Roman Polanski, le viol, la justice et nous par Clémentine Autain

Roman Polanski, le viol, la justice et nous (chronique France Culture)

Alors qu’un hommage devait lui être rendu au Festival du cinéma de Zurich, le grand cinéaste Roman Polanski vient d’être arrêté, samedi soir, à sa descente d’avion et placé en détention provisoire, « sous mandat d’arrêt américain ». A l’âge de 76 ans, l’artiste est rattrapé par son histoire. Il y a trente ans, il fut accusé aux Etats-Unis d’avoir eu des relations sexuelles avec une adolescente de 13 ans. Alors qu’elle venait pour une séance photo que Polanski réalisait pour un magazine, la jeune fille a déclaré avoir été victime de viol et droguée avant les faits. Polanski a alors plaidé coupable devant la justice mais en niant la contrainte – donc le viol – et le fait de l’avoir droguée. Il fut arrêté six semaines puis relâché avant la sentence. Mais Polanski n’a pas attendu le résultat du procès, qu’il estime inéquitable : il fuit alors les Etats-Unis, part pour Londres puis s’installe à Paris. Ces dernières années, le procureur du Comté de Los Angeles avait déjà fait plusieurs tentatives pour exécuter le mandat d’arrêt de 1978, quand Polanski voyageait dans des pays ayant passé un traité d’extradition avec les Etats-Unis. C’est le cas de la Suisse. Et les délits sexuels contre les mineurs sont imprescriptibles aux Etats-Unis et en Suisse. Alors c’est vrai qu’il est troublant que l’arrestation se soit produite au moment de ce Festival de Zurich alors que Polanski possède un chalet en Suisse et y passe une bonne partie de ses vacances.
Mais j’avoue ressentir un certain malaise devant la manière dont est traité l’événement. Que des artistes, notamment ceux qui sont proches de Polanski, clament à corps et à cris qu’il doit être relâché me paraît logique et légitime. Que les Français qui l’aiment soient stupéfaits, en colère et émus, je le comprends tout autant. En revanche, le traitement médiatique épouse sans réserves la défense du cinéaste et banalise du coup le viol sur mineure : la victime, c’est Polanski. Les termes employés sont révélateurs : il est rarement question de viol mais « d’affaire de mœurs », « d’atteinte sexuelle ». Je ne sais évidemment pas ce qui s’est passé mais ce qui est en cause est suffisamment grave pour ne pas être balayé d’un revers de manche. Elle avait 13 ans, il en avait 43 : il est permis d’être sceptique devant l’hypothèse d’un consentement. Et là où je tombe de ma chaise, c’est quand le ministre français de la culture se croit en droit de juger.
Pour Frédéric Mitterrand, c’est – je cite – « une histoire ancienne, qui n’a pas vraiment de sens ». Si elle n’en a pas pour le ministre, elle en a en tout cas pour la justice car, des deux côtés de l’Atlantique, le viol est un crime. Mais ces temps-ci, le pouvoir politique prend l’habitude de désigner par avance les coupables et les innocents… Le ministre s’en prend également à « l’Amérique qui fait peur », celle qui « montre ici son vrai visage ». Rien de moins.
Un Internaute commentait hier sur la toile : « le piratage, c’est mal ; le viol, c’est pas grave ». Ce qui est aussi choquant dans ce traitement médiatico-politique, c’est que la défense de Polanski se fait au nom de son talent et de sa notoriété. Frédéric Mitterrand le défend parce qu’il est un « cinéaste de dimension internationale ». La nouvelle directrice générale de l’UNESCO, Irina Bukova, a également déclaré – je cite : « je ne sais pas le détail mais c’est choquant (…) il s’agit d’une personnalité mondialement connue ». Jack Lang veut que « la liberté soit rendue à ce grand créateur européen ».
Les artistes célèbres devraient-ils donc échapper aux règles de droit valables pour le commun des mortels ? Nous ferions mieux de questionner les choix politiques sur lesquels reposent le droit et les fonctionnements internationaux de la justice. C’est là que devrait se situer le débat, pour réinterroger ou réaffirmer le bienfondé des règles de l’extradition et de la prescriptibilité des viols sur mineurs. Roman Polanski mérite sans doute un soutien plus musclé, mieux argumenté, qui ne masque pas la gravité des faits en cause.

3/ Outreau : Les lettres de Kevin Delay au juge Burgaud

mercredi 10.12.2008, 14:00
par
Mickaël TASSART

L’écriture est soignée, preuve d’une application certaine même si le texte est truffé de fautes d’orthographe.
Il s’en excuse, Shérif, dit Kévin Delay, auprès du destinataire de sa lettre : le juge Fabrice Burgaud.
La Semaine dans le Boulonnais a pu consulter, sans en obtenir de copies, une lettre manuscrite, recto verso, envoyée par le fils aîné de Myriam Badaoui au juge critiqué pour sa gestion du dossier « Outreau ».
En avril 2008, depuis sa cellule de la maison d’arrêt de Sequedin, dans le Nord, où il purge une peine de prison pour des cambriolages commis dans le Boulonnais, Kevin Delay adresse une missive à « Mr Burgaud », qu’il domicilie au « TGI de Paris. » « Je vous écris cette lettre pour vous remercier de tout ce que vous avez fait pour moi », commence l’enfant victime, aujourd’hui majeur.
La rancœur transpire d’un texte poignant. « J’ai fait une erreur de ne pas parler au tribunal de Paris », concède Kevin dans son courrier, en rapport à son audition devant la cour d’appel, en novembre 2005. Regret que Kevin a également exprimé auprès de Me Boyer, son nouvel avocat, qui dit de ne pas avoir eu connaissance de la correspondance de son client avec le juge Fabrice Burgaud.
Dans le secret du huis clos demandé par les parties civiles, Kevin s’était effectivement montré peu disert à Paris. Son assistante maternelle avait toutefois rappelé, qu’à la différence de ses frères cadets, volubiles à l’excès, Kevin ne s’était confié qu’une seule fois à sa « tata » pour évoquer les sévices subis à la Tour du Renard. Aujourd’hui, le jeune homme veut parler. « Tout le monde doit savoir ce qui s’est vraiment passé », fait-il savoir, à plusieurs reprises, dans la lettre. Quelques lignes plus loin, il veut « dire aux Français » sa version de l’affaire d’Outreau, évoquant l’idée « d’écrire un livre. » Dans son texte, Kevin parle de ses blessures. Des plaies toujours ouvertes : « J’ai failli me suicider », écrit-il.
« Ils ont détruit ma vie, je voudrais dire à la France ce que moi et les autres enfants avons subi. » De qui parle-t-il quand il écrit « Ils ont détruit ma vie » ? Et quel crédit apporter à cette déclaration ?
Me Boyer, qui a rencontré son nouveau client il y a peu de temps, est frappé par « sa force extraordinaire, qui tient de la survie. » Il concède toutefois que son travail a consisté « à canaliser cette fougue, à l’exprimer de manière posée en se tenant aux questions de droit. » Mais la lettre envoyée au juge Burgaud ressemble plus à un appel au secours.

Mickaël TASSART

La Semaine dans le Boulonnais Me Boyer : « A quoi ont servi les jurés ? » Maître Jean-Christophe Boyer, du cabinet d’avocats associés Boyer-Lampropoulos, dans le 15e arrondissement de Paris, est le conseil de Sherif (son prénom selon l’état civil) dit Kévin Delay, le fils aîné de Myriam Badaoui.
Comment Kevin Delay a-t-il choisi le cabinet parisien pour assurer sa défense? « Les bonnes personnes l’ont bien conseillé», élude seulement, agacé par la question, Me Boyer qui «veut s’en tenir à la plainte » déposée contre le procureur général de la cour d’appel de Paris, Yves Bot.
Selon l’avocat de Kévin Delay, le haut magistrat «a outrepassé les prérogatives du code de procédure pénal en s’exprimant publiquement sur le dossier avant son issue. » Pour Me Boyer, Yves Bot s’est invité dans un procès « dont il n’était qu’une des parties prenantes. » L’avocat parisien estime que les propos d’Yves Bot étaient de nature à fausser le jugement des jurés. « Les débats n’étaient pas clos quand Yves Bot a fait part de ses regrets, rappelle Jean-Christophe Boyer. Or, en se plaçant face aux caméras, dos à la cour, il savait que ses propos allaient être repris dans les journaux télévisés de 20 heures. Et pour 60millions de Français qui découvrent les images le soir même, les accusés sont déjà les acquittés d’Outreau. Tout le monde ne fait pas du droit et, aux yeux de l’opinion publique, Yves Bot représente la justice de ce pays.»
Me Boyer ne veut pas remettre en cause le jugement de la cour d’appel de Paris. «Ne me parlez pas du fond du dossier d’Outreau, je n’ai pas d’avis à donner là-dessus et ça ne m’intéresse pas de le faire», complète-t-il.
Mais pour lui, «le code de procédure pénal condamne une personne tenant des commentaires qui tendraient à influencer la décision d’une juridiction.» Était-ce le cas dans cette affaire ?
« Mettez-vous à la place des jurés qui n’ont pas encore délibéré, commande l’avocat de Kévin Delay. Ils se demandent à quoi ils vont servir puisqu’Yves Bot, drapé des habits de la justice, vient de présenter officiellement ses regrets. À ce moment, c’est comme si le procès était déjà fini. »
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