Ces quelques remarques de Vernon jettent aussi un éclairage important sur le rôle énigmatique de la mère dans la famille. Les efforts de Volga pour protéger sa fille, en l’accompagnant à Agua Caliente et en dormant avec elle, suggèrent qu’elle était au courant des procédés d’Eduardo et qu’elle voulait y faire obstacle. Mais si elle comprenait vraiment ce qui arrivait à Margarita, pourquoi ne pas y avoir mis un terme définitivement ? Après tout, Volga a laissé sa fille continuer à vivre dans l’isolement et à danser à Tijuana pour subvenir aux besoins de sa famille. De plus, elle ne pouvait les tenir à l’œil vingt-quatre heures sur vingt-quatre; travaillant avec sa fille et vivant sous le même toit qu’elle, Eduardo n’avait qu’à attendre le moment où ils se retrouveraient seuls.
Là encore, les remarques de Vernon sont très révélatrices. Il parle de sa loyauté envers sa sœur lorsque brusquement il fait allusion à la dévotion de Volga à l’égard d’Eduardo : « C’est la même sorte de relation, je pense, que ma mère avait avec sa famille et spécialement avec mon père – c’est-à-dire la loyauté.
Je ne pense pas qu’elle pouvait l’expliquer, ni moi non plus, mais je sais ceci : Rita pourrait me couper une jambe et faire appel à moi le lendemain, je répondrais présent, cela, elle le sait fort bien. »
Margarita n’ignorait sans doute pas le degré de loyauté de son frère, mais si l’on tint compte de la violence de l’image utilisée par celui-ci, elle savait sûrement quelque chose d’autre : quels que fussent les tourments infligés par Eduardo à sa famille Volga demeurerait (« spécialement ») loyale envers son mari.
Confrontées à l’inceste dans leur famille, toutes les mères n’en font pas autant que Volga pour essayer d’y mettre un terme, mais bon nombre, dont Volga, demeurent partagées entre ce qu’elles doivent à leur mari et ce qu’elles doivent à leur fille (le mari venant presque toujours en premier). Aussi soucieuse qu’elles soient du sort de leur fille, maintenir l’intégrité de leur mariage et de leur famille est pour ces femmes la priorité absolue. Sans le mari, comment leurs enfants et elles-mêmes survivraient-ils ? Alcoolique, dénuée de tout pouvoir, économiquement dépendante, Volga est le type même de ces mères pour lesquelles il n’est pas question de sauver leur fille en plaquant leur mari. Ni, dans son cas, d’anéantir la source de revenus de la famille en séparant les Dancing Cansinos.
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