Immature, narcissique et incestueuse, cette femme reste un mystère par Mariannne 2

Rédigé par Anna Alter
le Lundi 31 Mai 2004

Le comportement de la mère incestueuse des enfants victimes sidère. Dans quels replis mystérieux se cache une personnalité aussi monstrueuse
Par Roland Coutanceau, Psychiatre, expert auprès des tribunaux, auteur de Vivre après l’inceste : haïr ou pardonner ; Desclée de Brower.
Marianne : Que peut-on dire aujourd’hui de la personnalité de Myriam Delay ?
Roland Coutanceau : Ses revirements révèlent une personnalité immature, avec un aspect infantile. Le plaisir de la théâtralisation la pousse, même au prix du scandale, à occuper le devant de la scène. Elle a un besoin d’exister à tout prix, un plaisir narcissique d’être sous les feux de la rampe pour combler le vide, le sentiment de ne pas compter, d’avoir une vie qu’elle n’a pas voulue. Pour attirer les projecteurs, elle joue et, comme une tragédienne, se traite de« menteuse » et de« malade ».

Les experts avaient souligné sa « profonde immaturité psychologique » , mais ils s’étaient trompés sur toute la ligne en concluant qu’elle était « dépourvue de tendances à la mythomanie mythomaniaque [sic] ou à l’affabulation », ce qui rendait crédible les propos qu’elle tenait…
R.C. : Les experts sont comme saint Thomas : ils ne décrivent que ce qu’ils voient. Il y a des gens qui sont lisibles d’emblée ; d’autres se révèlent par la manière dont ils se défendent face à l’accusation sociale. Devant la justice, Myriam Delay se comporte comme une mythomane et éclaire des facettes de sa personnalité qui ont très bien pu échapper à une analyse à froid. Chine peut se prononcer que sur ce qui se voit, pas sur ce qui est caché dans les replis de l’imaginaire. C’est aussi vrai dans la vie de tous les jours : on découvre chez des gens que l’on croyait parfaitement connaître des côtés stupéfiants qui désarçonnent et on se dit : « Je n’aurais jamais cru ça de lui ».
Pour bien faire, faudrait-il reprendre les expertises de zéro ?
R.C. : On peut d’autant mieux faire un diagnostic que les gens lâchent leur imaginaire. Pour être rigoureux, je dirais que je peux établir un diagnostic d’autant plus fiable que quelqu’un se livre facilement. S’il vous dit, je n’ai rien à dire, il ferme le jeu. Le coeur de la personnalité humaine, c’est ce que l’individu porte dans ses rêves et son imagination. Sur le plan de l’expertise, Myriam Delay est plus intéressante aujourd’hui parce que nous pourrions l’interroger sur tous ces revirements qui n’étaient pas prévisibles… Maintenant qu’elle s’est révélée, elle apparaît comme quelqu’un qui peut avoir éclaboussé des innocents, je ne dis pas que c’est le cas, mais elle en est capable.
A votre avis ?
R.C. : De deux choses l’une. Elle a, avec d’autres, balancé des innocents pour diminuer sa propre responsabilité et satisfaire son envie de se venger de ceux dont elle est jalouse, comme dans la médisance ordinaire. Dans ce cas, elle dit la vérité le vendredi, puis se rétracte parce qu’elle a vu dans la presse que ses enfants sur lesquels elle a commis des atrocités vont passer pour des menteurs. Cela l’angoisse et elle veut les protéger. Deuxième hypothèse: elle a dit la vérité sur les prétendus notables et se rétracte le vendredi parce qu’elle se rend compte qu’être des parents incestueux, c’est moins grave aux yeux de la loi que d’être proxénète et incestueux. Une chose est indéniable : au vu de ce que montre cette femme aujourd’hui, elle avait une grande capacité d’influence sur ses enfants,
Les expertises la décrivent comme « passive, carencée d’un point de vue affectif » et non comme une maîtresse femme…
R.C. : C’est la manière dont elle se défend qui l’a révélée. Avant qu’elle fasse son cirque, certains traits de personnalité n’étaient pas décelables. Si elle a réussi à influencer son entourage dans le sens du mensonge, alors elle a un caractère hors normes. Et, par expérience, je sais que des personnalités immatures, ballottées par la vie, aigries, peuvent faire preuve d’une grande créativité dans la destruction des autres. Mais avant que « le cave se re-biffe»on ne voit pas ce potentiel. On détecte la fragilité, la dépendance, pas la«masse noire ».

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10/ Les mères selon Roland Coutanceau

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On est en droit de se demander si finalement il n’y a pas là un processus d’aveuglement, et si celui-ci n’est pas plus ou moins conscient. Peut-être qu’au fond, elle a compris et ne veut pas le croire. Peut-être, mais si le résultat de ce questionnement fugace, c’est d’exclure l’hypothèse de l’inceste, on voit qu’à la différence de la situation où la mère ne sait rien et n’a jamais envisagé cette possibilité, là, la question est posée en pleine conscience. Et cela oblige, en cas de dénégation, à une réorganisation psychique pour la mère, qui intègre l’hypothèse de l’inceste et le jugement selon lequel cette hypothèse n’est pas crédible. De façon analogue, c’est un peu ce qui se passe dans les situations d’infidélité conjugale où un protagoniste pense à partir de quelques indices que l’autre peut être infidèle, réfute l’idée et est forcé, pour en être sûr, d’organiser son imagination de manière à se rassurer en toute bonne foi. Cette réorganisation doit prendre le dessus avec netteté, et cela plus nécessairement dans la situation incestueuse que dans la situation d’infidélité.

Faut-il donc que cet impensable, pourtant pensé un instant, soit repoussant au point de menacer la totalité du psychisme d’une personne ?

Tout à fait. Il faut comprendre que l’idée que son mari puisse coucher avec sa fille, avec toutes les conséquences que cela peut avoir, est un traumatisme tellement intense qu’il devient légitime de le rejeter comme impensable et de refermer de façon naturelle le questionnement. Cela permet à la mère de cicatriser la brèche un instant ouverte dans sa pensée. On voit parfois des femmes plus matures qui essaient d’observer avec méthode ce qui se produit. Dans le fond, elles conçoivent l’hypothèse, ou même ont deviné et questionnent leur fille. Ces femmes aideront l’enfant à leur dévoiler l’histoire.

Mais il faut pour cela une force de caractère que, dans mon expérience, je ne rencontre pas souvent. Cette rareté est en soi une preuve que l’inceste est de l’ordre de l’inconcevable, et qu’il constitue une considération d’une extrême violence, capable de désorganiser l’imaginaire familial au point que tout s’effondre : une fille traumatisée d’avoir été dans une position si vulnérable, d’avoir été marquée par le sexe avant l’heure, un homme qui s’apparente désormais à un monstre, qui a trahi la confiance de son épouse, qui a trahi sa propre fille, qui s’est rendu indigne de sa fonction de père. Dans une logique d’économie psychique, on comprend que la mère ait intérêt à effacer une telle turbulence, une situation si éloignée de la norme.

…/…

Je note le cas où la mère s’efforce de faire pression sur le père. Animée par le désir de sauver la famille et de régler la situation sans que cela sorte du cercle familial, elle chapitre son mari, essaie de faire pression sur lui pour qu’il ne recommence pas. Cette femme qui tente de faire face, utilise les armes dont elle dispose : elle questionne son époux, l’interpelle, intervient pour modifier les situations favorables aux actes délictueux, le surveille, et le menace : « Si tu recommences, je fais appel à la justice. » Elle finira parfois par mettre à exécution les menaces qu’elle profère, mais cela demandera du temps, car sa volonté est de minimiser ce qui s’est passé pour préserver son couple et sa famille. Elle mise sur une sorte d’autorégulation interne à la famille, lui permettant de ne pas révéler la situation. C’est son choix, mais il est fondé sur l’illusion que ce type de menaces peut agir sur le père, que le cataclysme de la découverte du comportement incestueux pourra passer sans désorganiser la famille, sans la faire éclater, puisque l’incarcération de son époux aura été évitée.

Ces femmes ne parviennent~elles donc jamais à leur objectif ?

Il y a des situations où cela marche : le père arrête de toucher ou de violer sa fille. La démarche de la mère, son chantage auront été opérants et, dans ces cas, la victime n’a pas d’animosité contre sa mère. Et puis, soit il n’y aura jamais de dévoilement et ce type de dénouement ne parvient pas à notre connaissance, soit l’arrêt des agressions, définitif ou seulement temporaire, n’empêche pas l’enfant ou l’adolescente de dévoiler les faits quelque temps après, parce que l’arrêt des agressions ne suffit pas à résorber sa souffrance, son mal-être.

Bien souvent, la menace ne suffit pas : les agressions ne s’arrêtent que momentanément, le père jauge la détermination de sa femme à le dénoncer, puis finit par recommencer. Son égocentrisme fait penser à cet homme que, si les menaces ne sont pas encore mises à exécution, elles ne le seront jamais, même si elles se répètent. Et c’est seulement quand la situation devient intenable, que la mère, remontée à bloc, fait intervenir un tiers ou entame un dialogue avec sa fille qui leur permettra d’agir ensemble. Ainsi, bien qu’il ait agi dans une famille tolérante et souhaitant conserver le secret en son sein, et malgré les multiples signaux qui lui ont été adressés pour mettre fin à sa conduite, le père n’a pas saisi la perche tendue pour tenter de se contrôler. Cette seconde situation correspond donc à des mères toniques, qui veillent au grain, agissent seules au début avec plus ou moins de bonheur, et finissent le plus souvent par alerter la société en cas d’échec.
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Voir aussi les billets concernant le livre de Roland Coutanceau :
1/ Vivre après l’inceste : Haïr ou pardonner
2/ Peut-on pardonner ?

3/ Un silence difficile à rompre
4/ Désordres relationnels et sexuels

5/ Le père incestueux
*/ L’enfant investi d’une sorte de mission

6/ Les milieux sociaux et culturels
7/ Quelques conséquences sur les survivantes
9/ Trois profils des pères incestueux