous les avez reconnus ? »
Chérif Delay « Certains. »
Le président « Vous avez reconnu Daniel Legrand père et fils ? »
Chérif Delay « Dans mon souvenir, non. Je ne les ai pas reconnus. J’étais complètement déstabilisé. Je fais remarquer que j’étais à l’hôpital. J’étais venu avec un psychologue. Je vous rappelle que j’étais dans le box. »
Le président « Vous dites que vous en avez reconnu certains. Lesquels ? »
Chérif Delay « Ben, les quatre qui ont été condamnés. Mon beau-père, ma mère. Delpalnque, Aurélie Grenon… »
Le président « Qui d’autre ? »
Chérif Delay « Le taxi. On l’appelait le taxi… »
Le président « D’autres ? »
Chérif Delay « Je pense que oui. Il y avait le prêtre, Dominique Wiel. Je l’ai reconnu. Et je… Je ne sais pas… »
Le président « Vous n’avez pas reconnu Daniel Legrand père et fils ? Vous ne les avez pas évoqués, à Saint-Omer. »
Chérif Delay « Je ne pense pas. »
Le président « Et à Paris ? »
Chérif Delay « Dans mon souvenir, on était dans une salle. Tous les enfants, on attendait. Des avocats sont venus, nous ont parlé. Ils ont dit que ça allait bien se passer. La salle était immense. »
Le président « Oui, c’est une grande salle d’assises. Et il y avait moins d’accusés. »
Chérif Delay « Je ne les ai pas regardés. »
Le président « On ne vous l’a pas demandé ? »
Chérif Delay « Si, mais je ne les ai pas regardés. On m’a montré des photos. »
Le président « Vous avez reconnu Daniel Legrand fils ? »
Chérif Delay « Dans mon souvenir, non. »
Le président « Comment avez-vous vécu l’après-cour d’assises de Paris ? En 2005-2006, l’après-Outreau… »
Chérif Delay « J’étais très éloigné de tout ça. »
Le président « Vous avez essayé d’oublier ? »
Chérif Delay « J’étais dans un moment de déni. Pendant un moment, je me disais qu’il ne s’était rien passé, puisque… »
Le président « Pourtant, il y a bien eu quatre condamnations. Vous avez été reconnus comme victime. »
Chérif Delay « Vous me demandez comment je l’ai vécu… »
Le président « Oui, oui. Ne prenez pas mal ce que je dis. Ensuite, vous êtes allé en famille d’accueil. »
Chérif Delay « Oui, jusque douze ans. Puis je suis allé à l’hôpital, puis en foyers, en Belgique. »

Le président « Quels sont les événements marquants de votre vie, aujourd’hui ? »
Chérif Delay « J’ai pas envie. Je sais que c’est un devoir d’expliquer l’après-Outreau, mais j’en ai complètement ras-le-bol. J’en peux plus. Je suis fatigué de tout ça. J’ai été insulté, diffamé, pendant la période des foyers, sans que je puisse répondre. Je ne peux pas inventer… Je n’ai que des souvenirs.
Je suis resté très longtemps en foyers, puis j’ai fini SDF à dix-huit ans. J’ai picolé, j’ai fumé, je suis devenu violent. J’ai provoqué la police. J’ai été incarcéré pendant sept mois, les souvenirs sont là. A Sequedin.
Puis je suis parti trois ans en Afrique. Vous me demandez les événements marquants… Ce sont ces trois années-là qui ont marqué ma vie. J’avais quitté ce pays. Quitté le statut de menteur. J’en pouvais plus. Je suis allé jusqu’à mélanger les choses. Aujourd’hui, je vis dans une haine… Dans l’idée de me venger mais je ne le fais pas. J’ai décidé de tourner la page.
Je ne comprends pas qu’on ait pu juger comme ça cette affaire. Comme je l’ai vécue… Je ne comprends pas. Je suis encore aujourd’hui en prison. Je suis incarcéré parce que je suis violent. J’ai l’impression de reproduire certaines choses de mon passé.
J’ai un projet d’album. J’ai écrit un livre, aussi. J’ai cru que ça m’aiderait à tourner la page, ça n’a fait que tourner la mayonnaise. Aujourd’hui, il y a tellement de choses que je voudrais exprimer, mais je ne le ferai pas. Sinon, je sortirais de mes gonds…
Quand je pense à mon beau-père, à ma mère… A toutes ces personnes qui ont marqué ma vie. Quand j’ai vu tous ces acquittés avec les ministres… J’ai dit « Comment c’est possible ? » Voilà comment je vis… »
Le président « Je voudrais revenir sur quelque chose. Les agressions sur Dimitri et vous, c’était quand vous aviez quel âge ? »
Chérif Delay « Dans mon souvenir, c’est en rapport avec la coupe du monde. On voyait des matches. La coupe du monde 1998. »
Le président « Vous l’associez à cette année-là ? »
Chérif Delay « Oui. »

Le président « Une dernière question : récemment, vous avez déposé plainte, vous en avez le souvenir ? Vous vous accusiez de certains faits ? Vous vous souvenez de ça ? »
Chérif Delay « C’était en… »
Le président « En 2013. Vous en avez le souvenir ou pas ? »
Chérif Delay « J’ai porté plainte ? »
Le président « Oui. Vous avez dénoncé des faits. »
Chérif Delay « Euh… »
Le président « Nous avons un procès-verbal de la DIPJ de Lille. Le PV de synthèse d’une enquête daté du 7 janvier 2013, sur la recherche de toute personne disparue en 1998 sur la commune d’Outreau. Ce pv dit qu’il n’y a eu aucune disparition non élucidée et rappelle des faits dénoncés par Chérif Delay, qui serait l’auteur d’un meurtre, sur une petite fille âgée de huit ans. Il l’aurait tuée à coups de bêche. Des adultes vous auraient masturbé, Delay, Dausque, Wiel… Tout cela s’est clôturé par un non-lieu. Les faits n’étaient pas avérés. Vous vous souvenez de ça ? »
Chérif Delay « Vaguement, M. le président… »
Le président « Et que vous avez voulu retirer votre plainte, vous vous en souvenez ? »
Chérif Delay « Non. »
Le président « C’est récent, pourtant. 2013. »
Chérif Delay « … »
Le président « Non ? Vous n’avez aucun souvenir plus précis de ça ? »
Chérif Delay « De l’accusation que je me suis donné, oui… Mais de la déposition, non… »
Le président « Il y a un autre PV, qui cite le couple chez lequel vous viviez à l’époque. Les policiers sont allés vous interroger là-bas. Il y a aussi une expertise qui dit que vous avez des tendances suicidaires, que vous prenez un traitement, que vous représentez un réel danger, pour vous et pour les autres.
Vous avez voulu retirer votre plainte, expliquant que vous ne pensiez pas que cela prendrait une telle ampleur, que vous ne vouliez pas d’un Outreau 2. Vous n’en avez pas de souvenir ? »
Chérif Delay « Si. »
Le président « Qu’est-ce que vous pouvez dire de ça ? »
Chérif Delay « Si je voulais enlever ma déposition c’est que c’était nécessaire. Parce qu’il y avait du rajout. »
Le président « De votre part ? »
Chérif Delay « Oui. Parce que je mélangeais… Je ne sais pas si on peut comprendre… les cauchemars et les images… les souvenirs.
C’est de la psychiatrie. Après ça, je suis reparti en psy, et je me rends compte qu’il y a la réalité et les cauchemars…
Le président « Et qu’est-ce qui est la réalité ? Et les cauchemars ? »
Chérif Delay « C’est qu’en 2012, j’aurais pu dire devant vous j’ai tué cette fille. Peut-être qu’elle a existé, peut-être non. Pour les médecins, c’est non… »

L’une des assesseures pose à son tour quelques questions : « Ce mélange des choses, c’est un diagnostic de vous ou des médecins ? »
Chérif Delay« Des médecins. »
L’assesseure « Et vous, qu’en pensez-vous ? »
Chérif Delay « Si je ne dis pas comme eux, je vais être hospitalisé… »
L’assesseure « Daniel Legrand n’a été victime qu’une fois ? »
Chérif Delay « Non, plusieurs fois. »
L’assesseure « Et agresseur ? »
Chérif Delay « Une fois. Pendant la partouze. »
L’assesseure « Il a commis des faits de viol ou d’attouchements ? »
Chérif Delay « Des caresses, des attouchements. »
L’assesseure « Pas de pénétration ? »
Chérif Delay « Non. »
L’assesseure « Est-ce que ça pouvait être un autre couple père-fils. Qu’est-ce qui vous fait dire que ce sont eux ? »
Chérif Delay « Non, son visage m’est familier. Ce visage. »

Le président « Son visage d’aujourd’hui ? »
Chérif Delay « Oui, ce visage-là. »
Le président « Pourtant, il a beaucoup changé. Il a vieilli. »
Chérif Delay « Mais vous me demandez… Comment je peux vous expliquer ?.. »
Le président « Mais il n’y a rien à expliquer. D’autres sont venus avec leur fils ? »
Chérif Delay « Oui. Dausque. »
Le président « Dans votre souvenir, vous êtes allé en Belgique, avec les policiers ? »
Chérif Delay « Oui. »
Le président « Et vous avez le souvenir de Daniel Legrand père et fils, en Belgique ? »
Chérif Delay « Non. En Belgique, non. »

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