Outreau : pourquoi Florence Aubenas a-t-elle menti ? par Jacques Cuvillier

Logo MediapartC’était il y a dix ans. Les médias sont en effervescence en cette année 2005, alors que se profile  le procès en appel des personnes qui ont été mises en cause dans l’affaire d’Outreau et condamnées au procès de Saint-Omer. La cause est-elle entendue ? Nul ne le sait encore de manière certaine, bien que l’opinion publique ait déjà été travaillée en profondeur sous l’effet d’un emballement médiatique qui a mis les accusés sur le devant de la scène, les acteurs de la justice sur la sellette, et les enfants victimes dans l’ombre.

Arrive alors de sa captivité, toute auréolée de lumière, Florence Aubenas. Elle avait, pour le journal Libération, suivi le procès de Saint-Omer et entrepris de publier un livre sur le sujet. Elle reprit ce travail à son retour en France en juin, et s’efforça de le publier sous le titre « La méprise » avant que s’ouvre le procès en appel à Paris en octobre. Il fallait faire vite pour qu’il serve son objectif : appuyer les thèses de la défense en vue d’obtenir l’acquittement de ceux qui avaient fait appel de leur condamnation.

Comme le remarque dans un excellent article1 publié sur le Village de la Justice le 6 mai 2015, Michel Gasteau, ancien Président des cours d’assises de Douai, Saint-Omer, Rouen et Evreux, le livre qui prétend être un reportage ne correspond pas vraiment à ce que l’on pourrait attendre : qu’il se fonde sur des éléments factuels, qu’il en rende compte pour informer. Si c’était le cas, même avec la touche personnelle de l’auteur, le récit construit à partir d’observations de terrain, laisserait au lecteur sa propre liberté d’interprétation. S’agissant d’un sujet aussi grave et complexe que cette affaire de pédophilie, on pouvait espérer qu’un récit aussi précis, fidèle et neutre que possible, permettrait à l’issue du procès d’apporter au public un éclairage utile. Comme nous allons le voir, l’ouvrage, bien plus destiné à influencer qu’à informer ne va pas du tout en ce sens. D’ailleurs, sans présumer des conclusions du procès en appel, le livre donne par avance des conclusions qui auraient dû faire réagir vivement la justice, mais Florence Aubenas à cette époque était une icône intouchable. Pour peu que l’on prenne le livre en main, ou que l’on en voie la description sur un site de vente en ligne, on trouve sur la quatrième de couverture : « qui est vraiment coupable ? Pourquoi et comment la justice a-t-elle déraillé ? »  Cette affirmation téméraire associée au visage souriant – juste à côté – et à la notoriété dont les médias l’avait parée devaient suffire à effacer les doutes. Il n’était donc même pas nécessaire de lire le livre pour se faire une opinion.

Avec les meilleures intentions du monde, tout auteur oriente fatalement son récit en fonction de son point de vue, par le choix des mots, par ses remarques et notes de bas de page, par l’organisation du propos. On lui pardonnera d’éventuelles inexactitudes ici ou là – personne n’est parfait – on pourrait s’interroger sur ses éventuelles omissions. L’appréciation peut devenir nettement moins favorable si les termes utilisés sont orientés de façon systématique, donnant à l’ensemble non plus une coloration mais une orientation partisane. Mais la contre-vérité intentionnelle devrait en principe alerter le lecteur avisé sur les intentions réelles de l’auteur, et l’inciter à la plus grande prudence, voir au rejet.

Pour autant qu’il m’en souvienne, j’avais appris dans l’enfance que mentir, c’est parler contre sa pensée avec l’intention de tromper. Comment un reportage revendiqué comme tel peut-il avoir pour but de faire que le lecteur se méprenne sur l’information qu’il est censé lui fournir ? Serait-ce là ce qu’en réalité le titre suggère ?
L’ouvrage peut être examiné sous plusieurs angles :
– son temps de préparation et sa date de parution ;
– la sémantique et le ton utilisé ;
– les passages romancés et les exagérations ;
– les mensonges intentionnels.

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Quelques réflexions sur l’acquittement par Jacques Cuvillier

logovjPour l’opinion publique, un acquittement par la cour d’assises est la preuve de l’innocence de l’accusé. Ce serait aussi la preuve que l’instruction n’a pas été effectuée correctement, la preuve éventuellement que l’accusé avait été détenu injustement…
La réalité est plus complexe. Elle relève pourtant de questions qui, mieux comprises, pourraient grandement clarifier l’interprétation quelquefois simpliste que l’on donne des affaires fortement médiatisées.
Qu’il me soit donc permis ici d’apporter l’éclairage que Henri Hugues – Président de chambre honoraire à la Cour d’Appel d’Aix en Provence – nous a apporté par une note qu’il a communiqué à ses amis.

Les arrêts des cours d’assises ne sont pas motivés
Il est toujours difficile de commenter un arrêt de cour d’assises parce qu’on ne connaît pas les motifs pour lesquels l’accusé a été condamné ou acquitté. Lorsqu’un accusé pénètre dans la cour d’assises, on sait les infractions qui lui sont reprochées. La décision du juge d’instruction, ou celle de la chambre de l’instruction, précisent les motifs. Il est indiqué aussi qu’il existe contre cet accusé des « charges suffisantes ».
En cas de condamnation, on peut se référer à cette décision de renvoi pour connaître selon toutes vraisemblances ce qui a entraîné cet arrêt.
Mais après un acquittement, qui est une décision contraire à l’ordonnance ou à l’arrêt de renvoi, on ne peut pas savoir les motifs pour lesquels magistrats et jurés se sont ainsi déterminés.
La cour d’assises est constituée de trois magistrats professionnels, dont un président, et de neuf jurés, ou douze jurés lorsque la cour siège à la suite d’un appel.
La délibération est secrète : elle a lieu dans la salle des délibérations. Après un échange de vues, les magistrats et les jurés votent par écrit, à bulletins secrets. Les bulletins sont détruits immédiatement après le dépouillement, pour préserver le secret.
La question posée pour chaque accusé et chaque infraction est celle-ci : « X est-il coupable d’avoir à… le… » Il est répondu soit par « oui », soit par « non », soit par bulletin blanc. Seuls les oui sont comptés. L’accusé est déclaré coupable si huit au moins des votants (dix dans le cas de la cour d’assise statuant en appel) ont répondu « oui ». A défaut de huit (ou dix) oui, l’accusé est acquitté.
Peu importe le nombre de « non »… ou de bulletins blancs. L’accusé peut donc être acquitté alors que sept des votants ont répondu « oui » et parfois même alors qu’aucun des votants n’a voté « non », les indécis ayant déposé un bulletin blanc.
Mais seuls les magistrats professionnels et les jurés connaissent le nombre de « oui », de « non », et de bulletins blancs. A l’audience publique, lorsqu’il prononce l’arrêt, le président ne dit pas comment se sont réparties les voix. En cas de condamnation, il dit seulement « à la majorité de huit (ou dix) voix au moins ». On ne relève jamais qu’une décision a été prononcée à l’unanimité lorsque ce fut le cas.

Ces nombres ne sont écrits nulle part.

Il est formellement interdit à ceux qui ont pris part au vote de dévoiler le nombre de « oui », de « non », ou de bulletins blancs sous peine de poursuites pour violation du secret de la délibération. On peut observer d’ailleurs que celui qui violerait le secret serait dans l’impossibilité de prouver la vérité de ses allégations, aucun document ne mentionnant la répartition des voix.
Ainsi en cas d’acquittement, on peut seulement se livrer à des suppositions. La formule parfois employée par les médias : « au bénéfice du doute » est erronée et constitue une fausse information.

Inévitablement des coupables sont acquittés
Si à la question de la culpabilité, sept des votants sur douze (ou neuf sur quinze en appel) ont répondu « oui », l’accusé est acquitté.
Or ces chiffres ne reposent sur aucune considération impérative. Le législateur aurait pu tout aussi bien prescrire que l’accusé serait déclaré coupable à la majorité de sept voix au moins, au lieu de huit, et, en appel, à la majorité de neuf voix au moins au lieu de dix. Ainsi il y aurait plus d’accusés déclarés coupables et moins d’accusés acquittés.
Ou bien, au contraire, si ces chiffres avaient été supérieurs (neuf « oui », ou onze), il y aurait eu moins de condamnés et plus d’acquittés.
Mais le législateur a préféré que les coupables soient acquittés plutôt que des accusés innocents soient condamnés. Une marge de sécurité doit nécessairement exister et cette marge comprend des accusés qui auraient été déclarés coupables si cette marge avait été différente.

Des jurés convaincus de la culpabilité de l’accusé votent parfois « non » à la question sur la culpabilité.
Ce qui préoccupe parfois le plus les jurés, ce n’est pas de répondre véritablement à la question sur la culpabilité. Ils sont davantage préoccupés par les conséquences sur la peine. S’ils ne sont pas sûrs que les autres votants prononcent une peine modérée, ils préfèrent voter « non ».
C’est ce qui se produit surtout lorsque la détention provisoire subie constitue déjà à leurs yeux une peine suffisante. Dans ces cas, ils préfèrent souvent voter « non » à la question sur la culpabilité, pour éviter aussi l’inscription d’une condamnation au casier judiciaire, ce qui pourrait nuire au reclassement de l’accusé. Ainsi des coupables doivent parfois leur acquittement à la détention provisoire.
Il arrive aussi que des votants à peu près convaincus de la culpabilité de l’accusé n’éprouvent tout de même pas cette certitude à cent pour cent absolument nécessaire pour voter « oui ». Le moindre doute interdit de voter « oui ». Au contraire, pour acquitter, il n’est pas besoin d’être convaincu de l’innocence.
Parfois encore, les votants, convaincus de la culpabilité de l’accusé ne sentent pas la force intérieurs pour s’exprimer sur ce champ. Ceux-là auraient besoin d’un temps de répit pour affermir leur conviction. Mais à la cour d’assises, on ne met pas en délibéré : il faut décider sans désemparer, avant le tirage au sort d’un autre jury qui siègera pour l’affaire suivante.
Parfois aussi, pour n’avoir pas pris suffisamment de notes au cours des débats, des jurés se trouvent en difficultés au moment de la délibération. Ils ne peuvent se remémorer avec certitude tel élément de l’affaire qui leur avait paru déterminant au cours des débats et qui entraînerait leur conviction s’ils le retrouvaient écrit dans leurs notes. On peut imaginer quel a dû être le trouble de certains jurés, dans l’affaire d’Outreau, pour se déterminer, après plusieurs semaines d’audience, après une vingtaine de plaidoiries des avocats de la défense, qui ont toujours la parole les derniers. Dans tous les cas, on ignore bien sûr les causes véritables de l’acquittement. L’accusé acquitté pourra demander une réparation pécuniaire pour détention abusive… même si c’est en considération de cette détention qu’il a été acquitté… En cas de nouvelle poursuite, il sera considéré comme délinquant primaire…
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