Étudier le traumatisme pour mieux comprendre la mémoire

Logo psychologiesAttentats : étudier le traumatisme pour mieux comprendre la mémoire individuelle et collective
Lucien Fauvernier
Mémoire 13-Novembre. Derrière cet intitulé se cache un projet ambitieux porté par un historien, Denis Peschanski, et un neuropsychologue, Francis Eustache. Leur objectif ? Recueillir et analyser pendant 10 ans, les témoignages de 1000 personnes sur leurs souvenirs du 13 novembre 2015 afin de mieux comprendre comment s’articulent les liens entre mémoire individuelle et collective à travers un événement traumatique. Explications.

Une réaction scientifique face à l’horreur

Lancer un vaste programme de recherche transdisciplinaire, réunissant historiens, sociologues, psychologues, neuroscientifiques… autour de la mémoire, Denis Peschanski et Francis Eustache y songeaient depuis longtemps. « Les travaux sur le 11 septembre du psychologue William Hirst, aux Etats-Unis1, ont été une grande source d’inspiration, confie l’historien, également président du conseil scientifique du Mémorial de Caen. Je travaille depuis longtemps sur les liens entre mémoire individuelle et collective, avec l’idée que l’on ne peut pas comprendre l’une sans l’autre. Je souhaitais monter un projet d’étude en France sur le sujet de longue date. » Si la réflexion était bien engagée, face aux attentats du 13 novembre, il y avait urgence à réagir pour les deux chercheurs. « Nous nous sommes dit que si nous n’agissions pas maintenant, nous ne ferions jamais rien. Il y avait un besoin viscéral de répondre à l’horreur par nos armes à nous : les sciences et la connaissance » témoigne Francis Eustache. Au même moment, Alain Fuchs, président du CNRS, lance un appel aux chercheurs pour développer des projets de recherche sur les attentats et leurs conséquences. Et c’est naturellement que le programme Mémoire13-Novembre va être accepté et soutenu non seulement par le CNRS mais aussi par l’INSERM.

Un projet de recherche d’une ampleur inédite

Dans le cadre du programme de recherche Mémoire13Novembre, une enquête d’opinion sur l’impact des attentats a été menée avec le CREDOC dont les résultats viennent de paraître :
80% des Français se disent marqués par les attentats du 13 novembre 2015
26% des Français ont un lien personnel avec l’événement
57% des sondés expriment un sentiment de peur suite aux attentats
« Nous avons créé notre projet dans le but d’étudier la mémoire sous ses aspects individuels et collectifs, mais avec la volonté, sur le plan scientifique de changer de paradigme. Nous voulions que sciences humaines et sciences dures ou « exactes » soient réunies pour décrypter l’impact de cet événement extrême qu’est le 13 novembre. » explique Denis Peschanski. Ce programme titanesque vise ainsi à recueillir les témoignages, filmés, de 1000 personnes. Son thème : l’évolution de leurs souvenirs des attentats du 13 novembre sur une période de 10 ans. « Sur ces 1000 personnes, environ 400 appartiennent à ce que nous nommons le cercle 1 : ce sont les victimes et leurs proches, les témoins et acteurs-intervenants comme la police ou les pompiers. Le reste des participants se compose du cercle 2, les résidents et usagers des quartiers visés, du cercle 3, les habitants de Paris et de sa banlieue puis du cercle 4, les habitants de trois villes précises : Caen, Metz et Montpellier » détaille Francis Eustache.

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Victimisation : Ces conduites dissociantes sont des conduites à risques et de mises en danger

trauma-resilience-2012Mémoire traumatique et conduites dissociantes
 
Dr Muriel Salmona, 

in Traumas et résilience, Dunod, 2012

Ces conduites dissociantes sont des conduites à risques et de mises en danger : sur la route ou dans le sport, mises en danger sexuelles, jeux dangereux, délinquance, consommation de produits stupéfiants, violences contre soi-même comme des auto-mutilations, violences contre autrui (l’autre servant alors de fusible grâce à l’imposition d’un rapport de force pour disjoncter). Rapidement ces conduites dissociantes deviennent de véritables addictions. Elles sont alors utilisée non seulement pour échapper à la mémoire traumatique mais aussi pour prévenir tout risque qu’elle survienne. Ces conduites dissociantes provoquent la disjonction et l’anesthésie émotionnelle recherchées, mais elles rechargent aussi la mémoire traumatique, la rendant toujours plus explosive et rendant les conduites dissociantes toujours plus nécessaires, créant une véritable addiction aux mises en danger et/ou à la violence. Ces conduites dissociantes sont incompréhensibles et paraissent paradoxales à tout le monde (à la victime, à ses proches, aux professionnels), elles sont à l’origine chez la victime de sentiments de culpabilité et d’une grande solitude. Elles représentent un risque très importants pour sa santé (accidents, maladies secondaires aux conduites addictives, maladies liées au stress), elles rendent vulnérables à d’autres violences (risque de re-victimisation) et peuvent être à l’origine de nouvelles violences.

Ces mécanismes psychotraumatiques permettent de comprendre les conduites paradoxales des victimes et le cycle infernal des violences. Ils sont malheureusement méconnus, et les médecins qui ne sont pas formés à la psychotraumatologie ne vont pas relier les symptômes et les troubles des conduites que présentent les victimes aux violences qu’elles ont subies et donc ne pas les traiter spécifiquement. A la place ils peuvent utiliser des traitements qui sont en fait dissociants. Ces traitements (comme l’enfermement, la contention, les camisoles chimiques, l’isolement, les chocs électriques, voire la lobotomie qui est encore utilisée dans certains pays….) sont « efficaces » pour faire disparaître les symptômes les plus gênants et anesthésier les douleurs et les détresses les plus graves, mais ils aggravent la mémoire traumatique des patients.  La violence a la triste capacité de traiter de façon transitoire mais très efficace les conséquences psychotraumatiques, tout en les aggravant. Elle est sa propre cause et son propre antidote. Mais à quel prix ! Si la violence est paralysante et dissociante pour la victime, elle est pour l’auteur un outil de domination et une drogue anesthésiante. La violence est un formidable outil pour soumettre et pour instrumentaliser des victimes dans le but d’obtenir une anesthésie émotionnelle de l’agresseur. Elle devient ainsi une usine à fabriquer de nouvelles victimes et de nouvelles violences (Organisation Mondiale de la Santé, 2010).
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