Rites mortuaires-rites de fécondité et marionnette – Colloque de « Marionnette et Thérapie », à Charleville Mézières – 17 septembre 2011

Rites mortuaires-rites de fécondité et marionnette, intervention dans le cadre du colloque de « Marionnette et Thérapie », à Charleville Mézières, le 17 septembre 2011

Je vais vous parler des mythes des origines qui nous rappellent les racines sacrées des marionnettes, ancrées dans la mémoire humaine.

LE RITUEL ET SON UTILITE POUR UN ATELIER THERAPEUTIQUE

L’idée de la mort et de « non être » nous est insupportable. C’est pour cela que l’homme met en place des rituels, afin d’accompagner l’âme du défunt. La communauté donne ses réponses au plus grand mystère, celui de la mort et de la vie. Le corps meurt et son double, son âme continue une autre vie. Qu’on ne voit pas. Qu’on ne connaît pas. La mort est « Adès » : celui qu’on ne voit pas. On peut imaginer que la mort est une porte qui en s’ouvrant, donne vue à un espace onirique, fantasmatique, imaginaire et créatif.

Mis en terre, brûlé ou livré aux vautours sacrés, le corps du défunt est l’objet de toutes les attentions, afin de mieux respecter l’âme. L’homme, très tôt, a des rites pour ses morts, il prend soin et les enterre. Avec le paléolithique, nous avons des rituels complexes, des ornements et une grande valorisation des défunts. Les rites de mort sont conçus comme un passage des expressions diverses et des croyances en une vie post-mortem. Le rituel est un moment théâtralisé et valorisé, avec une mise en scène de la situation, dans un lieu sacré et une conduite à tenir. Plusieurs objets sacrés et symboles sont utilisés dans une organisation qui permet d’établir un lien avec l’invisible et l’âme.

Le rituel signale et confirme devant la communauté un passage, un changement sur l’état du sujet. Il est lié à l’alternance de la mort et de la vie à travers les saisons, (hiver-printemps); son caractéristique est la répétition.

Dans une thérapie groupale, le sujet peut renaitre aussi, mettre de l’organisation dans le chaos, tenter de recréer une nouvelle identité de lui-même, en unissant ses morceaux dispersés. Au début, le sujet est dans un groupe qui le rassure, le soutient et le berce. Le rituel peut offrir à une personne fragile un réconfort qui se reconstitue dans un temps thérapeutique. Il protège de l’angoisse de la séparation et de la mort et il promet une renaissance. A mes yeux, la mise en place du rituel est une étape importante dans les ateliers, parce qu’il puise sa force de nos traditions familiales, de nos ancêtres et de notre histoire. Le rituel unit le groupe, il est plutôt du côté de la création et de la vie et non de la destruction et de la mort.

Marionnettes et masques, danse et musique sont ancrés dans les rites sacrés de la mort et de la vie. Dans un trajet initiatique aux labyrinthes, des épreuves préparés par les prêtres, le sujet, un vrai héros, arrive vers la lumière, vainqueur de la peur et peut laisser derrière lui les monstres de la nuit. Il a fait l’expérience symbolique de la mort et du recommencement. Voilà la force des telles médiations: nous faire plonger dans le chaos et recréer du nouveau tout en se purifiant. L’accès au monde de l’inconscient peut être dangereux, comme une descente dans l’autre monde ou l’entrée du labyrinthe. Suivons le fil d’Ariane pour en sortir.

LES MARIONNETTES DANS LES RITUELS TRES ANCIENS

Dès le XIXe siècle avant J.C., en Égypte, les prêtres animaient les statues sacrées à l’aide de cordes, dans les temples, lors de fêtes. La première marionnette trouvée est une Égyptienne, datée de l’époque du Nouvel Empire, (1.580-1.085 av J.C.). Elle représente un chacal-Anubis, le dieux des morts. On reconnaît à sa tête de chien noir le dieu de la mort Anubis, qui remonte probablement aux sources de la civilisation Égyptienne, puisque sa fête est mentionnée dès 3.000 av J.-C. Il est devenu patron des embaumeurs en inventant la momification. Anubis, maitre de la «thanato-praxie», il accompagnait le défunt, protégeait sa dépouille de la corruption et donc de la mort définitive.

Pendant les embaumements, le prêtre revêtait le masque d’Anubis et rejouait la scène mythologique de momification d’Osiris. Seth, jaloux de son frère Osiris, le tue et disperse ses morceaux à toute l’Égypte. Isis, femme et sœur d’Osiris, retrouve 13 morceaux de son corps sauf un, son organe sexuel, tombé dans la mer et dévoré par les poissons . Elle le reconstitue et lui redonne la vie.

Ces mystères ont une origine préhellénique, ils plongent leurs racines chthoniens, venus des Phéniciens, de Syrie, de Paléstine, d’Israël. Nous parlons des cultes très anciens de 5.000-6.000 av J.C. qui vient en Egypte du Sahara oriental.

En Égypte, le rituel théâtral a un contenu qui symbolise la création du monde. Il s’agit de la répétition d’un acte primordiale paradigmatique: la transformation du chaos en cosmos par l’acte divine de la création. Il projette l’homme à l’époque mythique du commencement. C’est une répétition et par conséquent une ré-actualisation de «ce temps-là». Tout rituel a un modèle divin et un archétype: C’est l’union avec dieu qui assure la fécondité terrestre et la renaissance.

Toute nouvelle année est une reprise du temps à son commencement, un passage du chaos à la cosmogonie, du morcellement à l’unité, de la mort à la vie.

Hérodote, le grand historien Grec relate la fête de Dionysos, qui est aussi Osiris en Égypte: des femmes y manipulent des immenses statuettes, dotées d’articulations qui permettent la manipulation du phallus. A Chypre, des telles statuettes ont été retrouvées, (elles se trouvent actuellement au temple de Saint Irène). Notons ici l’origine sacré de l’organe sexuel (Αιδειο), qui sacralisé et respecté, avait une valeur symbolique pour les initiés, (Αιδώς).

Tiressias le devin, déclare qu’il y a deux lois du commencement pour l’homme: la déesse Déméter, la terre, la nourriture et son égale Dionysos. Dionysos a amené aux hommes le jus de raisin apaisant les agonies, donnant le sommeil, l’oubli de maux de la vie quotidienne, le médicament pour les soucis. Le vin a une identité surnaturelle; il a plu une goutte du sang des dieux sur la terre, cela a donné une petite vigne. C’est le «sang de la terre». Au début le vin pure amène à la folie ou même à la mort. C’est une drogue qui amène son consommateur à l’animalité, mais il peut être aussi un remède.

Dionysos, enfant adultérin de Zeus, a subi le même sort tragique qu’Osiris. Héra, la femme légitime de Zeus, folle de jalousie, ordonne aux Titans, de l’anéantir. Par ruse, ils glissent entre les jouets de l’enfant un miroir, c’est de telle facon qu’ils le morcellent. Ensuite, ils bouillient ses morceaux et les mangent. Athéna sauve son coeur, le donne à Zeus qui le reconstitue en plâtre blanc et lui redonne la vie. Zeus frappe les Titans avec ses tonnerres et de leurs cendres il crée l’âme humaine. L’élément divin passe de Dionysos chez les Titans, puisqu’ils ont mangé sa chair et des Titans dans l’homme. D’où la nature divine de l’homme. Mais l’homme a une nature double, c’est également un pêcheur. On retrouve la « théo-phagie » dans l’eucharistie du corps du Christ. Dans ces rites on retrouve l’expérience de communier avec le divin.

Durant les fêtes dionysiaques, les bacchantes possédées par le dieu, dansent en manipulant des serpents, dans une sorte de folie valorisée par l’expérience religieuse. Le dieu rentre en elles par une possession provoquant une forme d’animalité chez les participantes. L’état de la manie, on le voit, peut être à la fois destructeur et créateur.

Le culte de Dionysos est attesté sur toute la Grèce et attire toutes les couches sociales. L’ivresse, l’érotisme, la fertilité universelle, l’inoubliable expérience provoquée par l’arrivée des morts, la mania, l’immersion dans l’inconscient animal, ou encore l’extase surgissent d’une même source: la présence du dieu, son apparition. C’est le dieu qui va et vient, qui monte et descend. Il fait la jonction entre les deux mondes, le monde des vivants et des morts. Il est présent et soudain il disparaît, cela reflète l’apparition de la vie et de la mort, de leur alternance et de leur unité.

Dans ce culte il s’agit d’une tentative de libérer la vie de l’instinct présent chez l’homme en l’éloignant des conventions et des habitudes sociales.

Dionysos est le dieu nourricier qui vit dans une atmosphère d’insouciance et d’absence de travail. Il est le dieu de la bonne humeur, la joie de vivre. Mais dieu mortel, persécuté,assassiné par les Titans, il est aussi l’étranger à la cité. Son culte dérange les valeurs de l’époque. Ses extases signifient la liberté et la spontanéité transgressant les interdits classiques de la société et de la morale, ce qui explique en partie l’adhésion massive des femmes à son culte.

Car Dionysos est le dieux des femmes. Les «bacchantes» entendent la flûte et sa musique brutale et quittent leur maison et leur cadre sociale. Il leur donne la liberté de s’identifier à l’instinct animal, hors du modèle masculin. Elles se libèrent ainsi de la réalité contraignante et cherchent à devenir protagonistes de leur propre vie.

Dionysos permet le passage du rituel à l’art. Il est protecteur des jeux dramatiques. C’est un de trois dieux masqués. Le dévoilement du masque de Dionysos rendait fou celui qui le regardait. Dionysos l’étranger, porte le masque qui cache l’identité de l’autre, l’altérité qui caractérise l’homme. Avec Dionysos nous rencontrons l’intrusion soudaine de ce qui nous dépasse, au delà de l’existence quotidienne, du cours normal des choses, de nous mêmes: le déguisement, l’ivresse, la transe, le délire extatique à travers le jeu, le théâtre, le masque et la marionnette. Dionysos apprend à faire l’expérience d’une évasion vers une déroutante étrangeté. C’est le dieu qui donne la manie, la possession par l’autre, mais aussi celui qui apporte la guérison, la purification à travers l’extase.

En étudiant Dionysos nous comprenons mieux la nature rebelle et étrange des marionnettes (Vidouchaka en Inde, Polichinelle en Italie, Punch en Angleterre, Karagiozis, figure d’ombre en Grèce et en Turquie, Guignol en France). Les marionnettes se situent en dehors de la loi humaine ordinaire, bravant même celle de la mort. Libres de leurs mouvements, elles ont leur propre centre de gravité. Contre les conventions, elles ont un esprit libre, critique et «anarchique». Ce sont des résistantes, celles qui remettent en question, celles qui peuvent purifier, justement grâce à cette nature. Elles permettent la présence de l’autre en soi, ce qui nous intéresse dans un travail sur le double.

Hétéron: le différent.

On verra alors comment le monde de Dionysos se distancie du monde Apollonien: le barbare s’oppose au classique; le spontané au réflechi; l’inconscient au conscient; l’inconscient groupale à la conscience individuelle. L’élément Apollonien, est un symbole solaire de l’harmonie et de l’équilibre et sa lumière couvre les forces obscures de la vie. On trouve Apollon avec son art c’est lui qui amène la sagesse, la culture. Pourtant les deux éléments, le dionysiaque et l’Apollonien ne font qu’une seule unité organique, celle des opposés. Leur opposition n’amène pas à la division, mais à la naissance de la tragédie, avec la rencontre des deux éléments, du dionysiaque avec l’inspiration, l’ivresse de la musique et de la danse et l’Apollonien avec la sculpture, les formes géométriques, la loi.

Le monde de Dionysos est un monde d’une existence massive et groupale, le monde d’Apollon est celui de l’existence individuelle et personnelle, de la naissance du sujet.

Il nous faut tous les deux éléments dans un atelier thérapeutique, la liberté d’être «autre» et un cadre structuré, sécurisant. Pouvoir exprimer ses deux natures afin d’arriver à l’unité, celle des contraires. Cela me fait penser à la marionnette, figure dionysiaque et au castelet, structure et cadre pour qu’elle puisse s’exprimer à toute liberté.

Quelques mots maintenant sur une autre dualité, pour mieux comprendre cette dualité des opposés, celle d’Eros et de Thanatos : Eros symbolise l’instinct de la auto-conservation qui nous lie avec l’union, la civilisation. En opposition, la Mort propose le morcellement et la destruction, le chaos. Il s’agit d’un retour dans une situation inorganique, au point zéro des tensions, dans le lieu appelé Nirvana, qui est en fait le siège de la pulsion de mort. Dans l’instinct de mort l’auto-agressivité prédomine sur l’agressivité, force de vie et liée à la vie. Tous les psychopathologies ont à avoir avec l’instinct de mort. (Dépression, agonie, psychose, toxicomanies, perturbations narcissiques). Dans les ateliers thérapeutiques, l’objectif soignant la transformation du chaos en formes reconnaissables, dans un cadre qui donne du sens. Le but n’est pas d’annuler l’agressivité et déclarer indésirable l’instinct de mort mais d’amener l’énergie psychique à être créative et se mettre au service des facteurs créatifs humanisants. L’âme humaine ou encore l’humanité peut se voir à travers l’art et l’initiation.

DEMETER, UNE DRAMATOURGIE DIVINE

Les mystères d’Eleusis, sont consacrés à Déméter, la déesse de la mère terre et de l’agriculture. Adès, dieu des enfers enlève sa fille Pérséphone, pour en faire sa femme. Alors Déméter dessèche la terre, le monde souffre de la famine, elle ne fait que chercher sa fille partout et refuge de travailler. Toutes les plantes meurent. Déguisée en mendiante elle arrive à Eleusis où elle est accueillie. Elle dévoile sa vraie identité et elle initie 4 personnes aux mystères de son culte et à la maitrise de l’agriculture. Tous ses initiés gardaient le secret de la religion et croyaient fermement que grâce à leur initiation ils connaîtraient la vie éternelle. Les rituels d’Eleusis sont interpréter comme une figure du changement des saisons. Le mythe de «koré», la jeune fille, traduit le rythme des saisons, l’attente du printemps et le désir d’une terre féconde.

L’initiation aux petits mystères: les prêtres rejouaient le mythe de Pérséphone.

Initiation aux «Grands mystères»: Les cérémonies de l’initiation se déroulaient en 3 temps:

  • paroles et enseignements secrets,
  • processions et jeux dramatiques,
  • et présentation d’objets sacrés devant un public

Les initiés devaient passer la nuit de l’initiation en affrontant de terribles épreuves. Ils étaient vêtus de peau de faon et devaient déambuler, dans de dédales, dans l’obscurité la plus totale, à l’écoute des gémissements angoissants. Dans les labyrinthes avaient des visions apocalyptiques, des artifices étaient mises en place par les prêtres. Un prêtre mettait en suite en action une fumigation, qui avait pour effet de faire apparaître des formes fantasmagoriques, mi hommes, mi démons. Ils arrivaient à télésterion où 3.000 personnes pouvaient prendre place. Ils découvraient assis sur son trône Adès, le dieux des enfers et Pérséphone.

Mourir c’est renaitre. Les mystères figurent le passage de la vie à la mort. Ils ont une signification humaine car on y trouve une figuration du mariage, de la mort, de la colère et la réconciliation. Dans ces rituels des spectacles sont montrées, les histoires sont mises en actes, et s’offrent à voir dans une étonnante alternance entre ombre et lumière.

Orphée, le poète, l’aède, amène avec lui l’espoir de l’immortalité et l’harmonie de la musique avec sa lyre. Pour lui, dieu nous habite et c’est notre devoir de le libérer des chaines des Titans. Orphée descend chercher Euridice, mais il échoue pour toujours à la ramener à la lumière. Ses initiés exerçaient la mantique, -pratique dévinatoire- parce qu’ils communiquaient avec les âmes des morts et la thérapie par la lumière.

Zeus le punit parce qu’il dévoile les secrets des morts aux vivants. On trouve ici une similitude avec le mythe de Nigeria, à propos de quelqu’un qui retourne dans le monde des humaints et qui brise le secret des morts, en initiant les vivants à l’art de la marionnette. Cela nous rappelle aussi Karagiozis, ancêtre du théâtre d’ombre. Le mythe des origines des ombres grecques nous rappelle les racines sacrées des marionnettes.

La marionnette en elle a l’inscription de ce corps morcelé, relié et animé par la force du marionnettiste et la mémoire de son origine.

A la Grèce antique, chez Platon, la marionnette s’appelle «miracle». On mesure la force et la faiblesse. Dans la caverne de Platon nous assistons à une situation étrange: Des hommes emprisonnés, enchainés, regardent un spectacle, des ombres qui défilent. Drôle de situation, tourner le dos au spectacle pour ne pas voir que les ombres des poupées, qui transportent des animaux en bois ou en pierre, des statues et d’autres objets. Les prisonniers semblent eux mêmes des marionnettes, qu’un invisible marionnettiste peut mettre en mouvement. Enchainés, ils regardent un théâtre d’ombre qui se déroule en répétition. Les hommes-marionnettes se souviennent de toutes les scènes, en effet, avec la répétition on apprend, on fait travailler sa mémoire sur le même enchainement. Mais la répétition est stérile si c’est pour faire les mêmes mouvements, créer les mêmes objets, remplir le temps avec des moments prévisibles.

Il y a sortie de la caverne? Et si quelqu’un s’échappe et sort à la lumière en rencontrant «l’autre monde», le soleil et le ciel bleu, va-il revenir à la caverne? S’il revient et devient marionnettiste, est ce qu’il va montrer le même spectacle qu’avant, ou la mémoire de la lumière pourra-t-elle effacer la souvenir de la répétition des apparences?

Le miracle se trouve ailleurs: c’est la liberté de l’homme (le joueur, le spectateur, l’homme-marionnette), quand il sort de sa prison. Platon accuse le corps qui est la prison de l’âme. La marionnette nous fait sortir de la prison du corps qui dans certaines conditions peut nous enchainer, en nous faisant emprisonnés sans espoir d’évasion.

Le souvenir est une version de la mémoire qui accepte le trauma qui avec ses blessures nous fait différents. Là où le souvenir laisse ses traces, la continuité du même, l’espace habituel, le temps compté et calculé se fissurent. De cette fissure « l’autre » nous envahit: la marionnette incarne ce miracle de se souvenir. Cet art du «couvrir-découvrir», voiler-dévoiler, le montrer-cacher de la marionnette a une très grande force spirituelle et il est en lien étroit avec le sacré.

BIBLIOGRAPHIE

1. « Ο Διονυσος κάτω απο τ’αστέρια », traduction Κωστας Κουρεμένος, εκδόσεις Αλεξάνδρεια, 1993, traduction « Dionysos sous les étoiles » de Marcel Detienne

2. « Ο Νάρκισσος στα ίχνη της εικόνας και του μύθου », της Πέπης Ρηγοπούλου εκδόσεις Πλέθρον, 2002

3. « Le mythe de l’éternel retour, Archetypes et Répétitions » de Mircea Eliade, Gallimard, 1969″Ερωτ

4. « Ερωτας και θάνατος στη δραματοθεραπεία », « Amour et Mort en dramatothérapie », Article de Dimitra Stavrou, (Διάλεξη στο 2ο Πανελλήνιο Συνέδριο Δραματοθεραπείας και Παιγνιοθεραπείας, Αθήνα: Χαροκόπειο Πανεπιστήμιο 26-28 Νοεμβρίου 2010)

Les rôles parentaux dans les « aventures de Pinocchio » de Colodi

Conte merveilleux et conte fantastique :

«  Les aventures de Pinocchio » est un conte des fées, un conte merveilleux.

Il se place d’emblée ouvertement sur le terrain animisme, de la toute puissance des pensées et des désirs de l’homme. La pensée de l’enfant est animiste. L’enfant projette une âme aux objets.

Dans le conte une bûche ordinaire a une âme. Le conte merveilleux abandonne le terrain de la réalité, il épargne à ces auditeurs, à débattre les limites entre imagination et réalité. On a l’impression d’une «inquiétante étrangeté», puisque l’objet a une âme. Pour que naisse le sentiment de l’inquiétante étrangeté il est nécessaire qu’il y a débat, afin de juger si l’incroyable ne pouvait pas malgré tout, être réel. Ce sentiment surgit chaque fois ou les limites entre imagination et réalité s’effacent, ou quand ce que nous avions tenu pour fantastique s’offre à nous comme réel. Imaginez un homme assis sous un arbre, il sent soudan que le tronc commence à bouger avant de se transformer en immense serpent, en boas.

Le conte s’analyse comme un rêve. Qui rêve? Le rêveur commun, anonyme, qui rêve chez le conteur et chez l’auditeur. Freud dit que les contes sont des fantasmes des nations entières.

Le conte pose des questions sur la naissance, sur l’origine de la sexualité, sur la vie et la mort, sur la découverte de la différence des sexes et des générations, sur la relation entre le désir et son accomplissement. Il pose la question du temps, le passage de l‘enfance à l’âge adulte, la menace de la maladie et de la mort.

La psychanalyse des contes de fées, selon Bettelheim, est simple: il commence par la résistance aux parents et la peur de grandir et finit quand le jeune s’est vraiment trouvé, quand il atteint l’indépendance psychologique et la maturité morale. Le conte n’a pour fonction que de propulser l’enfant vers un état d‘adulte et la maturité et lui interdit des joies considérées en général comme naïves et naturelles. Le conte représente un processus de passage, de transformation et de métamorphose et concerne sa fonction dans le processus psychique lui-même. Il représente un passage pédagogique ou un processus de transformation sociale et culturelle.

La toute puissance du créateur

L‘idée de la toute puissance, la pensée magique c’est un fantasme très archaïque de l’homme qui pose la question du pouvoir et de la manipulation.

Winnikote nomme le sentiment d’omnipotence du bébé de créer l’objet le moment voulu. Il s’agit de l’«illusion anticipatrice», le bébé croit qui crée l’objet, c’est-à-dire le lait, quand il a faim. C’est bien évidement une illusion et la désillusion va suivre.

L’art d’aujourd’hui semple à nous dire: «désirez! Nous ferons le reste»

La technique contemporaine est mise en service de l’imaginaire humain. L’homme a l’impression qui maîtrise sa vie, qui contrôle ses créations avec l’évolution des sciences et des techniques (procréation génétique, pilule, clonage,….)

L‘ œuvre est l’objet de l’imagination du créateur, de ses fantasmes qui sont liés à ses désirs infantiles, à ses désirs insatisfaits, à son narcissisme. L’œuvre est une projection des désirs et des angoisses du créateur. Le rêve de l’homme est de créer un être artificiel, parfait, comme il l’imagine, à l’image de dieu–père (dimiourgos: créateur).

Pinocchio est en bois, son père est trop pauvre pour le nourrir et normalement il n’a pas à le faire. Mais quelle surprise, Pinocchio a un excellent appétit. Les enfants de la société qui reflète le conte, sont obligés de travailler pour survivre. Pinocchio aussi est conçu pour travailler et pour faire vivre son vieux père.

«….un pantin merveilleux qui saurait danser, tirer des armes et faire des sauts périlleux…..Avec mon pantin je vais faire le tour du monde pour gagner mon pain et un verre de vin».

Il y a un renversement des rôles, l’enfant prend en charge ses parents quand ces derniers vont devenir impuissants, ou vieux. On observe ce phénomène surtout aux cultures méditerranéennes. Les parents se sacrifient pour leurs enfants, pour leur éducation et les enfants à leur tour, doivent se sacrifier pour leurs parents. Le devoir des enfants est de satisfaire les parents et d’être source d’un inépuisable bonheur.

Dans le film de Commencini, la fée bleue dit à Pinocchio:«j’espère que tu fera le bonheur de ton père; il a tant désiré un enfant.»

Dans le film «intelligence artificielle» David est une création immortelle, répondant au désir humain de vaincre la mort, l’espoir d’éternité. Il est conçu pour pouvoir aimer et se faire aimer. Le désir de l’homme est de reconstituer le corps humain après la mort, puisque l’esprit est immortel.

En même temps, la peur, de la mort et des pulsions destructrices, est projetée dans l’œuvre. L’homme meurt, mais les robots, les créatures de son esprit survivent.

Créer pour être immortel, laisser des traces malgré son destin qui est la mort, vivre dans la mémoire des survivants. S’inscrire dans la procréation, la filiation. Et bien sûr, avant l’enfant réel existe l’enfant imaginaire. L’enfant est un objet, censé de répondre à tous nos manques. Cet enfant devra être celui de la réussite sociale, parentale. Mais l’enfant est familier et en même temps étranger. Il vient de nous et d’ailleurs. C’est dans cet écart entre l’enfant imaginaire et réel que l’enfant va se constituer.

L’homme a le fantasme d’enfanter; créateur comme le Dieu–père.

Au début du récit la question de la paternité qui est ambivalente, se pose.

A l’époque, un homme ne pouvait pas être sûr et certain qui est le père de l’enfant. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Maître Antoine que «tout le monde appelle le Père», on se demande pourquoi, vit dans une solitude absolue «…..il n‘ y a pas d‘ âme qui vive ici.»

La Cerise ne peut pas créer Pinocchio pour une simple raison: il ne reconnaît pas son âme, son existence. Il ne va pas prendre la responsabilité envers cette âme parce que il ne croit pas. Il préfère de croire qui est fou, qui entend des voix, bref, qu’il a des hallucinations. Le résultat est la peur de la paternité et sa fuite. Il se débarrasse de la bûche et pas sans dégâts puisqu’il se bagarre à cause de la bûche qui cherche un père. Il se dispute à cause de cette paternité ambivalente.

Il me paraît intéressante cette dichotomie: d’un côté l’artisan qui fabrique sans distribuer l’âme à ses objets. Il ne la voit pas, même si les objets lui parlent, lui ne veut pas entendre. L’homme a du mal à accepter l’âme de la matière, je dirai plutôt qu’il lui projette une. Il croit que la mort vient séparer le corps de l’âme et que cette dernière demeure libre. Mais la bûche est un morceau d’un tronc d’arbre; cet arbre est vivant, interactif à son environnement, sensible aux changements des saisons et du temps qui inscrit à son tronc les années qui passent. Qui pourrait dire que le végétal et l’animal n’ont pas une âme? Car l’arbre est privé de la parole humaine et les animaux aussi.

Dans le film de Commencini, maître Antoine, au début, a un sentiment de curiosité envers la créature de Gepetto, ensuite il a honte des gens qui vont croire que Pinocchio est son fils. Il a peur de l’avis des autres, parce que Pinocchio, il faut dire qu’il est différent des autres enfants.

Gepetto pose la question dans son désir de création. Lorsque on est créateur, est– on pour autant père? Comment devenir un père en étant que créateur?

Je dirais que personne ne naît parent, certains le deviennent, certains ne le peuvent.

Quand naît un parent, c’est toujours dans la douleur, les questions, qui suis–je, dans quel but je suis ici, je serai un bon père ou une bonne mère?

Le rôle primordial du père dans la famille est d‘ inscrire l’enfant dans la généalogie, de lui donner un nom et une place dans la filiation. Gepetto répond à ce besoin. Dès le début de la fabrication, il nomme son fils et lui donne un nom qui est censé de porter bonheur.

Il s’agit du nom d’une famille toute entière, Pinocchio appartient à cette famille. On retrouve la coutume des sociétés ou l’enfant prend le nom des parents, ou des grands–parents, dans une répétition des noms. Je vais revenir plus tard à la signification du nom de Pinocchio.

J’aimerais rester encore un peu à la fabrication de la marionnette. L’écrivain décrit avec précision le schéma corporel. Quand Gepetto fabrique les yeux de Pinocchio, ce dernier manifeste une âme. On dit que les yeux reflètent l’âme humaine et on fait très attention au regard d’une marionnette, quand on la fabrique. Et ça parce que son regard est très important pour sa vie et son expression. Les yeux du pantin fixent Gepetto qui se sent mal à l’aise sous ce regard intrusif.

Après, il fait le nez qui s’allonge tout seul, (symbole phallique), malgré son intention.

La matière prend le dessous, chose courante dans la création d’une œuvre plastique; comme si la matière gardait une autonomie. Comme si la matière inclue l’œuvre et l’artiste venait seulement pour la découvrir et la libérer.

Après elle vient la fabrication de la bouche; il s’agit du stade oral qui se situe autours de la nourriture et bien évidement la parole. De la bouche de Pinocchio sort une grande langue. Il se moque de son créateur, il manque du respect à son père.

Gepetto a conscience de toutes les parties corporelles de sa marionnette, mais il oublie les oreilles. Acte manqué et Pinocchio n’«écoute» pas. Il ne fait qu’à sa tête. Son créateur demeure triste car sa créature lui échappe: elle est autonome et imprévisible. Pinocchio veut jouer et donne un coup de pied à son créateur. Il va être puni plus tard, ses jambes vont cramer.

Afin de voir l’analogie avec l’enfant contemporain et montrer son esprit manipulateur, je vais citer Freud qui a écrit que l’enfant est un «pervers polymorphe». Jusqu’à l’âge de 6 ans l’enfant utilise l’autre comme un objet pour satisfaire ses désirs. Après la

6ème année, il rentre en phase de latence, phase de refoulement des pulsions et du développement des sublimations, apprentissage, art, jusqu’à la puberté.

Je reviens maintenant au choix du nom de Pinocchio qui associe l’œil–l’occhio – et le pin. C’est un nom qui évoque un regard inquiet, à la fois attentif et naïf, qui s’oriente dans toutes les directions. Pinocchio a du mal à s’orienter. Ce qui lui manque c’est la métaphore paternelle, celle qui vient orienter le désir, le cadrer, symboliser et aussi permettre une médiation. D’être aussi désorienté, le conduit au passage à l’acte. Son 1er acte est une fugue. Il est un fugueur et un menteur. Il a des symptômes de refus scolaire, refus devant le savoir, refus devant l’autorité paternelle. Il a des angoisses qui se traduisent par des maux de ventre.

L’histoire évoque des cas qu’on retrouve en clinique infantile. Quelque chose ne s’est pas encore structurée.

Lorsque Pinocchio s’en va la 1ère fois de la maison de son père, c’est un Pinocchio désorienté, livré aux pulsions, il est violant. Ce fameux grillon, Pinocchio le frappe, il le fait taire et le laisse pour mort. Le discours du grillon est moralisant, (symbolise le sur–moi) et énerve Pinocchio. Lui, il n’a pas envie d’étudier.

«…..je préfère courir auprès les papillons et grimper aux arbres pour attraper les oiseaux dans leurs nids……». Peut–être pour attraper l’oiseau qui lui échappe de l’œuf, quand il veut le manger.

«…..mon métier à moi, c’est celui de manger, de boire, de dormir, de m’amuser et de vivre comme un vagabond du matin au soir…….»

Freud a décrit ce comportement enfantin qui consiste à écraser des petites bêtes et l’a appelé «pulsion d ‘ emprise». Il s’agit d’une pulsion dont le but est de dominer l’objet par la force. Cette pulsion n’a pas originellement pour but la souffrance d’autrui, mais simplement n’en tiendrait pas compte. Pulsion de mort, pulsion sadique, qui se manifeste avec la destruction de l‘objet.

Pinocchio dit en permanence ce qu’ils disent beaucoup des enfants en période de latence «je n’ai pas pu résister, les autres m’ont entraîné».

Dans ces péripéties, Pinocchio est attiré par ce qu’ils font les autres; quand il va au théâtre des marionnettes au lieu d’y aller à l’école, il fait comme ces marionnettes auxquelles il s’identifie: il ne peut résister au fait de devenir une marionnette comme les autres. Il a envie de coller au désir de l’autre. Et comment pourrait de se convaincre qu’il doit agir correctement, alors qu’il est si fortement tenté de céder aux tendances asociales de ses désirs. Pinocchio est gouverné par les forces du ça, basé sur le plaisir et il est asocial et irrationnel.

Le gendarme qui attrape Pinocchio par son long nez, symbolise la loi, c’est une figure paternelle avec une fonction paternelle Cela nous rappelle le dicton Grec: on attrape par le nez l’oiseau qui est intelligent.

Nous trouvons dans le texte une série de punitions reflétant la mode de l’éducation de l‘époque: «…….attraper par le nez, tirer les oreilles,…».

Le père ou le maître tient des attitudes comme: «…..capable de le battre,…..véritable bourreau,….il va le mettre en pièces».

L’histoire de Pinocchio est une histoire avec une structure familiale dramatique. L’abandon, le désespoir, la mort sont des moments forts en émotion. C’est l’histoire de la quête du père.

Dans l’intelligence artificielle David cherche la mère et l’amour maternel. Peur d’une mauvaise mère qui va abandonner son fils dans la forêt, mais elle va lui laisser Tendy le nounours, un objet transitionnel auprès Winnikot, objet qui va aider l’enfant à supporter la séparation avec sa mère.

Pinocchio va devenir un vrai petit garçon mais cela ne peut se produire qu’après qu’il aura retrouvé son père et le sauver. Les retrouvailles avec son père se passent dans le ventre du requin. L‘image du requin renvoie à des fantasmes de dévoration, attachée à l’image de la mère toute–puissante. La mère est symbolisée par le requin. Elle a avalé le père et le fils. Dans le ventre du requin, Pinocchio retrouve son père marqué par la castration. Gepetto pense qu’il va mourir, il ne désire plus rien, chose qui va produire une transformation chez Pinocchio. Le fils devient actif et prend en charge son père, il va le sauver. C’est Pinocchio qui désire à la place de son père.

Il y a un déplacement. Gepetto qui était sculpteur se remet à sculpter.

Pinocchio dort et fait un rêve.

David va aller aussi aux sources des rêves, pour la première fois, un robot va rêver. C’est pour ça qu’ils sont uniques, différents. Dans son rêve, Pinocchio voit la fée qui lui donne un baiser, sa récompense, et comme dans un miracle la métamorphose va se produire. Il se réveille et tout étonné, il se retrouve enfin petit garçon. Sa 1ère démarche est d’aller se regarder dans la glace:«….Ensuite en allant se regarder dans la glace, il crut qu’il était un autre…» C’est le 2ème temps du stade de miroir. Il croit qu’il est un autre et c’est cette altérité qui lui donne son identité. Il y a une aliénation structurante qui se met en place. «….Il n’avait plus devant lui l’image familière de la marionnette de bois, mais celle vivante et subtile d’un bel enfant……».

Donc, c’est une image idéale qui correspond à la mise en place d’un moi–idéal, un

Idéal de toute puissance, un narcissique forgé sur le modèle du narcissisme infantile, identification à la mère investie de la toute puissance.

Le stade du miroir correspond à une unification imaginaire, une unité corporelle.

Pinocchio demanda à son père: «Et le vieux Pinocchio de bois où peut–il bien être?»

Gepetto lui montre un pantin inanimé (situation des marionnettes quand on ne les manipule plus, elles sont sans âme, mortes). Pinocchio en se retournant, le regarda un peu, puis il dit avec une immense satisfaction: «…..Comme j’étais ridicule lorsque j’étais pantin». Il y a ici une chute d’une image dévalorisée, désinvestie. On voit l’effet d’un refoulement.

Rôle maternel

Les Fées:

On les appelle aussi les bonnes marraines, les dames blanches, les Bienveillantes, les Bonnes et Franches Pucelles, les Fileuses de destin, (appelées Moïres dans la mythologie Grecque).

Les fées ne grandissent jamais, ne vieillissent jamais, mais elles ne sont pas immortelles. Certaines sont de taille et d’apparence humaines. D’autres ont la taille, le corps et le visage d’un enfant entre 6 et 10 ans.

Dans le conte de Pinocchio la fée apparaît comme un enfant et comme une femme.

Dans «l’intelligence artificielle» la fée est une créature virtuelle, une image virtuelle, une statue qui va se casser en milles morceaux, quand David la prend dans ses bras. Dans une société évoluée, (technologie de pointe), la fée est une projection du désir.

La fée est aimable, désirable, belle, c’est l’idéal féminin, symbole de l’anima dans la psychologie des profondeurs de Yung. Elle incarne tout à la fois la vierge, la sœur et la mère.

Elle fait figure de l’ange gardien. En général, elles sont amorales, mais pas chez Colodi.

La fée est souvent le deus ex machina, la bienveillante. Les fées veillent sur les foyers et les naissances d’êtres humains, mais également sur leurs décès. Elles sont aux sources de la vie et de la mort et aident les mortels à passer d’une dimension à l’autre.

Les fées Blanches (il y a aussi les fées de la nuit) sont des divinités du passage du chaos à l’ordre, du non être à l’être. Elles incarnent la part féminine du Dieu– créateur–Gaia (la terre) par rapport à Ouranos (le ciel). A mi–chemin entre la terre et le ciel, elles interviennent en faveur des hommes. Elles s’amusent à remettre dans le droit chemin les voyageurs perdus. Elles ont des pouvoirs magiques.

La fée est un symbole de notre évolution, de notre réalisation personnelle, de notre vœu. Elle est agissante et efficace.

La Fée bleue est la mère spirituelle de Pinocchio. Elle l’aide à devenir lui–même.

La quête du père, dans les aventures de Pinocchio ne peut se faire sans l’intervention d’une autre dimension maternelle, d’un autre pôle de la structure familiale (père–mère–enfant). Cet autre pôle c’est la fée bleue qui est un élément décisif et qui va aider Pinocchio à se transformer à un petit garçon, fils de son père.

Dans le film «intelligence artificielle» la fée bleue pourra faire David un vrai petit garçon puisque le méca va faire la fée bleue une vraie femme. L’homme reconnaît en lui un côté mécanique, programmé, qui se répète, (il crée une machine de sexe qui va combler la femme, l’aider à s’épanouir, la rendre heureuse et capable d’assumer son rôle).

Pinocchio a besoin de trouver et de réaliser une mère, car cette dernière n‘apparaît pas dans le discours du père.

Lacan disait que cette réalisation de la mère se fait par phases: d’abord la mère est présente–absente. Ensuite elle est réalisée comme « toute–puissante» Enfin elle est la mère désirante. Quelque chose se déplace, se construit avec la médiation du père. L‘enfant aura à construire le désir de la mère, ici symbolisée par la fée bleue.

Le désir de la fée qui va porter Pinocchio, apparaît à l’occasion d’un épisode ou P. manque de mourir: « …..Ces balancements lui causaient des douleurs atroces et le nœud coulant se resserrant sur sa gorge, lui coupait de plus en plus la respiration. Alors ses yeux se voilèrent peu à peu et il sentit que sa mort était proche; mais il espérait encore qu’une âme charitable arrivera d’un moment à l’autre pour lui porter secours…»

«Oh papa si tu étais ici!» L’appel du père, mais qui répond? Ce n’est pas le père, c’est en effet la fée bleue qui apparaît à ce moment là, sous les traits d’un bel enfant aux cheveux bleus qui fort émue de voir ce malheureux enfant en si mauvaise posture, le sauve de la pendaison. Le désir de la fée bleue se manifeste d ‘abord à l’égard de Pinocchio par une compassion. Elle est inquiète pour lui et déploie tous ses moyens pour le sauver de la mort. Elle va avoir envie de le transformer en un vrai petit garçon. Pinocchio va prendre de plus en plus de l’importance aux yeux de la fée. Lui aussi a envie de répondre au vœu de sa mère de substitution. Mais il est toujours empêché.

Les enfants ont besoin d’être portés par l’imaginaire et la parole de l’autre. Selon Lacan: «l’homme n’a pas de réel à son désir; ce désir est d’ailleurs le désir d’un autre», ou «le désir du sujet est d’être objet du désir de l’autre».

La fée bleue lit dans la pensée de Pinocchio. Elle symbolise la mère toute puissante. Pinocchio craindra ce que cette puissance pourra penser de ses actes. Il va avoir des attitudes de réparation auprès d’elle: «on va voir si tu es assez bonne, si tu vas me pardonner».

La réparation est un mécanisme décrit par Mélanie Klein. Il s’agit de réparation des effets sur l’objet d’amour de ses fantasmes destructeurs et de son sadisme.

A la fin de l’histoire, quand Pinocchio. va devenir un vrai petit garçon, la fée aura perdu son caractère tout–puissant.

Dans le film «intelligence artificielle» la toute–puissance de la fée souvent se met en question. La fée est impuissante devant la mort.

Pinocchio de son côté vois sa tombe. L’esprit évolué va utiliser toutes les connaissances de l’histoire de l’espèce humaine, pour reconstituer ce monde de rêve, pour animer et faire vivre l’imaginaire de l’homme. Cet esprit évolué va venir après la disparition de l’homme qui lui est incapable de dépasser ses pulsions de mort et de survivre.

Les chercheurs ont trouvé, en Pinocchio, de nombreuses sources, de nombreux exemples représentatifs des différents aspects de l’histoire du XIX ème siècle, des dizaines de sens psychologiques ou psychanalytiques, et bien entendu, de nombreuses stratifications de symboles et d’histoires séparées entre elles, ou pouvant s’amalgamer en une unité divine. Il est juste que chacun voit ou apprécie un livre selon son propre miroir de connaissances, de sensibilité, de capacité à en tirer profit et de résonance mnémonique.

Pinocchio est le livre de la solitude dans l’absolu. Le pantin, qui est et restera toujours un enfant dans toutes ses aventures et toutes ses pensées, est presque toujours seul. A côté de la solitude, qui est la condition des personnes les plus sensibles, il faut placer la peur continuelle, dont il est la proie, sauf quand intervient en lui l’éloignement du monde, grâce au recours à un simple jeu. La solitude de Pinocchio est aérienne, légère, mais pleine d’incertitude de la vie, bref pleine du bouleversement et de sublimation de l’habituelle «dimension de la solitude» qui se reforme continuellement en nous. Cette idée pourrait être admise comme interprétation fondamentale des voyages de Pinocchio, qu’on pourrait comparer à un épi de maïs aux innombrables grains. Et chaque grain, chaque aventure, peut présenter pour le lecteur des semences diverses de plaisir et d’interprétation.

Ecrit par Eleni Papagéorgiou dans le cadre du séminaire : « La marionnette : un autre acteur, un autre corps, pour un autre théâtre », Maitrise de l’Institut d’études théâtrales de Paris III, 2003.

Bibliographie

  1. «Psychanalyse des contes de fées» de Bruno Bettelheim, édition: Robert Laffont, 1976.
  2. «Fées et elfes», d’Edouard Brasey, édition Pygmalion, 1999.
  3. «Le bébé imaginaire» de Patrick Ben Soussan, édition:Erès, 1999.
  4. «Pinocchio en mal de mère. Construction du désir de la mère et métaphore paternelle» de Pascal Le Maléfan, article dans une revue, (page 65), intitulé: «La marionnette et les âges de la vie», compte rendu du VIII ème colloque international, Paris 1998, dans le XIème festival mondial des théâtres de marionnette, organisé par «marionnette et thérapie».
  5. «Contes et divans» de René Kaës et coll., édition: Dunod, 1966, Paris.
  6. «Les aventures de Pinocchio; Histoire d’un pantin» de Collodi, écrit le 1881-1883, éditions: mille et une nuits, 1997.

Intelligence artificielle de Steven Spielberg