Survivants du Bataclan : « Je t’aime. On ne doit pas mourir »

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Survivants du Bataclan : « Je t’aime. On ne doit pas mourir »
Caroline Dos Santos et Julien Boudot, rescapés du Bataclan, dans leur bureau de Canal+, à Boulogne Billancourt, le 25 novembre. Jean-François Joly pour « Le Monde ».

S’extraire de l’horreur. Hébétés, ahuris, encore dans l’épouvante. Et courir dans la nuit. Survivants ! Chercher désespérément un taxi au milieu des sirènes. Et se serrer l’un contre l’autre tandis que la voiture file sur les berges de la Seine et s’éloigne de ce théâtre de guerre. Incrédules. Pleins de larmes et de frissons. Avec l’urgence de vivre. De se marier, très vite, comme une évidence. Et de se faire tatouer sur le corps le titre de la chanson et la date associés à jamais à cette soirée funeste et à la renaissance. «  Kiss the Devil 13.11.2015  ». La mort, au Bataclan, a frôlé leur échine.

Ils commencent par la fin pour narrer l’événement, dévoilant, dix jours plus tard, leur avant-bras tatoué. Ils sont encore à vif, fatigués et fébriles. Sans blessure apparente mais totalement meurtris. « Je suis à la fois Jean-qui-rit et Jean-qui-pleure, confesse Caroline Dos Santos, 37 ans. J’oscille en permanence. »

Julien Boudot

Julien Boudot, 36 ans, la tête entre les mains, a le regard perdu vers un lieu que lui seul peut voir. « C’est un truc de malade d’être là ! Il y a eu 89 morts ! Et ça aurait pu être tellement pire. Des milliers de balles ont été tirées, j’entendais les douilles tomber pas loin de nous. » Il se tourne vers sa compagne. « Mais tu sais quoi ? Au fond de moi, il y a de la joie. Cette joie ressentie quand je t’ai entendue hors de la salle et que j’ai compris que tu étais sauve ne m’a plus quitté. Et quand ma gosse dit : “Papa, papa”, c’est inouï la vague qui me submerge. » Elle sait.

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Victimes des attentats – Se remettre debout

nouveau-logo-la-croixpng-289134BIENVAULT Pierre
le 28/11/2015

ENTRETIEN. LOUIS CROCQ, psychiatre : « L’immense majorité des blessés psychiques vont guérir »

Apparu notamment après la Grande Guerre, le stress post-traumatique est aujourd’hui bien connu. Le professeur Crocq explique comment vont être prises en charge les victimes traumatisées par les attentats du 13 novembre.

Médecin-général des armées, psychiatre, professeur à l’université Paris V, le docteur Louis Crocq a travaillé durant toute sa carrière sur la névrose de guerre et le stress post-traumatique. C’est lui qui, après l’attentat du RER Saint Michel en 1995, a mis en place en France les cellules médico-psychologiques à la demande du ministre Xavier Emmanuelli et du président Chirac.
À l’occasion des attentats du 13 novembre, on a beaucoup entendu parler du risque de stress post-traumatique chez certaines victimes. De quoi s’agit-il exactement ?

Risque d’ESPT

Louis Crocq : Ces troubles peuvent survenir chez des sujets qui ont vécu un événement ayant provoqué une effraction majeure de leurs défenses psychiques. On parle ici d’événements qui, sur l’instant, ont provoqué une sorte d’arrêt de la pensée avec des réactions d’effroi, de terreur, de panique. Et une impression d’imminence de la mort, sans échappatoire possible.

Une fois l’événement terminé, certaines victimes vont être très agitées, se mettre à crier, à vociférer. D’autres vont être en état de sidération, comme des morceaux de bois, incapables de bouger et de comprendre ce qu’on leur dit. Ensuite, le risque est que ces troubles ne se chronicisent, avec des symptômes installés dans le temps : des cauchemars, des hallucinations, des réminiscences de l’événement, des sursauts, une vigilance constante et exagérée…

À quelle époque a-t-on découvert le stress post-traumatique ?

Louis Crocq : Un rôle précurseur a été joué par un neurologue allemand, Hermann Oppenheim qui, en 1888, a décrit des cas de névrose traumatique à propos de sujets ayant failli mourir dans des accidents de chemin de fer. Ensuite, en 1914-1918, on a vu apparaître les termes de « névrose de guerre » ou « d’hypnose de la bataille ». Cela touchait notamment des soldats qui avaient survécu après avoir été soufflés par un obus. Ils n’étaient pas blessés physiquement mais étaient pris de tremblements et n’arrivaient plus à tenir debout. Comme ils ne pouvaient plus combattre, certains de ces soldats étaient considérés comme des simulateurs et des tire-au-flanc. Peu à peu, on a aussi pris conscience de la nécessité de les prendre en charge très vite, pour ne pas les laisser méditer leur effroi. À partir de 1917, on a commencé à installer des petits hôpitaux psychiatriques tout près du front. C’est là qu’est né ce concept de la psychiatrie de l’avant qui, bien des années plus tard, a été au cœur de la création des cellules médico-psychologiques en France.
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Louis Crocq : Pourquoi est-il important d’intervenir très vite après un événement traumatique ?

Louis Crocq : Pour essayer d’éviter que ne s’installe la névrose, ou une sorte de rumination de la frayeur et de l’effroi. Dans ce contexte d’urgence, le psychiatre ou le psychologue va inciter la personne à faire non pas un récit, mais une énonciation, une verbalisation de ses émotions « J’ai vu ceci ou cela, j’ai eu peur, j’ai failli mourir… », vont dire ces patients. Il faut comprendre que, subitement, ils sont entrés dans le monde des morts et c’est par la parole qu’il faut, doucement, les faire revenir dans celui des vivants. C’est essentiel qu’ils puissent parler avec un soignant qui est là pour les protéger et attester que, oui, la vie existe bel et bien.

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