Faut-il brûler les nymphomanes ? par Agnès Giard

04/01/2011
Hélas pour les femmes, la majorité des médecins estiment que les nymphomanes sont d’immorales créatures, prêtes à tout pour parvenir à leurs fins, y compris raconter des mensonges : vers 1880, le gynécologue britannique C.H.F. Routh raconte le cas d’une jeune fille de 17 ans qui affirme avoir été victime d’inceste, et d’une autre qui prétend avoir été violée par son frère.
Pour Routh, pas de doute, ces petites débauchées sont des nymphomanes : «
Si ces femmes sont capables d’inventer de telles horreurs sur le compte de ceux qu’elles devraient le plus chérir et respecter », conclut-il, il faut vraiment s’en méfier !
Au cours des décennies suivantes, l’hypothèse selon laquelle les victimes d’agression sexuelles sont en réalité des nymphomanes menteuses et corrompues sera acceptée à de nombreuses reprises par la justice. Les femmes violées se retrouvent alors au banc des accusés. Et leurs agresseurs exigent des excuses.
Au début du XXème siècle, malgré la progressive libération des moeurs, on incarcère des femmes sous prétexte qu’elles trompent leur mari. Appelées «
hystériques sexuelles », les voilà internées dans des asiles. Leur mari ne les satisfait pas ? Les voilà accusées de frigidité. Elles vont chercher du plaisir ailleurs ? A l’asile. Jusque dans les années 60, les médecins – essentiellement des hommes – se rassurent en pensant que les femmes à forte libido sont en réalité incapables de jouir et qu’il faut les soigner de force.

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Préface pour "Le Rideau levé ou L’Education de Laure", par Philippe Sollers : inceste père-fille. Ruse de Mirabeau

LE MONDE DES LIVRES | 25.06.10

Préface pour « Le Rideau levé ou L’Education de Laure« , de Mirabeau (éd. Jean-Claude Gawsewitch, 2004).

Philippe Sollers est écrivain. Dernier ouvrage paru : Discours parfait (Gallimard, 2010)

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Vient ensuite la démonstration, dans le style courant du XVIIIe siècle, c’est-à-dire la confession par lettres. Laure raconte son étrange éducation à son amie de couvent, Eugénie.

De quoi s’agit-il ? D’un inceste père-fille. Ruse de Mirabeau : le père n’est pas le géniteur de sa fille, il a couvert le fait que sa femme était enceinte au moment où il l’a épousée. Ici, l’humour est à son comble : comme il n’a pas engendré sa fille, l’inceste qu’il pratiquera avec elle ne pourra être que positif.

Le couvent, non seulement éloigne du bruit social, mais permet « les effets échauffants d’une imagination exaltée dans la retraite et l’oisiveté ». C’est une prison, mais une prison favorable à l’excitation. De toute façon, « le bonheur des femmes aime partout l’ombre et le mystère ». C’est une loi dont nous avons peut-être perdu la science. La mère est morte, la fille est libre, son père l’adore et elle adore son papa, Laure va donc aller de découverte en découverte, aidée en cela par sa gouvernante de 19 ans, Lucette.

Je vous laisse lire. Mais qu’une fille (ou, plus tard, une femme) puisse déclarer, grâce à cette éducation parfaitement scandaleuse que « l’envie et la jalousie sont étrangères à son coeur », voilà la rareté de la chose.

Supprimer l’envie et la jalousie serait donc possible ? Mirabeau veut en faire la démonstration.

Le père, ici, est un philosophe. Sa fille le décrit ainsi : « Un homme extraordinaire, unique, un vrai philosophe au-dessus de tout. »

Le sexe de son père, lui, est un « vrai bijou ».

Action. « Depuis ce temps tout fut pour moi une source de lumières. Il me semblait que l’instrument que je touchais fût la clef merveilleuse qui ouvrait tout à coup mon entendement. »

On sait (on ne sait pas assez) que Mirabeau a été un partisan résolu de la masturbation, surtout à deux, la solitaire entraînant « une très grande dissipation des esprits animaux ». Ce qui est frappant, dans Le Rideau levé, c’est la mise en garde contre les excès sexuels, aussi destructeurs que les grossesses forcées ou intempestives. Le sexe a une fonction de connaissance, mais sans cette connaissance il est très vite destructeur ou abrutissant.

Au contraire, « tout est plaisir, charmes, délices, quand on s’aime aussi tendrement et avec autant de passion ».

Mirabeau est très précis : toutes les positions y passent, en hommage à la vraie philosophie.

Une philosophie que l’on peut dire résolument féministe, quitte à faire hurler ceux ou celles qui croient connaître le sens de ce mot.

Le lesbianisme le plus raisonné est ainsi célébré, et cette révélation vient du père. Le Père, en somme, est un nouveau dieu qui prend la place du Dieu ancien (ce Dieu procréateur étant faussement hétérosexuel).

Audace de Mirabeau : sa poétique sensuelle est en même temps une politique révolutionnaire. On ne l’a pas entendu, c’était couru.

Derniers mots de Laure, après la mort de son père, à Eugénie : « Mais, tendre amie, oublions l’univers pour ne nous en tenir qu’à nous-mêmes. »

Moralité : une femme n’a qu’un seul homme dans sa vie : son père. Le meilleur usage qu’elle peut en faire, à condition qu’il ait été un vrai philosophe français, est d’en tirer des plaisirs en connaissance de cause.

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