Faut-il les castrer ? C Dans l’air

mercredi 28 octobre 2009
Faut-il les castrer ?

Le procès de Francis Evrard, jugé pour l’enlèvement et le viol du petit Enis, se déroule cette semaine, aux assises du Nord. Le justiciable, pédophile récidiviste, a reconnu les faits. Son cas relance les débats sur le suivi des délinquants sexuels et la castration chimique.
« Notre drame vient en France de la culture du secret »
Pronostic de dangerosité
Troubles du comportement – troubles de la personnalité

Professeur Roland Coutenceau – psychiatre
Madame la présidente de la Cour d’assise – Michèle Bernard-Requin
Serge Garde – journaliste
Geroges Fenech auteur de Criminels et récidivistes

Le procès de Francis Evrard, jugé pour l’enlèvement et le viol du petit Enis, se déroule cette semaine, aux assises du Nord. Le justiciable, pédophile récidiviste, a reconnu les faits. Son cas relance les débats sur le suivi des délinquants sexuels et la castration chimique.
A plus d’un titre, le procès qui s’est ouvert, lundi 26 octobre 2009, devant la cour d’assises de Douai suscite des débats. Sur le banc des accusés, Francis Evrard, 63 ans, comparaît pour l’enlèvement, la séquestration et le viol, en août 2007 à Roubaix, du petit Enis. Un drame qui, à l’époque, avait suscité une vive émotion et remis sur le devant de la scène la question de la récidive.
Francis Evrard, après avoir purgé une peine de dix-huit ans de prison, pour le viol de deux petits garçons, avait enlevé l’enfant moins de deux mois après sa sortie de détention. Le jour même, l’accusé, qui a reconnu les faits, avait pris un comprimé de Viagra qu’il s’était procuré grâce à l’ordonnance d’un médecin.
Devenu emblématique, le cas Evrard avait entraîné l’adoption, en février 2008, de la loi sur la « rétention de sûreté« . Celle-ci prévoit qu’un détenu, condamné à quinze ans de prison ou plus, puisse être enfermé à l’issue de sa peine.
Aujourd’hui, ce procès prend une dimension particulière à quelques semaines de l’examen par l’Assemblée nationale d’un projet de loi « anti-récidive », dans lequel a été intégré un amendement rendant la castration chimique « obligatoire ». D’autant que Francis Evrard a réclamé, dans un courrier adressé au président de la République quelques jours avant l’ouverture des audiences, une « castration physique », soit l’ablation par chirurgie des testicules. Une pratique à ce jour interdite en France.

Seule la castration « chimique », un traitement hormonal délivré par les médecins pour réduire la production de testostérone et diminuer les pulsions sexuelles, est légale en France. Celle-ci refusée à deux reprises en prison par Francis Evrard, il a été jugé « inadapté » au traitement par les deux médecins qui ont eu à l’examiner à plusieurs reprises lors de sa détention. Pour que celle-ci fonctionne, « il faut qu’il y ait un sentiment de culpabilité et une envie d’évoluer », a expliqué l’un d’eux, le docteur Jean-Pierre Choquet. « Le traitement hormonal ne suffit pas à lui seul (…) il n’empêche pas la tête d’avoir des pensées perverses et d’utiliser d’autres moyens pour assouvir sa perversion », a-t-il ajouté.

Et son collègue, le docteur Philippe Lorteau, auteur, en décembre 2006, d’un rapport alarmiste sur le « risque avéré » de récidive d’Evrard, d’ajouter : « Je ne suis pas sûr que la structure de personnalité de M. Evrard lui permette d’évoluer ».

Présenté jusqu’à vendredi devant les juges de la cour d’assises de Douai, Francis Evrard encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

Langage des acteurs, langage des historiens : de quoi parlent les sources judiciaires ?

VI. Archives judiciaires et écriture de l’histoire
Commentaire : Langage des acteurs, langage des historiens : de quoi parlent les sources judiciaires ?
Simona Cerutti est directrice d’études à l’EHESS, membre du Centre de recherches historiques (lien)

7 Le premier problème qui se présente au chercheur qui veut étudier le traitement judiciaire de l’inceste sur un long XIXe siècle, est celui du silence des sources. Il s’agit d’un silence législatif, une sorte de refoulement de l’inceste des champs judiciaires, que l’historien se doit de comprendre et d’expliquer. Ni crime contre la morale, ni crime contre la personne, au début du siècle l’inceste est défini et poursuivi essentiellement comme un abus d’autorité parentale ; l’enjeu de la répression de ce comportement tient essentiellement à la possibilité de charpenter une définition légale de l’autorité, donc d’une valeur considérée comme essentielle au bon déroulement de la vie sociale. Et en effet, nous montre F. Giuliani, ce que les juristes voient dans l’inceste est avant tout la rupture d’un lien social, d’un contrat que l’agresseur aurait enfreint ; ils n’en occultent pas les traces, mais l’incorporent dans des délits concernant le bien du public, et l’attentat à la pudeur. Du coup le travail de l’historien pour repérer la réalité et l’éventuelle diffusion du délit, doit prendre des chemins détournés, en forçant les sources à délivrer des informations qui n’étaient pas au cœur de leur construction. Peut-on étudier un comportement que nous qualifions de criminel alors qu’il n’a pas connu de qualification pénale ? En d’autres termes, peut-on faire parler les sources en leur extorquant des informations au-delà des intentions de leurs rédacteurs ?
8 La réponse, positive, de F. Giuliani est le produit d’un parcours de recherche mené à travers cette lecture « à rebrousse poil » que nous venons d’évoquer. Celle-ci permet non seulement de retrouver les traces des comportements incestueux, mais aussi d’« étudier le décalage ente ce qui est prescrit par la loi et les comportements des hommes de loi ». Ces derniers, nous montre F. Giuliani, refusant toute assimilation de l’inceste aux épisodes de violence ordinaire, élaborèrent des systèmes de preuves spécifiques et originaux par rapport aux prescriptions officielles. La mise en lumière de cette « conscience judiciaire » constitue un résultat important, qui à lui seul confirme le bien fondé d’un choix méthodologique qui consiste à croiser constamment le questionnement sur l’existence et la perception du phénomène « inceste » au cœur de la société, avec l’étude de la construction juridique du crime. Cette même dialectique permet de découvrir la pluralité des voix qui se levèrent pour dénoncer la violence de l’inceste (depuis le cercle des médecins, aux littéraires etc.), en contribuant activement à la fabrication du « crime », poursuivi en justice. Le Code pénal fut bien loin « d’être la seule source légitime » de qualification judiciaire. La construction du champ légal, du coup, plutôt que d’être le monopole des juristes, apparaît comme le résultat d’une convergence de voix disparates.