Après les attentats de novembre, les services psy saturés de victimes qui « pensaient aller bien »

17 décembre 2015Logo Le Monde
Par
 Manon Rescan

Jusqu’à présent, Fabrice (le prénom a été changé) n’avait pas eu envie de revenir à Paris. Reprendre le TGV en gare de Marseille-Saint-Charles, comme ce vendredi 13 novembre au soir où il avait rendez-vous au Bataclan. Monter dans le métro. Affronter ces lieux où il a vécu l’indicible. Les tirs, l’angoisse, le sang et la mort. Presque un mois après les attentats perpétrés à Paris et à Saint-Denis, il l’a finalement fait : il est venu porter plainte au 36, quai des Orfèvres. Puis il s’est rendu à la cellule d’urgence médico-psychologique de l’Hôtel-Dieu pour obtenir une évaluation du préjudice moral subi, lui qui a évité de peu la blessure : la balle n’a fait qu’effleurer son bras.

Depuis, comme un certain nombre de victimes, il pensait que ça allait. Et puis finalement non, ça n’allait pas. Un contrecoup « classique après un tel traumatisme », observe Nicolas Dantchev, responsable du service de psychiatrie de l’Hôtel-Dieu, qui accueille un centre de consultation médico-psychologique d’urgence pour les victimes des attentats de Paris.

Troubles différés

« Certains reprennent leur vie comme avant, retournent au travail, et puis les symptômes de traumatisme – flash-back, troubles du sommeil, scènes choquantes qui tournent en boucle – apparaissent plus tard. On parle alors de troubles différés ». Ces signaux peuvent apparaître jusqu’à trois mois après le choc. Pour Fabrice, cela se soldera par trente jours d’arrêt de travail.

C’est ainsi que les consultations n’ont pas cessé à l’Hôtel-Dieu, depuis le 13 novembre. Elles ont diminué, bien sûr, loin des quatre-vingts rendez-vous des premiers jours. Mais, quotidiennement, les psychiatres reçoivent encore entre dix et quinze nouveaux patients. Et, chaque jour, « on en voit dont c’est la première consultation psychologique », poursuit Nicolas Dantchev.

« Il y a plusieurs profils de personnes que l’on reçoit pour la première fois », explique Thierry Baubet, responsable de la cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP) de Seine-Saint-Denis (93). Outre les témoins de scènes de fusillades, ou arrivés sur place peu après, atteints de troubles différés, « il y a des blessés, ou les proches de personnes décédées, qui ont été occupés à d’autres choses depuis les attaques… », énumère-t-il.

Évitement

Mais il y a aussi ceux qui ne sont pas allés consulter tout de suite, non pas parce que « ça allait », mais parce qu’ils étaient déjà très atteints, sans forcément le savoir. « Ces personnes ont tout fait depuis les attentats pour éviter d’évoquer les événements traumatisants », explique le médecin.

« C’est ce que l’on appelle l’évitement », détaille M. Dantchev. Les victimes désertent alors les lieux publics très fréquentés comme les transports en commun, ou les lieux qui leur rappellent les traumatismes, territoires où elles se sentent oppressées. « Pour certains, cela devient invalidant au point de ne plus pouvoir sortir de chez eux », explique le psychiatre.

Pour ceux-là, une simple séance de débriefing psychologique ne suffira pas à apaiser les troubles. « Lorsque les symptômes persistent, il faut une vraie prise en charge », note M. Dantchev, qui évoque un suivi du patient dans la durée, comprenant une psychothérapie et, parfois, un traitement médicamenteux.

Ces patients sont d’habitude orientés vers des services de psychiatrie spécialisés en psychotraumatologie. « Le problème, c’est que, en Ile-de-France, toutes les structures sont débordées et saturées, s’inquiète Nicolas Dantchev. En temps normal, on a déjà du mal à trouver des consultations pour les victimes de viols ou de violences, qui ont besoin de ce genre de soin. Dans le contexte actuel, c’est encore plus compliqué. »

Renforcer l’aide

A Paris, l’Hôtel-Dieu comme l’hôpital Tenon (spécialisé en psychotraumatologie) ne sont ainsi plus en mesure d’accueillir de nouveaux patients pour un suivi de longue durée. Ces derniers sont alors orientés vers des psychiatres moins spécialisés. « Des services ont ouvert des consultations supplémentaires, mais ça n’est pas suffisant », poursuit le médecin.

Selon Thierry Baubet, qui a bâti sa consultation en psychotraumatologie à Bobigny « sans moyens publics supplémentaires », « il faut que les pouvoirs publics se posent la question de renforcer l’aide » dans ce domaine de la psychiatrie, « et pas uniquement dans Paris intra-muros », plaide-t-il. Car, d’après M. Dantchev, la demande de soins psychotraumatologiques n’est pas uniquement conjoncturelle. « On voit qu’elle augmente depuis quelques années, mais avec ces attentats, ça va exploser. »

De son côté, la Direction générale de la santé précise que ces questions seront abordées dans le cadre des « retours d’expérience » sur la mise en place du dispositif de prise en charge des victimes des attentats, dont elle promet que « les résultats, attendus mi-janvier, permettront son amélioration ».

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Attentats à Paris : Le syndrome du survivant

Logo-Science-Post16 décembre 2015
Par

Ils ont vécu les attentats du 13 novembre et ont échappé à la mort. Aujourd’hui, un nouveau combat commence pour apaiser le traumatisme psychologique des rescapés et la culpabilité…

Ils étaient au concert des Eagles 0f Death Metal au Bataclan ou sur les terrasses des cafés parisiens ciblées par les terroristes ce soir tragique du 13-Novembre 2015. Ils ont senti l’odeur de la poudre et le son des Kalachnikov mais s’en sont sortis indemnes. C’est aujourd’hui la culpabilité qui les ronge. « Sommes-nous des miraculés ou juste sommes-nous passés au travers de ces épreuves avec le timing parfait? Impossible de savoir. Pourquoi pas nous? » explique Benoit, rescapé du Bataclan. Ce sentiment de culpabilité souvent très fort chez les rescapés est appelé « syndrome de Lazare ». Il est bien connu des psychiatres et nécessite une prise en charge rapide. « Souvent, cette anxiété se manifeste à distance de l’événement. Juste après les attentats, les gens se terrent chez eux, se mettent parfois à boire. Le choc psychologique peut se produire 72 heures après, voire plus tard », explique un infirmier psychiatrique du Samu de Paris.

L’écoute par les cellules psychologiques

Face à ce traumatisme, une seule thérapie est recommandée : l’écoute par les cellules psychologiques permettant aux rescapés de s’exprimer et de les aider à mieux comprendre ainsi qu’à accepter les pensées qui traversent leur esprit. « Ils doivent assimiler qu’ils sont des victimes même s’ils sont en vie. Ce n’est pas parce que vous n’êtes pas blessés physiquement que vous n’avez rien. On soigne plus facilement un bras cassé que les conséquences psychologiques d’un attentat dont on a réchappé » explique la psychologue Florence Bataille à 20 Minutes.

Psycho-traumatismes

Les symptômes peuvent aussi se manifester beaucoup plus tard. « Ce sont des symptômes que l’on rencontre dans des états de stress post-somatique, d’hyper-vigilance, de flash-back, de cauchemar », explique la docteure Gaëlle Abgrall-Barbry, spécialiste des psycho-traumatismes. « Parfois il y a des symptômes psycho-traumatiques qui surviennent des mois, voire des années plus tard, à l’occasion d’une réactivation d’une situation de stress », ajoute-t-elle. D’ailleurs, des riverains de l’Hyper Cacher de Saint Mandé, cible des terroristes en janvier dernier, se sont manifestés auprès des cellules psychologiques après les attaques du 13 novembre.

Rompre l’isolement

Des personnes qui auraient dû être là et qui n’y étaient pas ou qui passaient par là quelques minutes avant peuvent être également touchées par ce syndrome. « Il faut rompre l’isolement. L’angoisse disparaît à mesure que le ressenti est exprimé. Il faut créer un espace d’échanges entre survivants. Ainsi, la victime se dira “je ne suis pas le seul à avoir eu l’impression de perdre la tête”. Les associations telles que SOS Attentats sont aussi d’une grande aide » conclut Patrick Clervoy, psychiatre et auteur du livre : « Le syndrome de Lazare — Traumatisme psychique et destinée ».

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