Il y a peu, je n’arrivais même pas à utiliser le clavier de l’ordinateur pour me relier aux vivants. Mon père avait passé sa vie comme représentant à vendre des machines à écrire. C’était une obsession chez lui, fourguer des machines Japy. Sur la route, en vacances, au restau. A la maison, il n’y avait que lui qui avait le droit de toucher aux touches et au ruban. Même le cendrier, c’était une petite machine à écrire en céramique jaune.
Je suis devenue carpe au fil du temps. Personne n’avait voulu entendre mes appels codés en primaire, ma mère prenait son Témesta le soir. Les profs disaient : « c’est une carpe, votre fille ».
Quand j’entendais les pas de mon père dans l’escalier, je sautais au plafond et on n’en parle plus. Laisse-le te dépecer, toi tu es déjà loin.
Ma terreur, que quelque chose ne filtre, qu’un mot soit dit et je nous mettais tous en danger de mort. Quand il disjonctait la nuit et qu’il avait ses yeux de fou, il le disait, « qu’on allait tous y passer » il fallait que je m’active. Je n’ai retrouvé la parole que l’année de mes 40 ans. La parole, mais impossible d’écrire et encore moins, de taper les mots sur un clavier.
J’ai été très étonnée lorsque je suis tombée sur le site de l’Auteure obligatoirement anonyme, si bien documenté. On avait participé à la première émission sur l’inceste. Comment faisait-elle pour aligner tout cela ?
Avec son aide, j’ai apprivoisé ce foutu clavier et petit à petit les mots sont apparus.
Au Grand Journal sur Canal plus, le Manifeste des 313 est passé furtivement, au centre de l’écran, j’ai eu le temps de voir le nom d’Emmanuelle Césari, art-thérapeute.
J’ai signé à mon tour, en insistant qu’il fallait aussi tenir compte des nombreux hommes victimes de viols, des innombrables enfants violés dans leur enfance et soulever le tabou des grossesses incestueuses.
Le lendemain, une journaliste m’a contactée, Elsa Vigoureux. Elle a enquêté et écrit « Le clan des barbares ». Je savais qu’elle pouvait entendre l’inracontable.
Je témoigne dans le magazine daté de cette semaine, 13 décembre 2012 dans la rubrique « Inceste, un fléau de santé publique de l’ombre ». J’ai voulu que mon nom de jeune fille, le nom de mon père, apparaisse clairement, suivi de mon nom de femme mariée.<
Une Dominique de 12 ans se réjouit à l’intérieur tandis qu’une autre voix panique à l’idée qu’ils vont débarquer pour me tuer. Un jour, il va bien falloir qu’ils me fichent la paix définitivement.
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Le nouvel observateur – 13 décembre 2012 – Viol d’aubaine
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