Ce dimanche 22 mai 2011, l’émission Zone interdite diffusée à 20h45 sur M6 nous proposait un documentaire intitulé Acquittés d’Outreau : 10 ans après le cauchemar continue. Objectif affiché par la réalisatrice Karine Duchochois, jeune femme acquittée par la cour d’assises de Saint-Omer le 2 juillet 2004 devenue journaliste : « savoir ce que les autres [acquittés] étaient devenus » et « tourner la page ». Peut-être aussi allumer un contre-feu face aux derniers développements de l’affaire, notamment la parution du livre de Chérif Delay, mais ce n’est là qu’une hypothèse.
C’est entendu : je ne m’attendais pas à voir un chef-d’œuvre, mais bon, là, nous sommes vraiment dans le bas de gamme, « tellement bas qu’il n’y a plus de gamme », pour reprendre une formule employée naguère par le journaliste François Forestier dans un autre contexte.
Passons sur les petites erreurs de détail, par exemple lorsque le film situe la sanction du Conseil Supérieur de la Magistrature infligée à Fabrice Burgaud (« réprimande avec inscription au dossier ») un an après son audition devant la commission d’enquête parlementaire du 8 février 2006, alors que c’était trois ans après (24 avril 2009). C’est regrettable, mais pas bien méchant. Et puis, il y a plus grave, on va le voir…
Karine Duchochois explique qu’avant le déclenchement de l’affaire, elle vivait « de petits boulots ». Ce n’est pas faux, mais un tantinet incomplet ; voici ce qu’on peut lire dans un PV signé Michel P., capitaine de police à Châtillon (Hauts-de-Seine), daté du 25 avril 2002, 9h50, et relatif à la demoiselle : « connue des services de police pour des infractions commises dans le Pas de calais (sic) : usage de stupéfiants en 98 et 99, violences et dégradations volontaires, menaces d’atteinte aux personnes sous condition en 97, faits commis à Outreau, et falsification et usage de chèques en 98, faits commis à Saint Martin, Saint Etienne au Mont et Le Portel (62) en 1998. » Cette chère Karine n’était donc pas une sainte de mon calendrier, mais après tout, on peut comprendre qu’elle ne souhaite pas évoquer son passé de bad girl. Ce n’est que le début du film, mais rassurez-vous : la suite est encore plus gratinée. Jugez plutôt :
Devant la caméra, Alain Marécaux laisse carrément entendre que c’est Fabrice Burgaud qui a soufflé son nom à Myriam Badaoui pour le « caser » dans le dossier, et l’accuse ouvertement d’être responsable de la mort de sa mère, décédée quelque temps après son arrestation le 14 novembre 2001. La souffrance de l’huissier est bien réelle, mais cela n’autorise guère le fait de placer sous le boisseau les accusations d’atteintes sexuelles lancées par un de ses fils au moment de l’affaire – faits datés de courant 1998 à novembre 2000 – qui ont valu à Alain Marécaux d’être condamné à la majorité absolue à dix-huit mois de prison avec sursis aux assises de Saint-Omer, avant d’être acquitté en appel (1er décembre 2005). L’enfant anciennement accusateur apparaît d’ailleurs dans le film – le visage est « flouté » – mais Karine Duchochois ne lui pose aucune question à ce sujet.
Au cours de son pèlerinage, la journaliste va également à la rencontre de Daniel Legrand fils, et de Lydia Cazin-Mourmand, la sœur de François Mourmand (le jeune ferrailleur mis en examen décédé le 9 juin 2002 à la maison d’arrêt de Douai), qui continue de se battre pour la réhabilitation posthume de son frère. A aucun moment, le rôle du fils Legrand dans l’ouragan médiatique autour du dossier outrelois n’est évoqué – je fais bien sûr allusion à la lettre de janvier 2002 dans lequel il affirmait avoir assisté au meurtre d’une fillette. [on le sait, le jeune Daniel s’est rétracté par la suite, affirmant avoir voulu faire exploser l’accusation en plein vol. Une image de fin stratège qui ne cadre guère avec l’expertise psychologique de l’intéressé : « Il est […] peu apte à l’effort intellectuel et abandonne rapidement devant la difficulté. La pensée demeure très attachée à la réalité concrète. »] Par ailleurs, Karine Duchochois présente de façon biaisée le passé judiciaire de feu François Mourmand : « voleur multirécidiviste », soit, mais notre homme a également fait huit mois de prison (du 23 février au 2 octobre 1995) pour violences habituelles envers un mineur de quinze ans suivies d’incapacité inférieure ou égale à huit jours, faits commis de courant juin 1994 au 23 février 1995. Si elle évoque longuement le combat de Lydia, notre enquêtrice passe complètement sous silence l’enquête de la Brigade des Mineurs de Boulogne-sur-Mer (mars 2004/janvier 2006) relative aux accusations de viols et agressions sexuelles de la fille aînée du disparu, Caroline, contre son père, son oncle et quatorze autres personnes. Une fois encore : circulez, il y a rien à voir !
Là où j’ai vraiment été dubitatif, c’est au moment du témoignage d’Aurore Beaumont, la fille aînée de Sandrine Lavier. Voici ce que dit la jeune fille : « A un moment, j’ai craqué, j’ai suivi les autres enfants [dans leurs accusations] » En clair : ce serait sous la pression des enquêteurs de police qu’Aurore aurait accusé son beau-père et sa mère. Je ne reviendrai pas sur les courriers et expertises psychologiques de la petite qui me font douter de ces explications ; en revanche, on peut se demander pourquoi Aurore témoigne filmée à contre-jour, alors qu’il est d’une facilité enfantine de la retrouver sur Internet, où elle apparaît à visage découvert. Enfin, bon, ce que j’en dis, n’est-ce pas…
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