Attentats à Paris : Le syndrome du survivant

Logo-Science-Post16 décembre 2015
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Ils ont vécu les attentats du 13 novembre et ont échappé à la mort. Aujourd’hui, un nouveau combat commence pour apaiser le traumatisme psychologique des rescapés et la culpabilité…

Ils étaient au concert des Eagles 0f Death Metal au Bataclan ou sur les terrasses des cafés parisiens ciblées par les terroristes ce soir tragique du 13-Novembre 2015. Ils ont senti l’odeur de la poudre et le son des Kalachnikov mais s’en sont sortis indemnes. C’est aujourd’hui la culpabilité qui les ronge. « Sommes-nous des miraculés ou juste sommes-nous passés au travers de ces épreuves avec le timing parfait? Impossible de savoir. Pourquoi pas nous? » explique Benoit, rescapé du Bataclan. Ce sentiment de culpabilité souvent très fort chez les rescapés est appelé « syndrome de Lazare ». Il est bien connu des psychiatres et nécessite une prise en charge rapide. « Souvent, cette anxiété se manifeste à distance de l’événement. Juste après les attentats, les gens se terrent chez eux, se mettent parfois à boire. Le choc psychologique peut se produire 72 heures après, voire plus tard », explique un infirmier psychiatrique du Samu de Paris.

L’écoute par les cellules psychologiques

Face à ce traumatisme, une seule thérapie est recommandée : l’écoute par les cellules psychologiques permettant aux rescapés de s’exprimer et de les aider à mieux comprendre ainsi qu’à accepter les pensées qui traversent leur esprit. « Ils doivent assimiler qu’ils sont des victimes même s’ils sont en vie. Ce n’est pas parce que vous n’êtes pas blessés physiquement que vous n’avez rien. On soigne plus facilement un bras cassé que les conséquences psychologiques d’un attentat dont on a réchappé » explique la psychologue Florence Bataille à 20 Minutes.

Psycho-traumatismes

Les symptômes peuvent aussi se manifester beaucoup plus tard. « Ce sont des symptômes que l’on rencontre dans des états de stress post-somatique, d’hyper-vigilance, de flash-back, de cauchemar », explique la docteure Gaëlle Abgrall-Barbry, spécialiste des psycho-traumatismes. « Parfois il y a des symptômes psycho-traumatiques qui surviennent des mois, voire des années plus tard, à l’occasion d’une réactivation d’une situation de stress », ajoute-t-elle. D’ailleurs, des riverains de l’Hyper Cacher de Saint Mandé, cible des terroristes en janvier dernier, se sont manifestés auprès des cellules psychologiques après les attaques du 13 novembre.

Rompre l’isolement

Des personnes qui auraient dû être là et qui n’y étaient pas ou qui passaient par là quelques minutes avant peuvent être également touchées par ce syndrome. « Il faut rompre l’isolement. L’angoisse disparaît à mesure que le ressenti est exprimé. Il faut créer un espace d’échanges entre survivants. Ainsi, la victime se dira “je ne suis pas le seul à avoir eu l’impression de perdre la tête”. Les associations telles que SOS Attentats sont aussi d’une grande aide » conclut Patrick Clervoy, psychiatre et auteur du livre : « Le syndrome de Lazare — Traumatisme psychique et destinée ».

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La nouvelle identité des rescapés des attentats du 13 novembre

Logo-Slate-fr13.12.2015
Daphnée Leportois
La nouvelle identité des rescapés des attentats du 13 novembre
Les survivants des fusillades et de la prise d’otages du Bataclan se reconstruisent dans la discussion, notamment avec la communauté de ceux qui ont traversé le même traumatisme qu’eux.

l’histoire de Benoît, c’est aussi la leur

Julien et Marie sont tous deux rescapés du Bataclan. Le 19 novembre, ils lisent le témoignage de Benoît, publié sur Slate.fr. Julien laisse un commentaire : l’histoire de Benoît, c’est aussi la leur ; comme lui, ils ont trouvé refuge dans un appartement situé au-dessus de la salle de concert. « J’aimerais bien en parler entre nous, revoir des personnes », écrit-il. Quand, le 27 novembre, je leur apprends que Benoît leur a répondu, ils sourient franchement. Parce que cela signifie que ce couple de trentenaires, qui est tombé sur le récit de Benoît « en cherchant des personnes qui ont vécu la même chose », a réussi à entamer le dialogue avec un de leurs compagnons d’infortune.

C’est « un mouvement naturel qu’il ne faut pas entraver », explique le docteur en psychologie Samuel Lemitre, spécialiste du syndrome de stress post-traumatique. Et un besoin qu’ils ne sont pas les seuls à exprimer. Dans le JDD, on pouvait ainsi lire, fin novembre, des mots similaires exprimés par un autre survivant du Bataclan : « La seule chose qui m’apaise, en plus du soutien de ma famille et de mes amis, c’est d’être en contact avec les autres rescapés. » Et le 1er décembre, Maureen, rescapée elle aussi du carnage de la salle de concerts parisienne, a créé sur Facebook, pour ses compagnons, d’un soir la page Life for Paris, afin d’« encourager ceux qui veulent offrir un soutien, parler ensemble ou même simplement apporter de la compagnie à ceux qui le souhaitent, rescapés, blessés ou familles de victimes ».

Certains ont envie, besoin surtout, de dire merci. Merci à ceux qui leur ont sauvé la vie. Marie, l’épouse de Julien, aimerait remercier Benoît de leur avoir tenu la porte du sas ouverte et de leur avoir ainsi permis de se mettre en sécurité dans un appartement juste au-dessus du Bataclan, et aussi cette personne qui lui a tendu la main et l’a empêchée de glisser lorsqu’ils fuyaient par le toit. Parfois, c’est l’inverse, comme le raconte Maureen sur Facebook :
« Par le biais des réseaux sociaux, j’ai vu que très nombreuses sont les personnes qui ont un important désir de retrouver ceux qu’ils ont aidés. […] Mon mari a pu retrouver celui à qui il a porté secours et j’ai été témoin de l’incroyable aide que cela apporte dans la reconstruction de chacun. »

La reconnaissance est double : « Ceux qui cherchent à se retrouver, c’est parce qu’ils ont vécu quelque chose d’indicible, ont partagé les mêmes drames, les mêmes horreurs ; cela crée une communauté d’appartenance, une nouvelle identité », commente Hélène Romano, docteure en psychopathologie. Samuel Lemitre complète : « Après une confrontation à une expérience mortifère, le sujet se vit comme différent des autres. Il se crée une identification forte entre les impliqués, qui ont tendance à s’agréger face à cette effraction du système communautaire, ce sentiment de solitude que génère le trauma. »

« Comme si tu étais un ovni »

Cette « identité de survivant », selon les termes d’Hélène Romano, qui leur a été imposée et devient leur nouvelle normalité, peut engendrer chez les autres un sentiment de fascination difficile à gérer. Julien est retourné travailler une semaine après les événements : « Tu arrives, tout le monde te regarde bizarrement, comme si tu étais un ovni. » Lui a préféré prendre les devants et se protéger en disant avec humour que cela faisait longtemps qu’il n’avait pas été si content de revoir ses collègues. Marie, elle, a prolongé son arrêt de travail d’une deuxième semaine : « Je n’avais pas envie qu’on vienne me poser des questions idiotes au bureau. »

Et même si l’entourage est plein de bonnes intentions, le décalage entre les survivants et les autres continue de se faire sentir. La chef de Marie lui a envoyé un MMS lui montrant la belle orchidée, offerte par ses collègues, qui l’attendrait à son retour au bureau ; un geste de soutien qui l’a mise mal à l’aise, car cela reviendrait à admettre que ce qu’il s’est passé a vraiment eu lieu –« Ce n’est pas facile d’accepter que c’est arrivé »– et qu’elle en a été victime. Le 28 novembre, Le Monde rapportait le témoignage d’une spectatrice sortie indemne du Bataclan qui s’est « effondrée » lorsqu’un policier du 36, quai des Orfèvres lui a déclaré, au lendemain des attaques : « Madame, vous êtes victime d’un attentat. » De même, ni Marie ni Julien n’arrivent à réaliser que, même s’ils n’ont pas été touchés par une balle et n’ont perdu personne, ils font partie des victimes. « Les messages de soutien sont durs à accepter, évoque Julien. Quand tu as vu beaucoup de gens devant toi mourir, tu ne te sens pas méritant. »

En parler avec quelqu’un qui n’a pas vécu la même chose est donc difficile, par crainte de ne pas être compris, d’entendre des phrases toutes faites, des « T’inquiète pas, ça va aller », des « Tu es vivant, c’est l’essentiel » et autres « Il faut passer à autre chose », mais aussi par appréhension de faire du mal à ceux qui sont encore indemnes. « J’ai peur de déranger, poursuit-il. Je n’en parle plus trop à mes proches sauf si on m’en parle. Je n’ai pas envie de passer pour le type qui se plaint et joue avec pour attirer la compassion. »

Cette envie profonde de se retrouver entre survivants vient de là, de cette dissonance entre ceux qui étaient là et ceux qui ne l’étaient pas. « Ils ressentent un besoin d’être avec des personnes qui sont dans le même univers mental. Cette situation atroce de massacre les met dans un autre monde, ce qui provoque une sensation d’irréalité lorsqu’ils sont en contact avec les gens habituels », explique la psychiatre Muriel Salmona, présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie.

« Compléter le puzzle »

À cela s’ajoute une soif de comprendre, comme le remarque Maureen, le 4 décembre, sur la page Facebook de Life for Paris: beaucoup de rescapés ont envie de «compléter ensemble ce puzzle afin de mettre un peu d’ordre dans le chaos provoqué par tout ça». Ce que recoupe Muriel Salmona : « Les survivants ont besoin d’avoir des éléments de détail, pour donner du sens à ce qui a été enregistré –“Ça, ça a eu lieu à tel moment”, “Ils sont arrivés par là”… La mémoire traumatique fait buguer le cerveau. Ils ont besoin d’être ensemble pour y voir plus clair. »

Tirs plus espacés

Cette perte de repères, on la retrouve chez Marie, qui a apprécié de pouvoir regarder sur internet des reconstitutions des attentats. Réfugiée dans un appartement au-dessus du Bataclan pendant des heures le 13 au soir, elle ne savait pas quoi répondre aux SMS de son frère, qui gardait chez Julien et elle leur fils de 3 ans et demi : « T’es où ? – Je suis planquée chez quelqu’un. – Où ? – Je sais pas. » Les « tirs plus espacés » qui contrastaient avec le début de la fusillade, elle ne se les est expliqués qu’après : «Ils rechargeaient les armes. Ça, je l’ai compris en lisant différents articles. » Julien s’est aussi rendu compte que Marie avait vu des choses que lui n’avait pas vues et vice versa.
Retrouver d’autres personnes qui ont, comme eux, survécu, c’est pour lui « comme si tu voyais un miroir. C’est quelqu’un à qui tu demandes : “Tu confirmes bien? On était bien là ?” » D’ailleurs, c’est en lisant le témoignage de Benoît que lui et Marie ont compris qu’un des terroristes se trouvait juste derrière eux lorsqu’ils ont, sur le balcon du Bataclan, fui vers la porte la plus proche. «Juste un détail mais de taille que tu viens de nous apprendre: le tueur derrière nous, je ne l’avais pas vu, même si on s’est douté qu’ils étaient pas loin», écrit Julien dans son commentaire.

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