Mardi 19 juillet 2016
7H32
Interview par Amélie Perrot
Itinéraires bis
Un médicament pour oublier les attentats ?
Au Canada, le professeur Brunet a mis en place une nouvelle méthode de traitement des traumatismes.
Il s’agit d’associer sur six semaines une thérapie et un médicament qui agit sur l’intensité émotionnelle du souvenir. Une méthode à l’étude, en France, pour les blessés psychiques des attentats de Paris.
Les attentats de Nice auront fait des centaines de blessés psychiques. Quels sont les symptômes de ce traumatisme et comment peut-on le guérir ? La méthode du professeur Alain Brunet, de l’université McGill de Montréal, ouvre de nouvelles perspectives pour soigner le stress post traumatique.
A chaque fois que l’on se remémore un souvenir, on peut le modifier, soit de façon positive, soit de façon négative. Soit en amplifier la précision, l’acuité, soit à l’inverse, en atténuer l’intensité. C’est l’idée de ce traitement des traumatismes psychiques : un médicament va agir sur la fixation émotionnelle du souvenir, dans le cadre d’une thérapie de six semaines.
L’AP-HP a lancé une étude sur ce traitement, qui portera sur 400 blessés psychiques des attentats de Paris souffrant de stress post-traumatique. Rencontre avec le Professeur Bruno Millet, psychiatre, professeur à l’université Pierre et Marie Curie, qui coordonne cette étude.
Bruno Millet
Le stress aigu
Le stress aigu est un état de situation de désarroi par rapport à une rupture avec le court habituel de votre vie.
Le choc est tellement important que votre système physique dans toute sa globalité va être altéré avec un état d’hypervigilance, un état de tension extrême qui se met en place.
Et puis, vous essayez de faire face à l’indicible : quelqu’un qui fonce sur vous. Ça peut entrainer de tels chocs que ça va même jusqu’à l’altération du soi et de sa propre identité, avec une désorientation.
Une désorientation dans l’espace, on ne sait plus qui on est, on ne se reconnait plus. Alors que quelques instants auparavant, on était dans une situation de plaisir, il y a ce stress aigu qui est majeur.
Les médecins ont des catégories, on parle de stress aigu pendant un mois, puis au bout d’un mois, quand les symptômes persistent, on parle d’état de stress post-traumatique.
État de stress post-traumatique – ESPT
On a tendance à revivre les événements traumatisants. Surtout ce qui va s’installer progressivement c’est la peur que ces phénomènes se reproduisent. Pour éviter que ces phénomènes se reproduisent, on entre dans ce que l’on appelle des conduites d’évitement.
Et donc du coup, c’est toute la vie qui est chamboulée, c’est tout le fonctionnement habituel qui est chamboulé, c’est ce que l’on appelle l’état de stress post-traumatique.
Le soin
Pour soigner ce stress post-traumatique, on pourrait donc atténuer le souvenir ?
Le patient raconte à la première séance le souvenir traumatique. Pendant six semaines, il va prendre un médicament et revenir avec son thérapeute sur ce récit de l’événement raconté la première semaine.
En faisant réémerger successivement le souvenir, on pourrait le modifier
Ça s’appuie sur des données qui ont montré l’importance d’un phénomène qui est celui de la reconsolidation mnésique. C’est-à-dire que chaque fois que l’on fait réémerger à sa conscience un souvenir, il est tout à fait possible de pouvoir en modifier la charge émotionnelle. On le fait soit dans une sens positif, soit en atténuant cette charge émotionnelle. On montrera qu’on peut atténuer ce souvenir par l’action sur certaines protéines, qui jouent un rôle sur la mémoire épisodique et sur l’hippocampe.
L’hippocampe est la structure principalement impliquée dans la mémoire épisodique.
On a montré que certaines molécules étaient capables justement d’inhiber ce souvenir-là.
L’idée est que cette molécule utiliser de longue date, très ancienne et bien connue chez l’humain, qui a donc fait ses preuves de bonne tolérance, soit utilisée comme bloqueur de la consolidation mnésique.
Comment est-ce que le médicament va s’attaquer à ce souvenir en particulier ?
En fait, il ne va pas s’attaquer à ce souvenir en particulier. C’est que la personne qui souffre d’état de stress post-traumatique ne pense qu’à çà. Elle est obnubilée par un événement et pas n’importe lequel. Celui qui a causé la mort de son enfant, de son proche, celui qui lui fait se rappeler sans arrêt la même scène de terrorisme, et qui l’empêche de sortir.
On doit bien comprendre que ce n’est pas une molécule miracle qui va agir sur ce souvenir traumatisant. C’est une molécule qui agit sur tous les souvenirs.
Mais la personne dont on s’occupe est obnubilée par une seule chose : par ce qu’elle a vécu. Donc l’idée est de pouvoir atténuer ce souvenir-là. Et de lui permettre, en oubliant ce souvenir de pouvoir reprendre les activités qu’elles pouvaient avoir auparavant.
Le traumatisme est aussi à l’échelle nationale. L’oubli peut-il vraiment être une solution ?
Le pays souffre en ce moment, il est touché et je ne sais pas si un pays doit oublier. Un pays est là aussi pour faire face à un événement historique, s’interroger sur la portée de cet événement, et en tirer les conséquences. Des conséquences médicales qui sont importantes, c’est-à-dire que ce trouble peut empêcher les personnes de fonctionner au quotidien.
Individuellement, il est tout à fait licite de les aider en leur permettant d’oublier le parasitage de leurs pensées par cet événement traumatisant. Est-il licite de le faire au niveau national ? Je ne suis pas sur que je sois bien placé pour répondre à cette question.
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