Juliette Méadel : « 2.800 demandes d’indemnisation de victimes sont à l’étude »

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Juliette Méadel : « 2.800 demandes d’indemnisation de victimes sont à l’étude »

Publié le 29/03/2016

La secrétaire d’État chargée de l’Aide aux victimes évalue à 350 millions d’euros le coût des indemnités pour les seuls attentats du 13 novembre.

Paris Match. Nous avons appris la mort d’une victime française à Bruxelles trois jours après les attentats : comment expliquer que l’on puisse mettre autant de temps ?
Juliette Méadel. Le processus d’identification, très encadré, peut prendre de quelques heures à plusieurs jours. Identifier un corps exige de recueillir des informations précises et donc de prendre le temps nécessaire pour investiguer. Cela varie aussi en fonction de l’état de la victime. Pour un corps calciné par exemple, en l’absence de papier d’identité, c’est très complexe. La difficulté est accrue lorsqu’il n’y a pas de liste des personnes présentes là où a lieu un attentat ou un accident collectif.

Quel est votre rôle lorsqu’un attentat comme celui de Bruxelles a lieu ?
Mon rôle consiste notamment à faciliter l’accès à l’information pour les victimes. Dans le cas de Bruxelles, dès que je l’ai vérifié, j’ai communiqué le numéro unique permettant aux familles et aux proches de se renseigner sur les évènements qui se produisaient. Quelques jours après, j’ai eu un premier contact avec les victimes et leurs familles pour les assurer du soutien de l’État et leur dire que j’étais à leur service. J’ai un rôle d’information, de soutien et d’accompagnement. Rattachée au Premier ministre je peux coordonner plusieurs ministères. Santé, Intérieur, Justice, Emploi, Transport, Formation professionnelle. Cela me permet de les aider concrètement sur l’ensemble de leur parcours de reconstruction. Et de leur faciliter la vie.

Pourquoi les familles ont-elles mis autant de temps à joindre des interlocuteurs après les attentats de novembre dernier à Paris ?

La CIAV – cellule interministérielle d’aide aux victimes – avait été mise en place par circulaire, signée par le Premier ministre, seulement la veille. Il a fallu faire face à plus de 11.000 appels, mais les services téléphoniques n’étaient donc pas suffisamment rodés. Désormais, il y a un numéro unique qui sera diffusé partout, y compris sur les réseaux sociaux dès qu’un attentat se produit.

Qu’avez-vous prévu pour améliorer la prise en charge des victimes ?

Un guichet unique a été mis en place pour accompagner les victimes dans la durée. Il s’incarne dans le comité de suivi d’aide aux victimes, réuni le 14 mars dernier, durant lequel nous examinons, avec les associations de victimes et d’aide aux victimes, l’ensemble des cas complexes. Nous sommes aussi en train de mettre en place, avec les ministères de la Justice et de l’Intérieur, un réseau de référents qui seront chargés du suivi dans les territoires. Enfin, nous élaborons aussi un site internet, opérationnel d’ici cet été, qui permettra aux victimes de faire leurs démarches en ligne, de télécharger tous les formulaires nécessaires, d’avoir accès à l’ensemble des informations nécessaires dans leur parcours.

« Le Fonds de garantie des victimes anticipe près de 4.000 demandes »

Combien y a t-il de dossiers suivi par le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme ou autres infractions (FGTI) ?
Pour les années 2015-2016, plus de 2800 demandes de victimes françaises et étrangères en France. Il y a aussi des victimes françaises à l’étranger sont à l’étude par ce fonds d’indemnisation. Le nombre de victimes évolue constamment et le FGTI anticipe près de 4000 demandes d’indemnisation car le choc post traumatique peut survenir entre 12 à 24 mois après l’attentat. Plusieurs mois après, des victimes non blessées physiquement mais choquées psychologiquement peuvent, du jour au lendemain, avoir des visions cauchemardesques, ne plus réussir à dormir. C’est à ce moment, de prise de conscience du préjudice subit, que les victimes font une demande d’indemnisation.

Le fonds d’indemnisation des victimes est-il suffisamment doté pour faire face aux demandes ?

Le fonds est doté de 1,2 milliard d’euros. Pour les victimes de Côte d’Ivoire touchées le 13 mars dernier, 9 provisions leur ont déjà été versées pour faire face aux premiers frais. Il faut réfléchir à la pérennité de son financement. Tous les scénarios sont sur la table. La taxe sur les contrats d’assurance, qui alimente le fonds, a été augmentée de 1 euro en janvier 2016.

Pour les seuls attentats de novembre

Le FGTI anticipe un coût de 350 millions d’euros. Ce chiffre se base sur le nombre de victimes directes et sur l’anticipation des victimes qui se déclareraient à l’avenir. Le principe, c’est l’indemnisation intégrale du préjudice.  Il ne peut être établi que lorsque les blessures sont consolidées. Par exemple si votre genou est touché lors d’une attaque, il faut attendre de savoir si vous allez retrouver son usage ou pas. Il n’est pas possible de le prévoir à l’avance.

François Hollande a reçu les associations de victimes au lendemain de l’arrestation de Salah Abdeslam et à la veille des attentats de Bruxelles.
A quoi cela a t-il servi ?

Cette reconnaissance du chef de l’État et à travers lui, de la Nation toute entière était importante. Les associations ont pu ainsi entendre qu’il avait bien ces priorités : information, accompagnement et clarification du statut de victimes. Le Président les rencontrera à nouveau avant la fin de l’été.

Vous vous retrouvez face à des victimes encore en grand état de choc, étiez-vous formée pour cela ?

Cela me rappelle mes premières années de vie professionnelle lorsque j’étais avocate. Je me mets à la place des gens que j’aide. Je me retrouve assez naturellement dans cette position. Avec, en plus la dimension de service public et le souhait de montrer à tous nos concitoyens que l’État est là pour eux.

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La construction de l’identité professionnelle de l’Art-thérapeute

Logo-Cairn.infoLe Journal des psychologues
2007/4 (n° 247)
Pages : 80
DOI : 10.3917/jdp.247.0058
Éditeur : Martin Média

La construction de l’identité professionnelle de l’art thérapeute

par Dominique Sens

Psychologue clinicien
Art thérapeute
Chargé de cours université Paris-V

Si l’intitulé Art thérapeute est explicite, l’on s’interrogera plus spontanément sur la situation psychothérapique de l’art thérapeute vis-à-vis des autres disciplines existantes.

En effet, il existe une diversité de définitions de l’Art-Thérapie qui renvoient à différents modèles théoriques (psychanalytique, systémique, cognitivo-comportemental, etc.). En ce sens, l’évidence du devenir du métier d’art thérapeute est mise à l’épreuve.

Traitement psychothérapique par l’Art-Thérapie

L’art thérapie est actuellement en pleine extension. Elle fait l’objet d’une visibilité institutionnelle par son utilisation de plus en plus courante dans différents secteurs.  Dans les secteurs psychiatrique, médico-éducatif, du handicap mental, de la gériatrie, elle est visible par sa diffusion tant sur le plan de la formation universitaire (DU, master) qu’extra-universitaire (diplômes privés, certificats de formation). Phénomène de moins en moins marginal, l’art thérapie se déploie également en tant que pratique psychothérapique en cabinet libéral. Ainsi, l’idée d’un traitement psychothérapique par l’Art-Thérapie fait son chemin actuellement,. Cependant, il n’existe pas encore un véritable statut comme en Angleterre, encadré par une formation de niveau « master ». Il n’y a pas encore l’obligation d’être enregistré régulièrement auprès d’un organisme officiel pour pouvoir exercer et la nécessité d’un contrôle (supervision) pour le clinicien, surtout si celui-ci reçoit des enfants.

La question de la psychothérapie

Par ailleurs, la question de la psychothérapie soulève un débat important et pose l’interrogation – comme pour toutes les psychothérapies – de la qualification et de la formation du praticien. Les questions sont nombreuses et sujettes à polémiques. Par exemple, y a-t-il une pertinence à distinguer art thérapie/psychothérapie à médiation artistique ? Une telle distinction correspond-elle à des pratiques différentes et ordonne-t-elle une certaine position psychothérapique ou bien relève-t-elle d’une séparation arbitraire liée à des enjeux autres que cliniques ? Peut-on parler de dispositif d’art thérapie analytique et à quelle condition ? Et, dans ce cas, faut-il être psychanalyste ? Un psychologue clinicien formé à l’art thérapie et bénéficiant d’un contrôle par un analyste peut-il s’autoriser à : « inventer d’autres dispositifs praticiens compatibles avec la théorie psychanalytique » ? (Vacheret C., Duez B., 2004, p. 194.)

Il s’agit là d’un processus où l’individu construit son identité

Je me propose d’aborder la problématique de l’identité professionnelle de l’art thérapeute. Je le ferais en termes de construction, c’est-à-dire en considérant qu’il s’agit là d’un processus où l’individu construit son identité. Elle se fait dans la similitude et la différence à autrui, dans une appartenance à un groupe et en lien avec une pratique sociale. L’art thérapeute est donc pris entre une recherche de stabilité au travers de repères qui sont autant d’éléments partageables, fondateurs de son identité professionnelle, et la nécessaire singularité d’une pratique qui en fait un sujet autonome.

Les différents niveaux de l’identité

La construction de l’identité de l’art thérapeute est une question complexe qui va s’articuler autour de différents niveaux de compréhension. Un niveau individuel, relatif au désir d’être du sujet et du projet personnel qui le porte. Un niveau groupal qui renvoie à la question de l’affiliation à un groupe d’appartenance revendiquant une certaine place dans le champ de la pratique de l’art thérapie. Enfin, un troisième niveau, sociétal, pourrait-on dire, en référence à la position qu’occupe cette pratique de l’art thérapie, produit d’une histoire et pratique sociale évolutive ? Cette pratique est elle-même tributaire de représentations sociales structurées par des normes, des règles, une idéologie véhiculée par la société libérale post-industrielle.

Le niveau individuel

Un premier niveau, individuel, concerne donc l’engagement du sujet à devenir art thérapeute, porté par son désir et son projet. Comment devient-on art thérapeute ? Question qui renvoie aux idéaux, aux aspirations et aux compétences qui vont soutenir chacun à s’engager dans cette voie. Elle interroge ce qui fonde l’idéal du moi professionnel de l’art thérapeute. Elle le fait dans cette tension entre un « narcissisme professionnel » qui s’éprouve dans l’image de soi-même en artiste et thérapeute, en thérapeute-artiste, en thérapeute et artiste, et l’identification à des idéaux collectifs relatifs à la santé, la maladie, le développement de soi, la créativité et l’art. Elle ouvre, évidemment, à la question individuelle du désir d’être, du manque à être et à la part d’imaginaire qui nourrit l’engagement dans cette voie.

L’évolution personnelle et professionnelle

L’intime du désir, sa complexité, son éventuelle opacité, participent à la fondation du projet. Celui-ci est lié à l’évolution personnelle et professionnelle de la personne, au sens qu’il souhaite donner à sa vie personnelle et professionnelle. Ce projet débouchera-t-il sur un métier, dans un contexte social de précarisation des statuts ? Il y a quelque chose de troublant, dans l’engouement pour la pratique de l’art thérapie. Cette discipline noue l’artistique et le psychothérapique dans un moment où le statut de l’artiste (l’intermittent du spectacle) et celui du psychothérapeute sont fortement questionnés.

Le niveau groupal

S’engager dans l’activité d’art thérapie relève donc d’un désir et d’un projet personnel. Ceux-ci inscrivent l’art thérapeute dans un lien d’affiliation aux organismes qui prétendent à la formation à ce métier. Ils inscrive aussi l’art thérapeute dans un collectif plus ou moins organisé de professionnels (un regroupement associatif d’art thérapeutes, une fédération, etc.).

Une soixantaine de centres de formation

En France, une personne désireuse de se former à l’art thérapie peut s’adresser à plus d’une soixantaine de centres de formation. ces centres proposent une qualification d’art thérapeute, répertoriant des médiations artistiques telles que la peinture, la sculpture, le modelage, la musique, l’écriture, le théâtre, le cirque, la danse, les marionnettes, les masques et bien d’autres arts. Il n’est pas toujours facile de se repérer dans cette offre entre différentes formations.

Accéder à sa propre vérité sur sa pratique

De ce choix d’orientation découlera, pour l’art thérapeute en formation, un sentiment d’appartenance à un collectif organisé autour de valeurs et d’un référentiel théorique spécifique. Ayant choisi un lieu de formation, l’art thérapeute va faire siens les modèles théoriques et les pratiques qui lui sont proposés. Dès lors, il s’engage dans un effort d’appropriation, puis – il faut le lui souhaiter –, ultérieurement, va s’en distancier aussi, dans un acte d’assimilation différenciateur pour accéder à sa propre vérité sur sa pratique.

Un processus d’assimilation/différenciation

Il s’agit là d’un processus d’assimilation/différenciation dans le cadre d’un enseignement transmis par une instance instituante, externe au sujet, et qui revendique une certaine autorité en la matière. La question portera alors sur la légitimité de cette autorité instituante. C’est une importante difficulté dans le cheminement identitaire de l’art thérapeute. Cela l’oblige à s’interroger sur les modèles et les conceptions qui lui sont soumis.

Or, une pluralité de définitions de l’art thérapie existe en référence aux différents modèles théoriques (psychanalytique, systémique, cognitivo-comportemental, rogerien, etc.). Pour autant, il me semble que la ligne de partage entre ces diverses conceptions correspond, grosso modo, à deux visions distinctes de l’activité artistique sur laquelle s’appuie le praticien.

Par l’art, une métamorphose de soi est obtenue

La première approche considère que toute création artistique est thérapeutique, car porteuse de changements et de transformations. C’est un espace de création personnelle qui est proposé au patient. L’art thérapeute assureune fonction de maintenance et de protection afin que l’individu puisse s’exprimer librement. Au fond, par son désir de changement, le sujet souffrant se guérit par l’acte même de la création. Ainsi, l’art recèle sui generis une possibilité de transformation vers un mieux-être. Les artistes formés à l’art thérapie me paraissent très sensibles à cette approche insistant sur l’acte artistique et la production d’une œuvre.

Guérit par l’acte de création

Il existerait une sorte d’analogie ou d’homothétie entre les défis de base de la création artistique et les défis de base de la vie (Franklin M., 1992). Par l’art, une métamorphose de soi est obtenue. Une telle vision téléologique de l’art me paraît très idéaliste et contredite dans les faits. Jamais l’art n’a soigné personne, mais au mieux soulagé temporairement une souffrance.

Ce n’est pas l’art en soi, mais l’activité relationnelle

Une deuxième conception repose sur l’idée que ce n’est pas l’art en soi, mais l’activité relationnelle mettant en jeu un patient, un thérapeute et un objet ou une matière à travailler, qui est porteuse d’amélioration psychique pour le patient. Comme l’écrivait Colette Duflot (2003) avec humour : « Quand l’art est là, la psychothérapie s’en va. » L’insistance sur l’aspect psychothérapique par le biais de la verbalisation, mettant au second plan la médiation – considérée comme moyen plutôt que finalité – a porté certains auteurs à préférer le terme de « psychothérapies médiatisées » à celui d’« art thérapie » (Granier, Auby, Gentil et Pezous, 1992). Certains professionnels utilisant des médiations artistiques récusent le terme même d’« art thérapeute ». « Maïeute-psychanalyste » est-elle vraiment une appellation plus convaincante ?

Une activité artistique comme un moyen d’engager un soin

Peut-être cette conception de l’art thérapie est-elle plus familière pour les personnes qui introduisent une activité artistique comme un moyen d’engager un soin pour des patients réputés « difficiles », là où la seule médiation par la parole en situation d’intersubjectivité s’avère trop précaire. Ces patients peuvent-être états-limites, psychotiques, sujets gravement carencés ou traumatisés, handicapés mentaux, etc.
Cependant, l’infléchissement d’une telle position est de mettre de côté l’importance de la matérialité du médium et la spécificité des processus psychiques de création. L’activité de création se réduirait à n’être qu’un support à un travail de verbalisation dans le cadre d’une relation thérapeutique.

Les modèles courants en art thérapie

C’est au cours de leur formation que les arts thérapeutes font l’acquisition de différents modèles. Ils ont recours explicitement ou implicitement à ces modèles dans leur activité. En se calquant sur les distinctions habituelles des psychothérapies (Frisch S., 2002), on peut considérer qu’il existe quatre modèles auxquels se réfèrent les art thérapeutes. Ces modèles sont applicables en situation groupale ou individuelle :

  • Le modèle cathartique :

    Le patient est poussé à s’exprimer par une technique artistique afin d’expulser, se débarrasser de sa souffrance (« s’exprimer soulage, ça fait du bien »). Le thérapeute sollicite le désir, stimule le besoin d’expression, favorise l’acte de communication. Il prend acte de cette souffrance, l’accueille mais n’engage pas forcément le patient vers une voie d’élaboration des conflits sous-jacents. Dans l’atelier, il favorise la décharge émotionnelle qui va purger le patient de son angoisse.

  • Le modèle réparateur :

    Le thérapeute pense aider le patient en lui apportant son soutien, sa compréhension, afin d’effacer le préjudice qu’a subi le patient ou pour combler un manque interne. Il s’implique dans la relation soignant/soigné en instaurant un climat de confiance et de convivialité. Dans l’atelier, il va chercher à restaurer le narcissisme défaillant du sujet, augmenter l’estime de soi du patient en introduisant des gratifications narcissiques.

  • Le modèle éducatif :

    Le thérapeute est dans une position de guide. Il indique au patient les procédures à effectuer, les chemins à prendre, la direction à suivre. Il assure une fonction de conseil dans le dessein d’aider le patient à effectuer des choix plus pertinents. Il a un rôle d’éducateur ou de ré-éducateur. Il vise à favoriser une meilleure adaptation du patient et propose des modèles à appliquer. Dans l’atelier, il va prendre une position de figure parentale. Cette figure transmet un savoir-faire, une connaissance pour permettre de développer les potentialités créatrices du patient. Ces potentialités seraient transférables à l’extérieur de l’atelier ayant servi de lieu de ressources.

  • Le modèle analytique :

    Il repose sur l’idée que, dans la séance, ce qui sera privilégié, c’est le processus et non le résultat. C’est, de mon point de vue, le modèle le plus pertinent, mais le plus complexe à mettre en œuvre. En effet, la prise en compte de la théorie psychanalytique veut qu’on s’interroge sur la méthode psychothérapeutique analytique adoptée en art thérapie. En situation individuelle ou groupale, l’offre d’une médiation artistique est-elle une variance, une alternative ou un détournement du dispositif princeps de la cure-type ? (Vacheret C., Duez B., op. cit.)

    La clinique médiatisée

    On conçoit combien il importe de clarifier un certain nombre de points à propos de la clinique médiatisée. Il y a l’indication de thérapie individuelle ou groupale, les règles qui structurent la séance, la question de l’interprétation. Quel est le rôle de l’objet de médiation dans le cadre de la relation transférentielle et contre-transférentielle ? Il y a la dynamique et le processus thérapeutique à l’œuvre en lien avec les notions de sublimation et de création. Il y a la place accordée à la verbalisation dans le processus thérapeutique.

L’art thérapie analytique

Par ailleurs, l’intérêt de ce modèle est qu’il peut être rattaché à une perspective historique et s’étayer sur un corpus théorique cohérent. En effet, la clinique médiatisée trouve son origine dans la psychanalyse d’enfant avec Anna Freud, Mélanie Klein, Sophie Morgenstern, D. W. Winnicott, Marion Milner, Gisela Pankow (Brun A., 2006). Il existe donc une « tradition » construite progressivement à partir de l’introduction du dessin en thérapie d’enfant vers une théorie de la transitionnalité et l’usage d’un médium « malléable » (MIilner M., 1976 ; Roussillon R., 1991). Le médium malléable a fonction de matière à symbolisation (Chouvier B., 1998). Il existe un corpus de concepts opératoires fondés sur la clinique, applicables à ce qu’il conviendrait d’appeler l’art thérapie analytique.

Menacer un dispositif de soin

L’attachement à un modèle, ou sa prévalence sur d’autres, renvoie au propre système de valeurs de l’art thérapeute. Il le renvoie à ses convictions quant à l’efficacité de telle méthode, au tri qu’il a lui-même effectué lors de sa formation. Il le renvoie à son histoire personnelle, au public accueilli, à l’institution dans laquelle il intervient. Il le renvoie à la position professionnelle qu’il occupe, selon qu’il est psychiatre, psychologue clinicien.ienne, psychomotricien.ienne, infirmier.e, éducateur.trice spécialisé.e, etc. En réalité, si chaque art thérapeute va privilégier un modèle, il s’autorise souvent à combiner ces modèles selon les circonstances déterminées par le cadre de son action. Ce qui n’est pas sans risque de confusion et peut menacer un dispositif de soin en raison de la précarité du dispositif théorico-clinique.

Production du groupe est souvent mise en avant au détriment des processus de groupe

En outre, le constat actuel, en ce qui concerne la pratique institutionnelle, comme le précisent Lorenzetti & Russo (2003), c’est plutôt l’extrême parcellisation dans le domaine des groupes thérapeutiques à médiation artistique. Ces deux auteurs soulignent, à propos des ateliers d’art thérapie, que l’intervention est souvent au service de l’instrument et non l’inverse.

Instrument comme dispositif thérapeutique

Ainsi, l’instrument est considéré comme le dispositif thérapeutique. Ce qui, bien sûr, conduit parfois à une profusion de termes associant l’instrument ou le support avec le mot « thérapie ». Exemple : hippothérapie, la théâtrothérapie, olfactothérapie, la floro-thérapie, culino-thérapie, etc. C’est, je crois, le résultat d’un gauchissement de la notion de thérapie institutionnelle. Celle-ci est à l’origine fondée sur l’idée que chacun, en raison de sa fonction et selon sa place, participait à la thérapie dans l’institution soignante. Dans les groupes d’art thérapie, la production du groupe est souvent mise en avant au détriment des processus de groupe, par méconnaissance de la spécificité du fonctionnement psychique des groupes à médiation.

Mise à l’épreuve l’identité de l’art thérapeute

Là encore, il se peut que les modèles de type cathartique, réparateur, éducatif ou analytique, traversent l’institution de façon implicite ou explicite et mettent à l’épreuve l’identité de l’art thérapeute. Quel est le degré de liberté de celui-ci dans l’exercice de son activité ? Quels sont les rôles choisis ou prescrits auxquels l’art thérapeute doit répondre au sein des institutions ? En effet, il peut être perçu comme un chaman, un soigneur, un thérapeute, un animateur, un artiste… et, parfois, tout ça à la fois !

Un troisième niveau, sociétal

J’ai mentionné, plus haut, ce qu’il y a de surprenant dans l’intérêt actuel pour la pratique de l’art thérapie. On peut supposer que nous sommes dans un moment où l’art thérapie, comme pratique sociale nouvelle, tente de s’institutionnaliser. Il y a également une curiosité grandissante du public à propos de l’art à l’hôpital, des ateliers thérapeutiques, de l’art asilaire, etc. En témoignent les nombreuses expositions, catalogues, articles de journaux. Enfin, l’art, en tant que moyen d’expression de la singularité de la personne, se propose à favoriser la confiance en soi, restaurer l’estime de soi, « narcissiser » le sujet. Il le fait au travers des stages dits de « développement personnel », des ateliers socio-thérapeutiques.

Une dimension collective

D’où l’interrogation suivante : En quoi l’art thérapie, dans sa pratique comme dans les représentations qui s’y rapportent, peut-elle être sous l’influence de normes édictées socialement ? Autrement dit, la question subjective de la construction de l’identité de l’art thérapeute relève également d’une dimension collective. Ceci en référence à des représentations sociales ancrées dans des pratiques et des institutions traversées par les conceptions actuelles de la culture, de l’art et de la santé mentale.

L’idéologie de la performance

Comme l’a montré le sociologue A. Ehrenberg (ibid.), l’initiative personnelle représente aujourd’hui le modèle du comportement adapté et le nouveau mode de pouvoir. La personne n’est plus agie par un ordre extérieur,  mais doit agir sur un ordre personnel. Elle était agie selon des règles d’autorité aujourd’hui considérées comme obsolètes. De façon de plus en plus insistante, la norme sociale exige de l’individu contemporain autonomie et initiative personnelle. L’individu est sommé d’être l’entrepreneur de sa vie. L’idéologie de la performance et de la réussite nécessite pour chacun d’être l’auteur de sa vie, nécessairement responsable, souple, actif et créatif. L’injonction de réussite en tant que modèle normatif qui implique l’initiative et la prise de risque individuelle s’est substituée à la norme traditionnelle du respect de l’autorité et des interdits.

Un sentiment d’insuffisance

L’individu se conçoit comme un potentiel à exploiter. Fatigue, inhibition, insomnie, anxiété, aboulie, dépression, hyperactivité, addiction… autant de symptômes qui traduisent le déficit du sujet.  Ehrenberg explique le déficit du sujet à répondre aux exigences sociales de l’individualisme de masse. Les dépressions et les pathologies narcissiques auxquelles les cliniciens sont très largement confrontés témoigneraient de ce qu’Ehrenberg appelle « un sentiment d’insuffisance » (Ehrenberg A., op. cit.). La montée de l’individualisme a pour corollaire l’incertitude de la réussite et la fragilité identitaire. On attend du médicament qu’il rebooste le patient et de la psychothérapie qu’elle pallie l’insécurité identitaire.

Une sorte de stimulant de la personne

Dès lors, on peut s’interroger sur ce qui se diffuse de la norme au travers de l’art thérapie dans et hors du contexte de l’institution soignante. D’un côté, l’usage des antidépresseurs, anxiolytiques et autres médicaments agissant sur l’humeur du sujet, de l’autre la mise en place d’ateliers de groupe ou de psychothérapies individuelles favorisant les capacités d’initiative et de créativité du patient. L’atelier d’art thérapie serait-il l’inverse symétrique et complémentaire des techniques chimiothérapiques qui visent, elles, à intervenir au niveau biologique sur l’humeur du sujet ? L’activité artistique serait-elle une sorte de stimulant de la personne confrontée à son propre vide et sa « fatigue d’être soi » (Ehrenberg A., op. cit.), dans le cadre d’une médecine visant à réhabiliter le sujet aux normes de réussite et de créativité ?

L’avenir de l’Art-Thérapie

On s’interrogera donc sur une pratique thérapeutique qui peut être comprise comme une « médecine » douce, axée sur la question de la créativité, dans le cadre d’une psychopathologie de la vie quotidienne qui a érigé la triade dépression/anxiété/addiction en une pathologie de l’individualité. Comme le souligne Alain Ehrenberg (1999) : « Les médicaments ne sont qu’un aspect d’un développement généralisé de technologies identitaires, d’industries de l’estime de soi, de marchés de l’équilibre intérieur tout à fait hétéroclites (des renouveaux religieux aux nouvelles molécules en passant par l’hypnose ou le cri primal). Ils sont promis à un bel avenir. » Est-ce aussi celui de l’art thérapie ?

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