FIGURES ET FORMES DES ÉTATS LIMITES
Vincent Estellon
Editions Cazaubon | Le Carnet PSY
2012/2 – n° 160
pages 26 à 30
La problématique si insistante des « hémorragies émotionnelles » comme celle du déni des affects peut se lire comme résultant – au plan économique – d’une défaillance du fonctionnement auto-érotique si l’on admet que de ce dernier découle en partie la bonne marche du système de pare-excitation : on saisit mieux comment, sans la possibilité de faire apparaître psychiquement l’objet manquant, sa disparition dans l’espace de perception est vécu subjectivement comme un arrachement, une perte, un abandon. À l’inverse sans la capacité à s’abstraire psychiquement de la présence d’un autre – présent dans l’espace de perception – les manifestations de sa présence sont à même d’être subjectivement vécues comme un envahissement intrusif. Autorisant la mise en dialogue des deux versants (positif et négatif) de l’activité hallucinatoire, le modèle de l’auto-érotisme est utile pour mieux comprendre comment se construisent les limites entre soi et l’autre, le dedans et le dehors, l’intériorité et l’extériorité. Un lien est opéré avec les capacités transitionnelles dans le sens où l’objet transitionnel peut être défini comme un tenant-lieu de mère interne. Cette internalisation va s’articuler à la capacité de fabriquer des hallucinations négatives (capacité du psychique à rendre absent un objet présent dans le champ perceptif).
Aujourd’hui, les banalisations grossières de la théorie de l’objet transitionnel (assimilé au « doudou » ou au nounours) amènent à repréciser avec Winnicott que ce n’est, bien entendu, pas l’objet qui est transitionnel, mais l’utilisation qui en est faite ! Avec les phénomènes transitionnels, Winnicott a mis, l’accent sur la capacité du psychique à rendre présent intérieurement grâce à l’activité fantasmatique et hallucinatoire, un objet absent dans la réalité extérieure.
Or, oublier la personne présente en personne et/ou rendre présent psychiquement la personne absente est un exercice très difficile pour l’état limite.
Pour halluciner négativement un objet, encore faut-il être capable de l’oublier ; et pour l’oublier, encore faut-il pouvoir s’en séparer.
Doit-on trouver ici une des origines possibles à ce trait du cas limite apparaissant souvent « scotché » à la perception de la réalité externe ? Tout se passe comme si le rapport apparu/disparu dans l’espace de la réalité externe établissait une équivalence au plan de la réalité psychique avec le rapport mort/vivant.
Ce rapport d’équivalence s’étendrait même à d’autres qualités définissant les objets vivants : « qui bouge/inerte », « qui parle/silencieux ».