Viol, pédophilie : Comment les réseaux sociaux servent d’exutoire aux victimes

Logo-200minutesPublié le Helene Sergent

VIOLENCES Grâce à un hashtag ou un message posté sur Facebook, certaines victimes de violences sexuelles parviennent plus facilement à se livrer sur les réseaux…

« Moi, victime d’un pédophile, je voulais vous dire… », c’est avec ces quelques mots qu’Adrien Borne, journaliste sur iTélé, a révélé  sur sa page Facebook, un lourd passé gardé sous silence pendant vingt ans. Mal maîtrisés, les réseaux sociaux peuvent parfois s’avérer dangereux pour les populations les plus vulnérables. Mais Facebook et Twitter peuvent aussi devenir des espaces d’expression et de confessions précieux pour les victimes d’abus sexuels, d’inceste ou de viol.

Une force collective

Témoigner sur les réseaux sociaux peut avoir un double effet positif selon Muriel Salmona, psychiatre et auteure de Violences sexuelles : 40 questions questions-réponses incontournables (Ed. Dunod) : « Raconter son traumatisme peut permettre à d’autres victimes de réaliser qu’elles ne sont pas seules mais cela peut aussi donner une dimension collective à leur combat. » C’est, entre autres, ce qu’ont pu constater les victimes présumées du père Preynat, à Sainte-Foy-les-Lyon, qui ont lancé un site dédié pour recueillir les témoignages d’autres victimes :

Pour Isabelle Aubry, présidente de l’Association internationale des victimes de l’inceste, Internet a révolutionné la lutte contre les violences sexuelles : « Il y a 16 ans, avant que je ne crée l’association, quand on tapait « inceste » dans un moteur de recherche, on tombait sur des sites pornographiques ! ». Aujourd’hui les réseaux sociaux sont devenus des espaces de partage pour les victimes, précise-t-elle : « Ce sont des outils extraordinaires pour rencontrer, échanger et fédérer, donner la sensation d’appartenir à un groupe. »

Des précautions nécessaires

Pour autant, Muriel Salmona met en garde : « Les personnes qui décident de témoigner sur Facebook ou Twitter n’ont pas forcément de filtre et peuvent le faire sous le coup du traumatisme ou dans une émotion immédiate. Or le risque, c’est que ce témoignage fasse exploser un trauma sous-jacent et génère des regrets violents ».

Comment mesurer l’impact de son témoignage auprès de ses proches, de ses amis, de ses collègues ? Pour la praticienne, l’accompagnement dans la démarche est indispensable. D’autant que les conséquences peuvent aussi être judiciaires souligne la psychiatre : « Si les faits ne sont pas proscrits et qu’une action en justice est engagée, la défense de l’agresseur peut se servir de tous les propos de la victime, y compris ce genre de témoignage ».

Pour lire l’article, cliquez sur le logo de 20 minutes

Le storytelling de l’affaire d’Outreau

Logo Mediapart
5 avr. 2016
Brève analyse du storytelling d’Outreau, ou un récit aux visées profondément politiques.
En 2007, Christian Salmon (que chacun connait à Médiapart) publie Storytelling, la Machine à fabriques des Histoires et à formater les Esprits. Comme on le sait sans doute, c’est aux États-Unis que l’auteur découvre cette technique narrative, inspirée des travaux de la linguistique et de la narratologie contemporaines, et appliquée dans le domaine de la formation des militaires, dans celui de la publicité, de l’économie, de la politique. Il s’agit de créer une « contre-réalité », l’idée étant de « détourner l’attention des gens des enjeux essentiels en créant un monde de mythes et de symboles afin qu’ils ses sentent bien avec eux-mêmes et leur pays (…). Créer un univers virtuel, un royaume enchanté peuplé de héros et d’anti-héros, dans lequel le citoyen-acteur est invité à rentrer ». Autrement dit, un formidable moyen de contrôle social.

En 2009, Marie-Christine Gryson-Dejehansart publie à son tour, et à propos d’Outreau, un livre pionnier en la matière : Outreau, La vérité Abusée. Elle est la première à mettre le doigt où ça fait mal en opérant la connexion, notamment dans la seconde partie de son ouvrage « Le renforcement de la Storytellig » entre le travail de Salmon et l’histoire d’Outreau, telle qu’elle fut narrée à l’époque . On peut donc ajouter que, dans cette affaire, le citoyen-public sera invité à s’identifier, puis à communier, dans une sorte de catharsis sociale et politique, salutaire pour le statu-quo et la morale, à l’instar des tragédies antiques d’autrefois.

Pour résumer, Christian Salmon dira que le Pouvoir réside aujourd’hui dans la faculté de « raconter la bonne histoire au bon moment ». Sur l’affaire bien connue d’Outreau et de ses trois procès, deux histoires principales circulent. C’est ici à l’histoire principale, c’est-à-dire à la version « officielle » de l’histoire, que nous allons nous intéresser :

  1. Raconter « la bonne histoire au bon moment » : la bonne histoire est chose aisée, c’est le métier des écrivains et des scénaristes, même passables. Assurer la cohérence narrative est facile : trouver le lieu, l’époque, les circonstances, un scénario d’ensemble. Tout cela, la réalité la donne volontiers, et le tri sera opéré entre ce qui doit être retenu et ce qui doit être passé sous silence. Il faut évidemment des personnages, et là, il conviendra aussi sans doute de tordre quelque peu la réalité, c’est-à-dire la simplifier, pour que chacun comprenne bien. Il y aura donc, comme dans une fiction, le camps des personnages « positifs », puis celui des personnages « négatifs ». Tant pis si le réel est plus complexe, l’essentiel n’est pas là : ces personnages devront accéder au rang de « figures », de symboles, voire d’archétypes (cf.« le Juge et la Menteuse » émission télévisée Faites entrer l’accusé de Christophe Hondelatte). Mais « le bon moment », c’est aussi pouvoir construire un récit qui réponde à des attentes sociales, voire plus directement politiques. En l’occurrence, l’attente concernait à l’époque le fonctionnement et le rôle de la Justice française, attente contemporaine de l’affaire Dutroux et des scandales politico-financiers qui s’accumulaient dans l’Héxagone : crise de confiance populaire importante donc dans l’Institution (il est d’ailleurs vraisemblable que rien n’ait changé depuis).
  2. La mise en récit construit de l’affaire va donc permettre :
  • d’éviter la dangereuse prise de conscience d’une possible connexion entre l’affaire Dutroux et celle d’ Outreau (même si, dans un premier temps, le storytelling belge en fut différent dans la construction, c’est-à-dire totalement spontané dans le cas de l’affaire Dutroux, et en faveur des citoyens-investigateurs surveillant le fonctionnement des Institutions. Dans le cas d’Outreau, la construction narrative vient au contraire d’en haut et sert de verrouillage efficace et sans appel de toute possibilité d’expression démocratique sur le sujet.)
  • de répondre à une attente populaire pressante sur la Justice mal-aimée, généralement suspectée, considérée par beaucoup comme « injuste » ou « à deux vitesses » par une réponse politique adaptée aux circonstances et tâcher d’emporter la mise. Instrumentaliser, par la même occasion, la condition déplorable des détentions et le délabrement de nombre de prisons françaises en narrant, opportunément et par le menu, le « calvaire » des futurs acquittés. Tous les poncifs seront utilisés en la matière.
  • de fabriquer du consensus et de « faire communauté », effacer, par exemple, les rapports de classe et brouiller les analyses pertinentes en entretenant la plus grande confusion (L’Huissier Marécaux déclarant, à Rennes, à propos du Prolétaire Legrand : « Je suis présent à Rennes pour le soutenir parce que Daniel Legrand était mon compagnon d’infortune ».)

Pour lire l’article, cliquez sur le logo de Médiapart