Procès d’Outreau : les motivations d’un verdict d’acquittement

Logo-Le-paisien-TV05 Juin 2015, 23h01 |
MAJ : 06 Juin 2015, 02h09

Au terme de trois semaines de débat et de cinq heures de délibéré, la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine a acquitté Daniel Legrand. Six jurés et trois magistrats professionnels ont donc tranché.

Et comme la loi l’impose depuis 2012, un verdict de cour d’assises doit désormais être motivé.

Le document présenté ci-dessous livre dans son intégralité cette « motivation ». Reprenant une chronologie, celle-ci souligne la singularité de l’apparition des Daniel Legrand, père et fils, dans ce qui était au départ un dossier d’inceste familial impliquant Myriam Badoui et Thierry Delay, et un couple de voisins, sur leurs quatre fils, Chérif, Dimitri, Jonathan et Dylan.

Elle écarte les accusations de la mère incestueuse et de ses voisins, Aurélie Grenon et David Delplanque, à l’encontre de Daniel Legrand fils comme infondées. Elle qualifie les aveux de l’intéressé durant l’instruction, avant qu’il ne se rétracte, de « fantaisistes ». Enfin, la cour estime « trop imprécises » les déclarations des enfants Delay à l’audience pour qu’elles se voient accorder « force probante ».

Si elle n’est pas explicite, la critique de certaines des méthodes d’instruction du juge Fabrice Burgaud transparaît clairement.

Pascale égré, à Rennes

Pourquoi la cour d’assises a acquitté Daniel legrand

Voici l’intégralité de la feuille de motivation de la cour d’assises de Rennes :

Feuille de Motivation
article 365-1 du code de procédure pénale
Affaire : 14/0007
Audience du 19 mai 2015 au 5 juin 2015

La cour d’assises a acquitté Legrand Daniel pour les crimes de viol sur mineur de 15 ans et en réunion, du 16/07/1997 au 15/07/1999, à Outreau et en Belgique, et des délits connexes d’agression sexuelle sur mineur de 15 ans en réunion, du 16/07/1997 au 15/07/1999, à Outreau et en Belgique.
après avoir considéré, au vu des éléments exposés au cours des débats puis des délibérations menées par la Cour et le Jury préalablement aux votes sur les questions, que l’accusé n’avait pas commis les faits qui lui étaient reprochés, en ce que :

Le 28 mai 2001, Myriam Badaoui écrivait au juge d’instruction pour l’informer que les faits pour lesquels elle était mise en examen et écrouée avaient également eu lieu en Belgique où ses enfants étaient emmenés pour faire des photos ; elle précisait dans d’autres courriers le rôle d’organisateur d’un homme qu’elle ne nommait pas mais désignait sous le nom de l’« homme du sex-shop » et qu’elle se disait prête à reconnaître.
Le 3 juillet 2001, un écrit de Madame B., assistante maternelle de Dimitri Delay, était remis aux enquêteurs ; ce document reprenait, selon elle, les noms et indications donnés par l’enfant ; y figurait, entre autres et pour la première fois dans la procédure, la mention de « Dany legrand en Belgique ». Ce nom, en revanche, n’apparaissait pas dans la liste écrite peu de temps auparavant par Dimitri lui-même.
A aucun moment, Dimitri ne sera entendu, ni par les enquêteurs ni par le juge, pour donner des précisions sur ce nom afin d’orienter l’enquête.

Le 23 août 2001, le juge d’instruction était informé par les enquêteurs qu’un jeune homme né en 1981, dénommé Daniel Legrand, avait été interpellé en Belgique en 1999 pour des faits de vol et escroquerie par chèques volés et que son père, né en 1952, portait également le nom de Daniel Legrand.
A ce stade, aucun élément de l’enquête ou de l’instruction ne permettait de faire un lien véritable entre Dany Legrand en Belgique et les deux Daniel Legrand ainsi identifiés.

Or le 27 août 2001, Myriam Badaoui, interrogée par le juge, affirmait soudainement que Daniel Legrand « mais qu’on appelle en fait Dany Legrand » était le propriétaire du sex-shop et la tête de réseau du trafic d’enfants et de films à caractère pédophile en France et en Belgique ; elle ajoutait que lui et son fils également prénommé Daniel Legrand avaient sodomisé les enfants.
Alors que Myriam Badaoui n’avait, jusqu’à cette date, jamais évoqué les noms de Daniel Legrand père et fils, elle les mentionnait singulièrement dans cet interrogatoire puis dans ses lettres et déclarations ultérieures au magistrat instructeur, en sorte que les circonstances de cette dénonciation ne permettent pas d’être convaincu de leur caractère probant.
Sa reconnaissance ultérieure sur photographies des deux Daniel Legrand n’est pas déterminante dès lors qu’elle avait accès au dossier d’instruction par l’intermédiaire de son conseil, à l’instar de l’ensemble des mis en examen.

Le 18 septembre 2001, Aurélie Grenon mettait également en cause Daniel Legrand père et fils comme auteurs des faits ; elle indiquait tout d’abord ne pas les connaître puis affirmait que Daniel Legrand père y avait participé et l’avait ensuite menacée alors qu’il était accompagné d’un « jeune homme qui devait certainement être son fils » ; or cet élément de doute disparaissait ensuite de façon incompréhensible lorsqu’elle répondait que Daniel Legrand fils avait commis des viols sur les enfants ; sa reconnaissance sur photos, le 10 décembre 2001, dans les mêmes conditions que Myriam Badaoui, n’est pas de nature à fournir un élément sérieux, ayant elle-même accès au dossier avant ses interrogatoires.

Le 5 octobre 2001, David Delplanque, après avoir à de nombreuses reprises affirmé qu’il ne connaissait pas Daniel Legrand, sur question du juge lui affirmant de façon péremptoire qu’il existait des charges concordantes à l’encontre de Daniel Legrand père et fils d’avoir commis des viols, déclarait qu’en fait ça lui disait quelque chose, fournissant ensuite plusieurs précisions en contradiction avec cet élément de doute, tout en donnant, paradoxalement, une description physique erronée de Daniel Legrand père ; aucune photo toutefois ne lui était présentée.
De même, l’enquêteur en charge de l’interpellation et de la garde à vue de Daniel Legrand fils, Jean-Yves Boulard, émettait de sérieux doutes à l’audience sur le recueil des éléments à charge contenus dans ces trois procès-verbaux d’interrogatoire.

Le 17 décembre 2001, sans avoir été au préalable interrogé sur les faits, Daniel Legrand fils était confronté à ses accusateurs dans des conditions n’offrant pas la possibilité de faire ressortir d’éventuelles contradictions dans les mises en cause dont il faisait l’objet ; en effet, Myriam Badaoui, Aurélie Grenon et David Delplanque étant introduits dans le bureau du juge en même temps dès le début de l’acte. Or, au cours de cette confrontation, Myriam Badaoui qui avait la parole en premier, décrivait spontanément une seule scène de viol à laquelle Daniel Legrand aurait participé et qu’elle situait en février 2000, scène confirmée par Aurélie Grenon en ces termes « comme Madame Delay l’expliquait », alors qu’elle n’avait fréquenté le couple Delay que de septembre à décembre 1998.

Les précisions apportées au cours de cette confrontation par Myriam Badaoui quant aux rôles joués par Daniel Legrand père et fils n’étaient pas corroborées par les investigations menées concomitamment par les enquêteurs : appartenance à un réseau structuré, déplacements en Belgique, location de bâtiments, exploitation du sex-shop de Boulogne-sur-Mer.
Lors des débats d’audience, Myriam Badaoui, Aurélie Grenon et David Delplanque indiquaient finalement ne pas connaître Daniel Legrand fils et l’avoir accusé à tort.

Les aveux passés par l’accusé, après avoir clamé son innocence, apparaissent comme une tentative désespérée et maladroite de se faire entendre du juge dans le but essentiel d’obtenir sa mise en liberté. En tout état de cause, leur contenu est imprécis et peu circonstancié (lieux, dates, description des faits, circonstances). Au surplus, aucun des enfants qu’il désignait comme victimes sur présentation de panels photographiques, critiquables dans leur conception car non discriminants, et au rang desquels ne figurent ni Dimitri ni Jonathan, ne citaient son nom ou son prénom et, par surcroît, ceux auxquels sa photographie était présentée affirmaient ne pas le connaître.
S’agissant du meurtre de la fillette auquel il disait avoir assisté au domicile des Delay, afin de mettre en échec les accusations de Myriam Badaoui, rien ne permettait d’avérer son existence ; les investigations réalisées dans le cadre du dossier puis d’une information distincte étaient clôturées par un non-lieu, venant ainsi renforcer le caractère fantaisiste de ses prétendus aveux.

Sur les déclarations des enfants Delay au cours de l’instruction :
• Chérif déclarait connaître Daniel Legrand père mais n’a jamais mis en cause Daniel Legrand fils de quelque manière que ce soit en dépit d’une question du juge sur ce point ;
• Dimitri n’évoquait jamais Daniel Legrand et aucune question ne lui était posée sur ce point ;
• Jonathan indiquait au juge sur question que le nom de Daniel Legrand ne lui disait rien ;
• Dylan ne faisait jamais état du nom de Daniel Legrand fils.
Par ailleurs, si aucune photographe de l’accusé ne leur a jamais été présentée pendant l’instruction, il résulte, toutefois, des débats, que Chérif, Dimitri et Jonathan n’ont pas reconnu l’accusé Daniel Legrand, ni au procès de Saint-Omer ni à celui de Paris.
Au surplus, les déclarations des parties civiles à l’audience, selon lesquelles chacun dit avoir le souvenir sous forme de flashs de la présence de l’accusé, courant 1998, au domicile de leurs parents, en lien avec les abus sexuels qu’ils dénoncent, sont par trop imprécises pour leur donner une quelconque signification et leur accorder une force probante.
Enfin, les éléments de personnalité de l’accusé, débattus à l’audience, excluent chez l’intéressé toute déviance sexuelle à caractère pédophile.
Fait à Rennes, le 5 juin 2015.

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Mon avis sur le troisième procès Outreau Par Karl Zéro

photojuin 5, 2015

Chérif Delay est l’aîné de la fratrie des enfants victimes d’Outreau (les quatre petits Delay et huit autres), dont le troisième procès est sur le point de se clore. L’inculpé pour pédophilie Daniel Legrand-fils est une nouvelle fois en passe de se faire acquitter.

Chérif était, ces dernières années, parti « oublier » les procès et l’affaire à Dakar, au Sénégal. C’est là que Serge Garde, qui réalisera par la suite le documentaire Outreau, l’autre vérité pour le cinéma, l’avait retrouvé. C’était il y a quatre ans. À l’époque, Chérif ne voulait plus qu’on l’appelle Kévin, prénom celtique dont l’avait affublé son beau-père calaisien – selon plusieurs sources, pour mieux le prostituer. En devenant majeur, Chérif avait le choix : parler ou se taire à jamais. Il fit le premier, et raconta son enfer à Serge. Ce sont ces images que je vous propose de voir aujourd’hui.

Elles font froid dans le dos. Elles décrivent une souffrance inimaginable, celui de l’enfant qui endure et ne peut rien dire. De cette interview et du film qu’en tira Garde, puis de deux livres sont nés ce que les avocats des acquittés d’Outreau, Éric Dupond-Moretti en tête, appellent aujourd’hui le « complot révisionniste » d’un quarteron d’internautes et d’experts pédopsychiatres. On a le droit d’être circonspect devant cet argument.

Moi, je ne suis pas là pour juger. Je suis là pour écouter, et essayer de me faire un avis. J’entends comprendre, sans que tel ou tel tribun de la presse ou du barreau ne me l’impose. Car cette affaire d’ Outreau est si étrange qu’on en ressort, même après trois procès, avec une seule certitude : face au fléau pédophile, la justice française est complètement démunie, et impuissante. On en ressort à chaque fois avec le sentiment diffus que tout le monde ment.

La décision du jury pour « Outreau 3 », n’est pas encore tombée « à l’heure où nous mettons sous presse », comme on disait quand il y avait encore une presse et des journaux en papier. Notons néanmoins que cet adage est bidon. Preuve en est qu’il y eut un procès Outreau 1 – de mai à juillet 2004 – et en appel, un procès Outreau 2 – au mois de novembre 2005. Entre-temps, on avait donc dû largement se permettre de commenter la première décision de justice afin d’en arriver à la seconde.

Je vous refais le pitch, en bref, au cas où vous reviendriez d’un très long hiver d’une quinzaine d’années : à Outreau, Pas-de-Calais, dans le quartier de la Tour du Renard, douze enfants furent selon leurs dires que la justice écouta en les indemnisant violés pendant des années par plusieurs pédophiles. Qui étaient-ils, ces pédos ?

Version procès 1 : parmi dix-sept accusés, treize d’entre eux sont condamnés.

Version procès 2 : finalement, il n’y a plus que quatre d’entre eux qui sont coupables. À savoir le célèbre couple Delay-Badaoui, doublé de leurs voisins les « D-G » (on les appelle comme ça parce qu’ils sont aujourd’hui libres, et qu’ils auraient le droit à l’oubli) tombent pour « viols, agressions sexuelles, corruption de mineurs et proxénétisme ». Je mets le mot en italique exprès, car on va y revenir.

On acquitta les personnes qui croupissaient en prison pour rien, et lors d’un grand show diffusé en direct, une impressionnante commission d’enquête parlementaire jura ses grands Dieux que plus jamais la Justice ne mettrait des innocents en prison – et déculotta publiquement le jeune Juge Burgaud.

Et on en arrive à un pauvre remake organisé à Rennes depuis trois semaines et jusqu’à aujourd’hui, Outreau 3. Il s’agissait d’y juger Daniel Legrand fils (condamné en 2004, puis blanchi en 2005) pour des viols commis à la Tour du Renard lorsqu’il était mineur. Pourquoi maintenant, me direz-vous, si longtemps après ? Parce qu’après, il y aurait eu prescription. Et que cette prescription, le syndicat FO de la magistrature et l’association Innocence en Danger n’en voulaient à aucun prix.

Ils espéraient qu’au cours de cet ultime round judiciaire, la vérité sortirait, non pas de la bouche des enfants, reconnus victimes et venus déposer, continuant d’accuser certains des acquittés – mais des acquittés eux-mêmes…

Cela n’a pas eu lieu. Je ne m’avance guère, à l’heure où nous mettons sous presse donc, pour vous annoncer le non-lieu de Daniel Legrand-fils, qui sera porté en triomphe, dès ce soir, de Rennes jusqu’à Outreau.

Mais, revenons à la qualification de proxénétisme pour laquelle quatre condamnés se retrouvèrent en prison – Thierry Delay y est, lui, toujours… En toute logique, s’il y a eu proxénétisme de leur part, c’est qu’il y avait des clients ? Je veux dire : à part eux-mêmes – qui ne pouvaient pas être leurs propres clients. Où sont-ils passés, alors, ces clients ?

J’ai confiance en la justice de mon pays, et je la suis comme un seul homme quand elle me dit que ces clients, ce ne sont pas les acquittés d’Outreau 2 (et l’acquitté à venir d’Outreau 3). Seulement voilà : maintenant que cette affaire est close pour toujours, je reste sur ma faim. Alors j’avais envie d’entendre ce que dit celui « par qui le scandale est arrivé », Chérif. La vidéo est sur ma chaîne YouTube Karl Zéro Absolu, maintenant.

Thèmes : Outreau, procès d’Outreau, France, Pas-de-Calais, Karl Zéro, Chérif Delay, Daniel Legrand
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