Tribune – La violence des lois de l’asile dans les pays européens et leur impact désastreux sur la santé et la précarité des migrants ont été maintes fois dénoncés

TRIBUNE

Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky

Professeur d’anthropologie, psychologue clinicienne

Sarah Iribarnegaray

Psychiatre

La mise en doute des traumatismes subis par les demandeurs de titres de séjour pour soins a des conséquences graves, s’indignent Sarah Iribarnegaray, psychiatre, et Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, anthropologue et psychologue clinicienne.

Publié le 12 mars 2019 à 06h30
Mis à jour le 12 mars 2019 à 09h42
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Tribune. La violence des lois de l’asile dans les pays européens et leur impact désastreux sur la santé et la précarité des migrants ont été maintes fois dénoncés. En revanche, on connaît moins les limites de la loi française, où l’Etat de droit se retrouve le premier compromis par des mesures qui sont autant d’entorses au respect de la personne, et dont les effets pervers viennent anéantir toute politique d’accueil cohérente. Dans le domaine de la santé, les contradictions se cristallisent particulièrement autour de la question du trauma psychique.
Les demandeurs d’asile qui ont vécu dans leurs pays d’origine des menaces, incarcérations ou violences souffrent fréquemment d’état de stress post-traumatique compliqué d’épisodes dépressifs. Ces individus aux capacités mémorielles perturbées ne parviennent pas à effacer la violence des images dans leur esprit, ne dorment plus, sont rivés à une angoisse envahissante.

Troubles faciles à ignorer

Pour ceux-là, la procédure d’asile a des conséquences terribles. En effet, ces patients qui précisément devraient attester des violences subies et faire pencher le juge du côté de la protection française ne peuvent parler avec « cohérence » et « spontanéité » des horreurs vécues, comme le souhaiterait une procédure fondée sur le récit. Un patient ayant subi un traumatisme grave peut se présenter perplexe ou détaché, son discours parfois peu cohérent, voire contradictoire, sa mémoire troublée rendant les éléments biographiques (parcours de vie et de migration) difficiles, voire impossibles à verbaliser. Ces troubles post-traumatiques sont du reste invisibles et variables dans leur présentation selon les individus, donc faciles à ignorer ou à mettre en doute.
Parmi les récentes mesures, la loi sur le droit des étrangers de mars 2016 a transféré l’évaluation médicale des étrangers malades des médecins des agences régionales de santé (ARS) dépendant du ministère de la santé à ceux de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), autrement dit au ministère de l’intérieur. La récente loi de septembre 2018 exige que le demandeur d’asile fasse conjointement la demande d’asile politique et la demande de séjour pour soins. Or la plupart des exilés ne peuvent préciser leurs troubles qu’une fois leur accès aux soins effectif, bien après leur arrivée.

« Le premier motif des demandes, les troubles de la santé mentale et du comportement, est aussi celui qui fait l’objet du refus le plus massif »

Ainsi, l’octroi de la demande d’admission au séjour pour soins (APS) a baissé de 39 % en 2017. Le taux d’avis défavorables (47 %) est en augmentation par rapport aux années précédentes. Plus précisément, comme en témoigne le rapport de l’OFII au Parlement sur la procédure d’admission au séjour pour soins de 2017, le rejet des demandes est inversement proportionnel au classement de la pathologie invoquée.
Le premier motif des demandes, concentrant plus d’un cinquième de celles-ci, les troubles de la santé mentale et du comportement, est aussi celui qui fait l’objet du refus le plus massif, avec plus de 75 % de taux de rejet. Les maladies organiques, par exemple les maladies du sang, sont acceptées à plus de 85 %. L’OFII semble se féliciter de ces taux. Pourquoi tant de suspicion à l’égard des pathologies mentales et du psycho-trauma ? Pourquoi un tel déni de la souffrance psychique ?
Contrairement à beaucoup de maladies organiques, les troubles mentaux ne sont souvent pas objectivables ni quantifiables par des examens paracliniques ; seule l’analyse du tableau clinique permet de poser le diagnostic. L’OFII n’hésite pas, dans son rapport, à avancer que le « problème de la réalité de l’affection se pose parfois, notamment quand le diagnostic repose essentiellement sur des éléments déclaratifs ». On aurait pu penser que, au vu des certificats de suivi des psychiatres et psychologues inclus dans les dossiers, les médecins de l’OFII reconnaissent cette pathologie. Ce n’est pas le cas, et la mise en doute systématique de celle-ci a des conséquences graves. Au niveau professionnel, elle met directement en cause la bonne foi et l’expertise des soignants.
Si une catégorie de maladie, en l’occurrence les maladies mentales, est quasi systématiquement refusée par les collègues de l’OFII, la décision médicale ne perd-elle pas de sa valeur au profit d’un biais politique ? Est-il question de prise en charge médicale ou de gestion des flux migratoires ?
Selon la nouvelle procédure, un dossier est examiné successivement par quatre médecins de l’OFII, un médecin rapporteur puis par trois médecins composant un collège. Or, celui-ci n’est pas composé de manière systématique d’au moins un psychiatre, lui-même formé à la clinique du psycho-traumatisme. De plus, le temps imparti lors de la consultation médicale est souvent minimaliste et peut se faire sans la présence systématique d’un interprète.

Appréciation variable selon les médecins

Or, puisqu’il s’agit de protéger des personnes qui n’ont pas accès à ces soins dans leur pays d’origine, on peut sans risque formuler que la prise en charge médicale des psycho-traumas et dépressions n’y existe pas. Rappelons, dans les pays dont viennent nos patients, la stigmatisation des malades souffrant de troubles mentaux, la pénurie aiguë de personnels qualifiés et de structures sanitaires, la difficulté d’accès aux soins, les coûts élevés et le manque de médicaments. Un rapport d’une ONG de 2013 faisait état d’un seul établissement public psychiatrique à Kinshasa pour toute la République démocratique du Congo.
L’un des critères majeurs d’appréciation des dossiers par les médecins de l’OFII est celui des « conséquences d’une exceptionnelle gravité en l’absence de soins pour les demandeurs ». Il semble que l’acception de cette notion fasse l’objet d’une appréciation variable selon les médecins : faut-il systématiquement mettre en avant l’éventualité d’un risque suicidaire pour attester de la gravité de la souffrance psychique ?
Surtout, cela a des conséquences lourdes pour des exilés déboutés, sans papiers, qui ont besoin d’être soignés : présents en France, ils n’en partiront pas. Confinés dans l’illégitimité, c’est une condamnation à l’errance qui les frappe, en contradiction brutale avec la politique d’intégration de la France, pays au principe d’accès universel aux soins.

Sarah Iribarnegaray est psychiatre. Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky est anthropologue et psychologue, spécialiste des questions d’exclusion en Inde et au Brésil.


Demandeurs de séjour pour soins : « Nous, psychiatres experts, rendons notre avis sans subir de pression »

Tribune. Collectif.
Un collectif de psychiatres de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) répond aux critiques sur son travail d’évaluation des pathologies et souffrances psychiques des demandeurs de titre de séjour, formulées dans une tribune parue dans « Le Monde » du 13 mars.
Publié le 03 avril 2019 à 06h00
Mis à jour le 03 avril 2019 à 07h16
Temps de Lecture 4 min.

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[La réforme de la procédure de délivrances des titres de séjour pour soins confie désormais les avis médicaux à des praticiens de l’OFII, un opérateur du ministère de l’intérieur. Dans une tribune publiée dans « Le Monde » du 13 mars, Sarah Iribarnegaray, psychiatre, et Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky, anthropologue et psychologue clinicienne, pointaient la mise en doute par ces praticiens, lors de leurs évaluations, « de la souffrance psychique des demandeurs de séjour pour soins ». Un collectif de psychiatres experts de l’OFII répond à cette critique.]

Tribune. L’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), opérateur de l’Etat, tire sa légitimité de sa capacité renouvelée à accompagner les migrants, et ce depuis sa création après la deuxième guerre mondiale. En son sein, un service médical regroupe des équipes de médecins, psychiatres et infirmièr(e)s chargées d’organiser le suivi médical sous un angle de médecine préventive.
Depuis 2017, l’OFII a également la responsabilité d’évaluer la gravité médicale des dossiers que certains étrangers constituent pour pouvoir bénéficier d’un titre de séjour pour soins, dénommé titre de séjour « étranger malade ». Cette disposition est quasiment inédite à l’échelle internationale (seule la Belgique a un dispositif presque similaire), et témoigne des valeurs humaines et d’hospitalité de la République française.
Une tribune, parue dans Le Monde du 13 mars, critique de façon virulente, inexacte et injuste le service médical de l’OFII, avec la thèse selon laquelle les décisions concernant les titres de séjour pour étranger malade seraient prononcées sur des critères administratifs et non pas de santé mentale.
Ce point de vue insinue sans preuve que les médecins qui travaillent pour l’OFII dérogeraient aux dispositions régissant leur statut, au prétexte que l’OFII serait opérateur du ministère de l’intérieur : fait-on le même procès d’intention aux médecins scolaires, aux médecins exerçant en milieu pénitentiaire, aux médecins du travail ou à ceux des collectivités territoriales ? Cela n’a pas de sens… Les médecins de l’OFII rendent leur avis en âme et conscience, sans subir de pression. Ils interviennent en tant qu’experts tout en exerçant ailleurs une activité clinique.

Pas de « mise en doute systématique »

De plus, ce texte entretient la confusion entre la procédure d’asile et la procédure « étranger malade », signant une méconnaissance du processus dans son ensemble. En pratique, un étranger arrivant en France, et rapportant avoir subi des exactions dans son pays d’origine, est éligible au statut de réfugié. Ainsi nous ne voyons pas de dossiers de trouble de santé mentale de patients syriens, érythréens ou irakiens par exemple.
Par ailleurs, contrairement à ce qui est écrit, il n’y a pas de « mise en doute systématique » de « la pathologie du patient » ni « de la parole du psychiatre-traitant » ; en revanche, à la lecture attentive des dossiers, il peut y avoir doute lorsque le parcours de soins est en contradiction avec l’intensité des symptômes telle qu’elle est décrite : imagine-t-on un patient atteint d’une maladie somatique grave (cancer, VIH, infarctus…) ne pas être hospitalisé lorsque survient la phase aiguë de sa maladie ?
La loi de mars 2016 relative au droit des étrangers en France permet désormais aux médecins de l’OFII spécialisés dans le parcours des patients migrants d’apporter leur expertise collective sur chaque cas clinique qui leur est soumis : dès lors, il faudrait qu’on nous explique en quoi notre organisation en groupe médical spécialisé (des collèges de médecins pour chaque cas analysé) serait moins adaptée que la précédente, qui ne faisait intervenir qu’un seul médecin de l’Agence régionale de santé, sans compétence particulière en matière de suivi des migrants, non-clinicien, non-psychiatre.

« Continuer à faire vivre cette procédure contre ceux qui veulent la remettre en cause nécessite de combattre les fraudes qui en affaibliraient la crédibilité »

Enfin, l’affirmation selon laquelle les collèges médicaux de l’OFII ne sont pas « composés de manière systématique d’au moins un psychiatre » est fausse : les collèges comportent actuellement au moins un psychiatre lorsque les troubles avancés sont du registre psychique à la suite du renfort de nouveaux psychiatres.
S’agissant des états de stress post-traumatiques (ESPT), troubles psychiques effectivement souvent rencontrés chez les personnes ayant subi des exactions physiques et/ou psychiques graves : ils sont classés parmi les troubles anxieux, et il s’avère qu’ils recoupent assez rarement les critères, exigés sur le plan légal, « susceptibles d’entraîner des circonstances d’une extrême gravité en cas d’interruption de la prise en charge ». Il aurait été utile que les auteures de la tribune en question, toutes deux cliniciennes, rappellent cet élément fondamental.
Comme il a été dit plus haut, le dispositif des titres de séjour pour soins en cours en France est particulièrement généreux. Il permet actuellement à plus de 32 000 étrangers de bénéficier d’un titre de séjour pour soins, un chiffre unique au monde. Continuer à faire vivre cette procédure contre ceux qui veulent la remettre en cause nécessite de combattre les fraudes qui en affaibliraient la crédibilité. Une crédibilité qui se trouverait également affaiblie par l’affirmation que la prise en charge des troubles psychiques dans certains pays d’origine des étrangers est inexistante ou forcément d’une qualité médiocre. C’est bien mal connaître les aménagements thérapeutiques opérés en la matière par différents réseaux de soins locaux, et faire preuve d’un ethnocentrisme que nous pensions relever d’un autre temps.
Collectif de psychiatres experts de l’OFII : docteur Patrick Bantman, docteur Mehdi Benazouz, docteur Marc-Antoine Crocq, docteur Elodie Millet, docteur Christian Netillard, docteur Alain Sebille, docteur Sylvie Zucca.

Film – « A Thousand Girls Like Me » de Sahra Mani

A Thousand Girls Like Me, affiche

Sahra Mani : “En Afghanistan, quand une femme est violée ou victime d’inceste, elle est considérée comme une coupable”
Propos recueillis par Emmanuelle Skyvington et Marie-Hélène Soenen – Interprète farsi-français : Asal Bagheri
Publié le 05/03/2019

L’Afghane Sahra Mani raconte dans son époustouflant documentaire “A thousand girls like me”, dans les salles le 6 mars, le combat de Khatera, victime d’inceste, pour la justice. Féministe et engagée, la jeune réalisatrice veut alerter le monde entier sur le sort des femmes de son pays. “Télérama” a pu s’entretenir avec elle en exclusivité.

Le documentaire A thousand girls like me, en salles le mercredi 6 mars, est un de ces films qui vous retournent. Et vous marquent durablement. Pendant trois ans, la réalisatrice afghane Sahra Mani a suivi le parcours de Khatera, une jeune femme violée par son père depuis l’âge de 10 ans, qui a fini par porter plainte contre lui et le faire emprisonner. Dans son minuscule appartement de Kaboul, elle élève tant bien que mal avec sa mère Zainab, sa première petite fille née de l’inceste. Quand Sahra Mani commence à filmer, Khatera est de nouveau enceinte de son père et forcée de garder l’enfant. Ce magnifique et vibrant documentaire rend compte du combat inédit d’une jeune femme afghane pour défendre ses droits. Une héroïne du XXIe siècle.
Télérama a rencontré la cinéaste Sahra Mani à Paris. Quelques compliments sur son travail suffisent à l’émouvoir.

« Je me suis tellement investie dans ce film »,

explique-t-elle de sa voix douce, en essuyant ses larmes. Née dans un Afghanistan à feu et à sang dans les années 80, Sahra Mani a grandi en Iran, où ses parents ont émigré pour fuir la guerre. Sa famille très conservatrice et pratiquante la destinait à un poste d’employée dans l’administration. Mais elle rêvait d’art. Ce n’est qu’en partant poursuivre ses études à Londres, à 22 ans, qu’elle envisage le cinéma.

« Une fois en Angleterre, il m’a fallu trois ans d’économies pour pouvoir acheter une caméra, mais aussi trois ans pour enlever le voile »,

nous dit-elle en riant. La voilà lancée ! A thousand girls like me, son premier long métrage documentaire, a tout d’un grand film. Cette percutante dénonciation de l’injustice faite aux femmes afghanes, qui lui vaut pressions et intimidations, fait aussi d’elle une héroïne.

A l’origine du film, il y a un moment de télévision inédit en Afghanistan : en 2014, Khatera, 23 ans, témoigne en tant que victime d’inceste sur une chaîne nationale. Du jamais vu.

J’étais à Kaboul devant ma télé et j’en suis sortie complètement estomaquée. Je me suis dit : il faut que je la rencontre.

Comment ont réagi les téléspectateurs afghans ?

Son histoire s’est vite retrouvée à la une des médias et des réseaux sociaux. J’ai été choquée de constater que les gens étaient tous contre elle et estimaient qu’elle et son père devaient tous deux être lapidés. Beaucoup pensaient qu’elle avait aguiché son père et que c’était donc de sa faute… D’autres la soupçonnaient carrément d’avoir tout inventé pour pouvoir quitter le pays…

Comment s’est passée votre rencontre ?

Je l’ai rencontrée une semaine après son passage à la télévision. Au départ je n’avais pas du tout l’intention de faire un film. Paradoxalement, c’est elle qui m’a proposé de raconter son histoire, et j’ai accepté. J’ai d’abord enregistré son récit avec un dictaphone. Ensuite, à chaque fois que je lui rendais visite dans sa minuscule chambre, j’amenais une caméra pour qu’elle s’habitue à ma présence et que l’objectif devienne une partie de mon corps. J’ai commencé à tourner au printemps 2014, alors qu’elle était enceinte d’un mois et demi [de son deuxième enfant, ndlr]. J’ai tout filmé toute seule la première année, pour créer un lien de confiance avec elle.

“J’étais dans le plus honteux des tribunaux du monde”

Vous avez pu filmer des séquences d’une intimité extrême, des échanges marquants entre mère et fille, l’échographie à l’hôpital, le retour de la maternité…

Oui, d’ailleurs, c’est moi que Khatera a appelée en pleine nuit quand elle a eu des contractions, parce qu’elle n’avait pas de personne de confiance pour l’accompagner à l’hôpital. Nous sommes ensuite rentrées ensemble chez elle, je l’ai laissée épuisée avec son bébé. J’ai ensuite couru à l’aéroport où je devais prendre un vol pour un festival à Berlin. L’avion montait dans le ciel et, en regardant les maisons de Kaboul devenir de petites boîtes d’allumettes, je n’ai pas pu retenir mes larmes. Je me disais que dans l’une d’elles j’avais laissé deux femmes et deux enfants, affamés et sans argent. J’ai pleuré jusqu’à mon arrivée où j’ai immédiatement appelé des féministes et activistes kabouliènes, pour qu’elles leur amènent de quoi manger. Ça a été l’un des moments les plus douloureux de ma vie. J’étais partie en Allemagne pour souffler aussi un peu car je recevais beaucoup de menaces à cause du tournage du film. Lors de la première convocation de Khatera au tribunal, le juge lui avait demandé « pourquoi elle ne s’était pas tuée avec ses enfants » (sic). En sortant de là, j’étais tellement hors de moi que j’avais écrit un article pour le journal iranien Ettelaat, titré : « J’étais dans le plus honteux des tribunaux du monde », pour dénoncer le fait qu’un juge, censé rendre justice, incite une femme à se suicider. Cet article a fait du bruit… et m’a causé beaucoup de tort.

“Quasiment tous les hommes en situation de pouvoir sont hostiles aux femmes.”

Khatera a subi des années de sévices, alerté les autorités religieuses et judiciaires : pourquoi personne ne lui est venu en aide ?

Le problème de l’Afghanistan n’est pas seulement la guerre et les attentats, c’est aussi l’état catastrophique du système juridique. Quasiment tous les hommes en situation de pouvoir sont hostiles aux femmes. Ils pensent vraiment que « la femme est le diable », et qu’il faut s’en protéger. Pour eux, le simple fait qu’une femme porte plainte contre son père ou sa famille est déjà considéré comme illégal. Même si ce n’est pas écrit noir sur blanc, ils considèrent cette démarche inadmissible. Dès le départ, Khatera est donc perçue comme quelqu’un qui a enfreint les lois. Comme par ailleurs elle était majeure lorsqu’elle a porté plainte, le tribunal s’est retranché derrière son âge pour expliquer qu’elle était consentante. Elle pouvait donc être accusée de « sexe illégal » pour avoir eu des relations avec son père. Sans compter qu’en Afghanistan les tests ADN restent exceptionnels, et ne viennent pas systématiquement prouver qu’un bébé est le fruit d’un inceste.

D’où Khatera tire-t-elle cette force et ce courage qui illuminent votre film ?

C’est une jeune femme charismatique et intelligente, patiente et courageuse. Elle est toujours contente, fait rire les gens et reste rayonnante malgré tout ce qui lui est arrivé. C’est une héroïne. J’ai beaucoup appris d’elle, notamment quand j’avais des problèmes pour terminer le film, je me disais souvent : « Tes soucis, comparés à ceux de Khatera, ce n’est rien du tout ! » Encore aujourd’hui Khatera m’inspire. Elle me donne de la force au quotidien.

Le père de Khatera est emprisonné depuis 2014. Où en est son dossier ?

Il a été condamné à mort et doit être pendu. Il attend l’exécution de la sentence en prison. Ne pensez pas qu’il a été condamné pour avoir violé sa fille : il a été jugé coupable parce qu’il l’a brutalisée jusqu’à ce qu’elle perde l’enfant avant terme, à plusieurs reprises [quatre fois, ndlr]. En Afghanistan, l’avortement est aussi grave qu’un meurtre. Il n’existe en revanche aucune loi contre l’inceste.

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