6/ Qualité de la communication dans la genèse de l’état limite par Vincent Estellon

 
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Si l’enfant a besoin de soins pour grandir et se construire, il est également pris dans un bain de paroles. La qualité de la communication qui le lie à son environnement tient une grande place dans sa structuration psychopathologique. En 1972, Gregory Bateson développe des travaux sur la communication à double contrainte.
Pour lui, la double contrainte, pour se constituer, a besoin des éléments suivants :
– au moins deux personnes (l’émetteur de la double contrainte et le récepteur) ;
– la répétition de l’expérience ;
– une injonction négative primaire pouvant prendre deux formes : « ne fais pas ceci ou je te punirai » ; « si tu ne fais pas ceci je te punirai » ;
– une injonction secondaire qui contredit la première à un niveau plus abstrait tout en étant, comme elle, renforcée par la punition ou par certains signaux menaçant la survie. Elle peut être transmise à l’enfant par des moyens non verbaux (attitudes, gestes, ton de la voix, etc.) ;
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Autres billets sur Les états limites
1/ Livre – Les états limites par Vincent Estellon
2/ Les états limites : The Borderline Patient
3/ L’angoisse chez les Etats limites selon Otto Kernberg
4/ L’identification à l’agresseur dans les états limites
5/ Le clivage vertical par Vincent Estellon

5/ Le clivage vertical par Vincent Estellon

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2. Le clivage vertical. – Cette notion ressemble à ce que Freud nomme le « clivage du Moi » : une partie de la psyché est tenue écartée d’une autre de manière à ce qu’aucune connexion ne soit possible entre les deux. Les effets dérivés de ce clivage sont proches de ce que Ferenczi note à propos du nourrisson savant (ou chez Winnicott avec le faux-self) : ceux d’une fragmentation du Moi.
Pierre Fédida1 donne un bon exemple de clivage vertical : il s’agit d’une secrétaire de direction qui entretient une relation affective et sexuelle avec le patron de son entreprise. Pour l’instant, rien de très surprenant. Mais voila le hic : en même temps qu’elle est la maîtresse de son patron, elle est la meilleure amie de la femme du patron. Lorsqu’elle revient d’un déplacement professionnel (qui lui a permis d’entretenir des relations sexuelles intenses avec son patron) la première chose qu’elle fait est de se rendre chez son amie (la femme du patron). Elle l’écoute se plaindre de son mari, est triste avec elle, est même capable de pleurer avec elle lorsque cette dernière soupçonne son mari de la tromper. Deux personnalités se mettent selon les circonstances à l’abri l’une de l’autre de sorte que la personne se vit comme « coupée en deux ».
Pierre Fédida montre dans ce très bel article comment l’humour en séance a progressivement permis à la patiente de faire communiquer des scènes qui étaient tenues absolument séparées par le clivage. On peut constater aussi combien lorsque le clivage menace de céder, que l’une des parties de sa personnalité commence à dialoguer avec l’autre partie, la patiente est dévastée par l’angoisse. Pour spécifier cette déchirure de la subjectivité, René Roussillon2 a proposé le terme de clivage au Moi plutôt que clivage du Moi. Le « clivage au Moi » insisterait sur la déchirure subjective entre une partie représentée et éprouvée et une partie non représentable, non élaborée, ni constituée dans la psyché.
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1. P. Fédida, « Le psychanalyste, un état limite? » in Transfert et états limites (sous la dir. de J. André), Paris, PUF, « Petite bibliothéque de psychanalyse », 2002.
2. R. Roussillon, Agonie. clivage et symbolisation, Paris, PUF, 1999.
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