Les rôles parentaux dans les « aventures de Pinocchio » de Colodi

Conte merveilleux et conte fantastique :

«  Les aventures de Pinocchio » est un conte des fées, un conte merveilleux.

Il se place d’emblée ouvertement sur le terrain animisme, de la toute puissance des pensées et des désirs de l’homme. La pensée de l’enfant est animiste. L’enfant projette une âme aux objets.

Dans le conte une bûche ordinaire a une âme. Le conte merveilleux abandonne le terrain de la réalité, il épargne à ces auditeurs, à débattre les limites entre imagination et réalité. On a l’impression d’une «inquiétante étrangeté», puisque l’objet a une âme. Pour que naisse le sentiment de l’inquiétante étrangeté il est nécessaire qu’il y a débat, afin de juger si l’incroyable ne pouvait pas malgré tout, être réel. Ce sentiment surgit chaque fois ou les limites entre imagination et réalité s’effacent, ou quand ce que nous avions tenu pour fantastique s’offre à nous comme réel. Imaginez un homme assis sous un arbre, il sent soudan que le tronc commence à bouger avant de se transformer en immense serpent, en boas.

Le conte s’analyse comme un rêve. Qui rêve? Le rêveur commun, anonyme, qui rêve chez le conteur et chez l’auditeur. Freud dit que les contes sont des fantasmes des nations entières.

Le conte pose des questions sur la naissance, sur l’origine de la sexualité, sur la vie et la mort, sur la découverte de la différence des sexes et des générations, sur la relation entre le désir et son accomplissement. Il pose la question du temps, le passage de l‘enfance à l’âge adulte, la menace de la maladie et de la mort.

La psychanalyse des contes de fées, selon Bettelheim, est simple: il commence par la résistance aux parents et la peur de grandir et finit quand le jeune s’est vraiment trouvé, quand il atteint l’indépendance psychologique et la maturité morale. Le conte n’a pour fonction que de propulser l’enfant vers un état d‘adulte et la maturité et lui interdit des joies considérées en général comme naïves et naturelles. Le conte représente un processus de passage, de transformation et de métamorphose et concerne sa fonction dans le processus psychique lui-même. Il représente un passage pédagogique ou un processus de transformation sociale et culturelle.

La toute puissance du créateur

L‘idée de la toute puissance, la pensée magique c’est un fantasme très archaïque de l’homme qui pose la question du pouvoir et de la manipulation.

Winnikote nomme le sentiment d’omnipotence du bébé de créer l’objet le moment voulu. Il s’agit de l’«illusion anticipatrice», le bébé croit qui crée l’objet, c’est-à-dire le lait, quand il a faim. C’est bien évidement une illusion et la désillusion va suivre.

L’art d’aujourd’hui semple à nous dire: «désirez! Nous ferons le reste»

La technique contemporaine est mise en service de l’imaginaire humain. L’homme a l’impression qui maîtrise sa vie, qui contrôle ses créations avec l’évolution des sciences et des techniques (procréation génétique, pilule, clonage,….)

L‘ œuvre est l’objet de l’imagination du créateur, de ses fantasmes qui sont liés à ses désirs infantiles, à ses désirs insatisfaits, à son narcissisme. L’œuvre est une projection des désirs et des angoisses du créateur. Le rêve de l’homme est de créer un être artificiel, parfait, comme il l’imagine, à l’image de dieu–père (dimiourgos: créateur).

Pinocchio est en bois, son père est trop pauvre pour le nourrir et normalement il n’a pas à le faire. Mais quelle surprise, Pinocchio a un excellent appétit. Les enfants de la société qui reflète le conte, sont obligés de travailler pour survivre. Pinocchio aussi est conçu pour travailler et pour faire vivre son vieux père.

«….un pantin merveilleux qui saurait danser, tirer des armes et faire des sauts périlleux…..Avec mon pantin je vais faire le tour du monde pour gagner mon pain et un verre de vin».

Il y a un renversement des rôles, l’enfant prend en charge ses parents quand ces derniers vont devenir impuissants, ou vieux. On observe ce phénomène surtout aux cultures méditerranéennes. Les parents se sacrifient pour leurs enfants, pour leur éducation et les enfants à leur tour, doivent se sacrifier pour leurs parents. Le devoir des enfants est de satisfaire les parents et d’être source d’un inépuisable bonheur.

Dans le film de Commencini, la fée bleue dit à Pinocchio:«j’espère que tu fera le bonheur de ton père; il a tant désiré un enfant.»

Dans le film «intelligence artificielle» David est une création immortelle, répondant au désir humain de vaincre la mort, l’espoir d’éternité. Il est conçu pour pouvoir aimer et se faire aimer. Le désir de l’homme est de reconstituer le corps humain après la mort, puisque l’esprit est immortel.

En même temps, la peur, de la mort et des pulsions destructrices, est projetée dans l’œuvre. L’homme meurt, mais les robots, les créatures de son esprit survivent.

Créer pour être immortel, laisser des traces malgré son destin qui est la mort, vivre dans la mémoire des survivants. S’inscrire dans la procréation, la filiation. Et bien sûr, avant l’enfant réel existe l’enfant imaginaire. L’enfant est un objet, censé de répondre à tous nos manques. Cet enfant devra être celui de la réussite sociale, parentale. Mais l’enfant est familier et en même temps étranger. Il vient de nous et d’ailleurs. C’est dans cet écart entre l’enfant imaginaire et réel que l’enfant va se constituer.

L’homme a le fantasme d’enfanter; créateur comme le Dieu–père.

Au début du récit la question de la paternité qui est ambivalente, se pose.

A l’époque, un homme ne pouvait pas être sûr et certain qui est le père de l’enfant. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Maître Antoine que «tout le monde appelle le Père», on se demande pourquoi, vit dans une solitude absolue «…..il n‘ y a pas d‘ âme qui vive ici.»

La Cerise ne peut pas créer Pinocchio pour une simple raison: il ne reconnaît pas son âme, son existence. Il ne va pas prendre la responsabilité envers cette âme parce que il ne croit pas. Il préfère de croire qui est fou, qui entend des voix, bref, qu’il a des hallucinations. Le résultat est la peur de la paternité et sa fuite. Il se débarrasse de la bûche et pas sans dégâts puisqu’il se bagarre à cause de la bûche qui cherche un père. Il se dispute à cause de cette paternité ambivalente.

Il me paraît intéressante cette dichotomie: d’un côté l’artisan qui fabrique sans distribuer l’âme à ses objets. Il ne la voit pas, même si les objets lui parlent, lui ne veut pas entendre. L’homme a du mal à accepter l’âme de la matière, je dirai plutôt qu’il lui projette une. Il croit que la mort vient séparer le corps de l’âme et que cette dernière demeure libre. Mais la bûche est un morceau d’un tronc d’arbre; cet arbre est vivant, interactif à son environnement, sensible aux changements des saisons et du temps qui inscrit à son tronc les années qui passent. Qui pourrait dire que le végétal et l’animal n’ont pas une âme? Car l’arbre est privé de la parole humaine et les animaux aussi.

Dans le film de Commencini, maître Antoine, au début, a un sentiment de curiosité envers la créature de Gepetto, ensuite il a honte des gens qui vont croire que Pinocchio est son fils. Il a peur de l’avis des autres, parce que Pinocchio, il faut dire qu’il est différent des autres enfants.

Gepetto pose la question dans son désir de création. Lorsque on est créateur, est– on pour autant père? Comment devenir un père en étant que créateur?

Je dirais que personne ne naît parent, certains le deviennent, certains ne le peuvent.

Quand naît un parent, c’est toujours dans la douleur, les questions, qui suis–je, dans quel but je suis ici, je serai un bon père ou une bonne mère?

Le rôle primordial du père dans la famille est d‘ inscrire l’enfant dans la généalogie, de lui donner un nom et une place dans la filiation. Gepetto répond à ce besoin. Dès le début de la fabrication, il nomme son fils et lui donne un nom qui est censé de porter bonheur.

Il s’agit du nom d’une famille toute entière, Pinocchio appartient à cette famille. On retrouve la coutume des sociétés ou l’enfant prend le nom des parents, ou des grands–parents, dans une répétition des noms. Je vais revenir plus tard à la signification du nom de Pinocchio.

J’aimerais rester encore un peu à la fabrication de la marionnette. L’écrivain décrit avec précision le schéma corporel. Quand Gepetto fabrique les yeux de Pinocchio, ce dernier manifeste une âme. On dit que les yeux reflètent l’âme humaine et on fait très attention au regard d’une marionnette, quand on la fabrique. Et ça parce que son regard est très important pour sa vie et son expression. Les yeux du pantin fixent Gepetto qui se sent mal à l’aise sous ce regard intrusif.

Après, il fait le nez qui s’allonge tout seul, (symbole phallique), malgré son intention.

La matière prend le dessous, chose courante dans la création d’une œuvre plastique; comme si la matière gardait une autonomie. Comme si la matière inclue l’œuvre et l’artiste venait seulement pour la découvrir et la libérer.

Après elle vient la fabrication de la bouche; il s’agit du stade oral qui se situe autours de la nourriture et bien évidement la parole. De la bouche de Pinocchio sort une grande langue. Il se moque de son créateur, il manque du respect à son père.

Gepetto a conscience de toutes les parties corporelles de sa marionnette, mais il oublie les oreilles. Acte manqué et Pinocchio n’«écoute» pas. Il ne fait qu’à sa tête. Son créateur demeure triste car sa créature lui échappe: elle est autonome et imprévisible. Pinocchio veut jouer et donne un coup de pied à son créateur. Il va être puni plus tard, ses jambes vont cramer.

Afin de voir l’analogie avec l’enfant contemporain et montrer son esprit manipulateur, je vais citer Freud qui a écrit que l’enfant est un «pervers polymorphe». Jusqu’à l’âge de 6 ans l’enfant utilise l’autre comme un objet pour satisfaire ses désirs. Après la

6ème année, il rentre en phase de latence, phase de refoulement des pulsions et du développement des sublimations, apprentissage, art, jusqu’à la puberté.

Je reviens maintenant au choix du nom de Pinocchio qui associe l’œil–l’occhio – et le pin. C’est un nom qui évoque un regard inquiet, à la fois attentif et naïf, qui s’oriente dans toutes les directions. Pinocchio a du mal à s’orienter. Ce qui lui manque c’est la métaphore paternelle, celle qui vient orienter le désir, le cadrer, symboliser et aussi permettre une médiation. D’être aussi désorienté, le conduit au passage à l’acte. Son 1er acte est une fugue. Il est un fugueur et un menteur. Il a des symptômes de refus scolaire, refus devant le savoir, refus devant l’autorité paternelle. Il a des angoisses qui se traduisent par des maux de ventre.

L’histoire évoque des cas qu’on retrouve en clinique infantile. Quelque chose ne s’est pas encore structurée.

Lorsque Pinocchio s’en va la 1ère fois de la maison de son père, c’est un Pinocchio désorienté, livré aux pulsions, il est violant. Ce fameux grillon, Pinocchio le frappe, il le fait taire et le laisse pour mort. Le discours du grillon est moralisant, (symbolise le sur–moi) et énerve Pinocchio. Lui, il n’a pas envie d’étudier.

«…..je préfère courir auprès les papillons et grimper aux arbres pour attraper les oiseaux dans leurs nids……». Peut–être pour attraper l’oiseau qui lui échappe de l’œuf, quand il veut le manger.

«…..mon métier à moi, c’est celui de manger, de boire, de dormir, de m’amuser et de vivre comme un vagabond du matin au soir…….»

Freud a décrit ce comportement enfantin qui consiste à écraser des petites bêtes et l’a appelé «pulsion d ‘ emprise». Il s’agit d’une pulsion dont le but est de dominer l’objet par la force. Cette pulsion n’a pas originellement pour but la souffrance d’autrui, mais simplement n’en tiendrait pas compte. Pulsion de mort, pulsion sadique, qui se manifeste avec la destruction de l‘objet.

Pinocchio dit en permanence ce qu’ils disent beaucoup des enfants en période de latence «je n’ai pas pu résister, les autres m’ont entraîné».

Dans ces péripéties, Pinocchio est attiré par ce qu’ils font les autres; quand il va au théâtre des marionnettes au lieu d’y aller à l’école, il fait comme ces marionnettes auxquelles il s’identifie: il ne peut résister au fait de devenir une marionnette comme les autres. Il a envie de coller au désir de l’autre. Et comment pourrait de se convaincre qu’il doit agir correctement, alors qu’il est si fortement tenté de céder aux tendances asociales de ses désirs. Pinocchio est gouverné par les forces du ça, basé sur le plaisir et il est asocial et irrationnel.

Le gendarme qui attrape Pinocchio par son long nez, symbolise la loi, c’est une figure paternelle avec une fonction paternelle Cela nous rappelle le dicton Grec: on attrape par le nez l’oiseau qui est intelligent.

Nous trouvons dans le texte une série de punitions reflétant la mode de l’éducation de l‘époque: «…….attraper par le nez, tirer les oreilles,…».

Le père ou le maître tient des attitudes comme: «…..capable de le battre,…..véritable bourreau,….il va le mettre en pièces».

L’histoire de Pinocchio est une histoire avec une structure familiale dramatique. L’abandon, le désespoir, la mort sont des moments forts en émotion. C’est l’histoire de la quête du père.

Dans l’intelligence artificielle David cherche la mère et l’amour maternel. Peur d’une mauvaise mère qui va abandonner son fils dans la forêt, mais elle va lui laisser Tendy le nounours, un objet transitionnel auprès Winnikot, objet qui va aider l’enfant à supporter la séparation avec sa mère.

Pinocchio va devenir un vrai petit garçon mais cela ne peut se produire qu’après qu’il aura retrouvé son père et le sauver. Les retrouvailles avec son père se passent dans le ventre du requin. L‘image du requin renvoie à des fantasmes de dévoration, attachée à l’image de la mère toute–puissante. La mère est symbolisée par le requin. Elle a avalé le père et le fils. Dans le ventre du requin, Pinocchio retrouve son père marqué par la castration. Gepetto pense qu’il va mourir, il ne désire plus rien, chose qui va produire une transformation chez Pinocchio. Le fils devient actif et prend en charge son père, il va le sauver. C’est Pinocchio qui désire à la place de son père.

Il y a un déplacement. Gepetto qui était sculpteur se remet à sculpter.

Pinocchio dort et fait un rêve.

David va aller aussi aux sources des rêves, pour la première fois, un robot va rêver. C’est pour ça qu’ils sont uniques, différents. Dans son rêve, Pinocchio voit la fée qui lui donne un baiser, sa récompense, et comme dans un miracle la métamorphose va se produire. Il se réveille et tout étonné, il se retrouve enfin petit garçon. Sa 1ère démarche est d’aller se regarder dans la glace:«….Ensuite en allant se regarder dans la glace, il crut qu’il était un autre…» C’est le 2ème temps du stade de miroir. Il croit qu’il est un autre et c’est cette altérité qui lui donne son identité. Il y a une aliénation structurante qui se met en place. «….Il n’avait plus devant lui l’image familière de la marionnette de bois, mais celle vivante et subtile d’un bel enfant……».

Donc, c’est une image idéale qui correspond à la mise en place d’un moi–idéal, un

Idéal de toute puissance, un narcissique forgé sur le modèle du narcissisme infantile, identification à la mère investie de la toute puissance.

Le stade du miroir correspond à une unification imaginaire, une unité corporelle.

Pinocchio demanda à son père: «Et le vieux Pinocchio de bois où peut–il bien être?»

Gepetto lui montre un pantin inanimé (situation des marionnettes quand on ne les manipule plus, elles sont sans âme, mortes). Pinocchio en se retournant, le regarda un peu, puis il dit avec une immense satisfaction: «…..Comme j’étais ridicule lorsque j’étais pantin». Il y a ici une chute d’une image dévalorisée, désinvestie. On voit l’effet d’un refoulement.

Rôle maternel

Les Fées:

On les appelle aussi les bonnes marraines, les dames blanches, les Bienveillantes, les Bonnes et Franches Pucelles, les Fileuses de destin, (appelées Moïres dans la mythologie Grecque).

Les fées ne grandissent jamais, ne vieillissent jamais, mais elles ne sont pas immortelles. Certaines sont de taille et d’apparence humaines. D’autres ont la taille, le corps et le visage d’un enfant entre 6 et 10 ans.

Dans le conte de Pinocchio la fée apparaît comme un enfant et comme une femme.

Dans «l’intelligence artificielle» la fée est une créature virtuelle, une image virtuelle, une statue qui va se casser en milles morceaux, quand David la prend dans ses bras. Dans une société évoluée, (technologie de pointe), la fée est une projection du désir.

La fée est aimable, désirable, belle, c’est l’idéal féminin, symbole de l’anima dans la psychologie des profondeurs de Yung. Elle incarne tout à la fois la vierge, la sœur et la mère.

Elle fait figure de l’ange gardien. En général, elles sont amorales, mais pas chez Colodi.

La fée est souvent le deus ex machina, la bienveillante. Les fées veillent sur les foyers et les naissances d’êtres humains, mais également sur leurs décès. Elles sont aux sources de la vie et de la mort et aident les mortels à passer d’une dimension à l’autre.

Les fées Blanches (il y a aussi les fées de la nuit) sont des divinités du passage du chaos à l’ordre, du non être à l’être. Elles incarnent la part féminine du Dieu– créateur–Gaia (la terre) par rapport à Ouranos (le ciel). A mi–chemin entre la terre et le ciel, elles interviennent en faveur des hommes. Elles s’amusent à remettre dans le droit chemin les voyageurs perdus. Elles ont des pouvoirs magiques.

La fée est un symbole de notre évolution, de notre réalisation personnelle, de notre vœu. Elle est agissante et efficace.

La Fée bleue est la mère spirituelle de Pinocchio. Elle l’aide à devenir lui–même.

La quête du père, dans les aventures de Pinocchio ne peut se faire sans l’intervention d’une autre dimension maternelle, d’un autre pôle de la structure familiale (père–mère–enfant). Cet autre pôle c’est la fée bleue qui est un élément décisif et qui va aider Pinocchio à se transformer à un petit garçon, fils de son père.

Dans le film «intelligence artificielle» la fée bleue pourra faire David un vrai petit garçon puisque le méca va faire la fée bleue une vraie femme. L’homme reconnaît en lui un côté mécanique, programmé, qui se répète, (il crée une machine de sexe qui va combler la femme, l’aider à s’épanouir, la rendre heureuse et capable d’assumer son rôle).

Pinocchio a besoin de trouver et de réaliser une mère, car cette dernière n‘apparaît pas dans le discours du père.

Lacan disait que cette réalisation de la mère se fait par phases: d’abord la mère est présente–absente. Ensuite elle est réalisée comme « toute–puissante» Enfin elle est la mère désirante. Quelque chose se déplace, se construit avec la médiation du père. L‘enfant aura à construire le désir de la mère, ici symbolisée par la fée bleue.

Le désir de la fée qui va porter Pinocchio, apparaît à l’occasion d’un épisode ou P. manque de mourir: « …..Ces balancements lui causaient des douleurs atroces et le nœud coulant se resserrant sur sa gorge, lui coupait de plus en plus la respiration. Alors ses yeux se voilèrent peu à peu et il sentit que sa mort était proche; mais il espérait encore qu’une âme charitable arrivera d’un moment à l’autre pour lui porter secours…»

«Oh papa si tu étais ici!» L’appel du père, mais qui répond? Ce n’est pas le père, c’est en effet la fée bleue qui apparaît à ce moment là, sous les traits d’un bel enfant aux cheveux bleus qui fort émue de voir ce malheureux enfant en si mauvaise posture, le sauve de la pendaison. Le désir de la fée bleue se manifeste d ‘abord à l’égard de Pinocchio par une compassion. Elle est inquiète pour lui et déploie tous ses moyens pour le sauver de la mort. Elle va avoir envie de le transformer en un vrai petit garçon. Pinocchio va prendre de plus en plus de l’importance aux yeux de la fée. Lui aussi a envie de répondre au vœu de sa mère de substitution. Mais il est toujours empêché.

Les enfants ont besoin d’être portés par l’imaginaire et la parole de l’autre. Selon Lacan: «l’homme n’a pas de réel à son désir; ce désir est d’ailleurs le désir d’un autre», ou «le désir du sujet est d’être objet du désir de l’autre».

La fée bleue lit dans la pensée de Pinocchio. Elle symbolise la mère toute puissante. Pinocchio craindra ce que cette puissance pourra penser de ses actes. Il va avoir des attitudes de réparation auprès d’elle: «on va voir si tu es assez bonne, si tu vas me pardonner».

La réparation est un mécanisme décrit par Mélanie Klein. Il s’agit de réparation des effets sur l’objet d’amour de ses fantasmes destructeurs et de son sadisme.

A la fin de l’histoire, quand Pinocchio. va devenir un vrai petit garçon, la fée aura perdu son caractère tout–puissant.

Dans le film «intelligence artificielle» la toute–puissance de la fée souvent se met en question. La fée est impuissante devant la mort.

Pinocchio de son côté vois sa tombe. L’esprit évolué va utiliser toutes les connaissances de l’histoire de l’espèce humaine, pour reconstituer ce monde de rêve, pour animer et faire vivre l’imaginaire de l’homme. Cet esprit évolué va venir après la disparition de l’homme qui lui est incapable de dépasser ses pulsions de mort et de survivre.

Les chercheurs ont trouvé, en Pinocchio, de nombreuses sources, de nombreux exemples représentatifs des différents aspects de l’histoire du XIX ème siècle, des dizaines de sens psychologiques ou psychanalytiques, et bien entendu, de nombreuses stratifications de symboles et d’histoires séparées entre elles, ou pouvant s’amalgamer en une unité divine. Il est juste que chacun voit ou apprécie un livre selon son propre miroir de connaissances, de sensibilité, de capacité à en tirer profit et de résonance mnémonique.

Pinocchio est le livre de la solitude dans l’absolu. Le pantin, qui est et restera toujours un enfant dans toutes ses aventures et toutes ses pensées, est presque toujours seul. A côté de la solitude, qui est la condition des personnes les plus sensibles, il faut placer la peur continuelle, dont il est la proie, sauf quand intervient en lui l’éloignement du monde, grâce au recours à un simple jeu. La solitude de Pinocchio est aérienne, légère, mais pleine d’incertitude de la vie, bref pleine du bouleversement et de sublimation de l’habituelle «dimension de la solitude» qui se reforme continuellement en nous. Cette idée pourrait être admise comme interprétation fondamentale des voyages de Pinocchio, qu’on pourrait comparer à un épi de maïs aux innombrables grains. Et chaque grain, chaque aventure, peut présenter pour le lecteur des semences diverses de plaisir et d’interprétation.

Ecrit par Eleni Papagéorgiou dans le cadre du séminaire : « La marionnette : un autre acteur, un autre corps, pour un autre théâtre », Maitrise de l’Institut d’études théâtrales de Paris III, 2003.

Bibliographie

  1. «Psychanalyse des contes de fées» de Bruno Bettelheim, édition: Robert Laffont, 1976.
  2. «Fées et elfes», d’Edouard Brasey, édition Pygmalion, 1999.
  3. «Le bébé imaginaire» de Patrick Ben Soussan, édition:Erès, 1999.
  4. «Pinocchio en mal de mère. Construction du désir de la mère et métaphore paternelle» de Pascal Le Maléfan, article dans une revue, (page 65), intitulé: «La marionnette et les âges de la vie», compte rendu du VIII ème colloque international, Paris 1998, dans le XIème festival mondial des théâtres de marionnette, organisé par «marionnette et thérapie».
  5. «Contes et divans» de René Kaës et coll., édition: Dunod, 1966, Paris.
  6. «Les aventures de Pinocchio; Histoire d’un pantin» de Collodi, écrit le 1881-1883, éditions: mille et une nuits, 1997.

Intelligence artificielle de Steven Spielberg

Narcisse

Narcisse est né à Thespies en Béotie, région de la Grèce, né de la nymphe Lyriopi et de la rivière Kifissos. Narcisse a une beauté divine, sa chevelure est comparée à celle d’Apollon, mais il méprise Éros et ses amants. Ameinias lui fait des avances mais Narcisse le rejette et le provoque, en lui envoyant une épée. Le jeune amoureux se suicide avec, devant la porte de Narcisse, en implorant la vengeance du dieu.  Les habitants de Thespies honorent Éros dans les cérémonies publiques et lui sacrifient dans des rituels. Il y a aussi la culte au démon « Antéros », qui est le vengeur de l’amant repoussé. Éros, l’amour réciproque, a un double symétrique, Antéros qui est le châtiment qui répond à la faute. Mis en scène des opposés, naturellement l’amour et la mort.

L’histoire de Narcisse met en jeu l’identité et l’altérité. Narcisse aime lui même et pas autrui, il devient amant de lui même. L’objet aimé devient sujet aimant, il est pris au piège de cette clôture d’identité, frappé par le même châtiment qui inflige à Ameinias. L’homosexualité dans l’antiquité grecque a une fonction socialisante. Narcisse en refusant les avances de ses amants, s’ôte toute possibilité de chercher son image et son identité dans leurs regards. Finalement, il se trouve à la source, où il s’enferme vis à vis avec lui même. Les surfaces réfléchissantes naturelles, les miroirs aquatiques sont des eaux maléfiques où on risque la noyade. Les juments quand elles aperçoivent leur image dans l’eau, elles tombent malades, elles oublient de paître et périssent. Ce phénomène semble être une contagion érotique. Le remède est simple, on leur taille grossièrement la crinière, et en voyant leur laideur elles oublient l’image antérieur et guérissent… Il y a aussi la technique de la chasse avec un miroir afin de capturer les oiseaux qui se font piégés. Par exemple, les cailles à la saison des amours, qui se précipitent au piège, vers l’image qui apparait au miroir. C’est l’instinct sexuel qui les attirent, preuve qu’ils laissent leur sperme sur le miroir.

Dans le mythe il y a cette problématique de « voir » et de « savoir ». L’oracle est prononcé par Tiressias qui est aveugle mais obtient le don divinatoire: « il vivra, s’il ne se connait pas ». Ovide dans son livre « Métamorphoses », écrit l’histoire d’Echo qui se redouble sur le plan sonore le motif visuel du reflet. Condamnée par Héra pour bavardage et complicité d’adultère, elle n’est qu’un doublet appauvri dans les paroles d’autrui. Écho aime Narcisse et le poursuit. Lui, il la repousse, « plutôt mourir que m’abandonner à toi ». Nous avons deux motifs, l’image de la beauté qui ravit et l’image de la voix qui l’abusait. Écho est l’équivalent, sur le plan auditif du reflet qui captive le regard de Narcisse. Il y a parallélisme entre l’image vocale et l’image visuelle. Narcisse croit dialoguer avec son image mais ce qu’il voit n’est que l’ombre reflétée de son image, son fantôme. L’étymologie de son nom « Narké » signifie engourdissement. Le dédoublement agit comme une drogue, dont l’abus, une overdose entraîne sa mort. A la version de Paussanias, Narcisse a une sœur jumelle d’une apparence semblable. Il est alors amoureux de sa sœur; mais elle meurt. Il se rend à la source et il imagine qu’il la voit elle. Il cherche dans son reflet un remède à la souffrance causée par la perte de sa jumelle. Leur comportement est fusionnel et transgressif. Leur similitude efface l’identité de chacun. Ça nous ramène à l’identité des jumeaux qui se modèle sur l’autre. Narcisse ne peut pas s’arracher au monde féminisé de la petite enfance. Il est déjà parvenu à l’âge d’être amoureux, de se tourner vers autrui et sortir de l’univers familial. Mais ils continuent frère et sœur à vivre ensemble dans la clôture de l’inceste. Narcisse, donc face au miroir, cherche à recréer la dualité de la relation réciproque. Il s’agit d’une régression, révèlement de la relation incestueuse. Narcisse refuse à abandonner la part féminine de son enfance et il se noie. L’adolescent refuse de devenir masculin, en refusant de répondre à l’amour et la sociabilité. Dans une autre variante de la légende, (de poète latin Pentadius), sa sœur est remplacée par le père, un père absent, une autre catégorie du double. C’est en cherchant à voir son père, le fleuve, que Narcisse découvre dans l’eau son propre visage, une analogie entre le reflet du miroir et la duplication de la reproduction sexuée.

La faute de Narcisse est de refuser une ouverture sur autrui, une étape indispensable vers la reconnaissance de soi. Il confond reflet et réalité. Il n’accepte pas la reconnaissance de l’autre, il préfère l’apparence à la réalité. La faute du jeune homme qui ignore l’indispensable retour par autrui, pour devenir lui même sujet, faute à demeurer objet.

L’effet narcotique attribué au narcisse mythique comporte deux pôles, l’un positif et calmant, l’autre négatif qui cause l’engourdissement mortel. La fleur narcisse borde la fontaine de vin où Dionysos attire la nymphe Aura pour l’endormir et la violer. Les vertus hypnotiques de la fleur amène la malheureuse victime du dieu à l’ivresse et la paralysie. La Persephone est séduite par la beauté de la fleur qui la piège. Hadès la vole, elle est engloutie sous terre. Le mythe de Déméter dramatise l’étape de l’arrachement de la fille à sa mère. Le mariage à un âge très jeune est une rupture brutale, un changement d’identité, de nom.

La problématique de Persephone est déplacée au féminin. La femme a le souci de sa beauté, son désir est tournée vers elle même, d’où la place du miroir, (3ème œil). La chance de l’amant est de pouvoir prendre la place du miroir. Il offre à sa belle un reflet rassurant, conforme à elle même. Le miroir fascine; c’est le lieu de toutes les fantasmagories, il offre accès sur les mondes de l’invisible. Le miroir fonctionne comme un l’opérateur de discrimination des sexes. Il joue un rôle déterminant dans la séparation et la réunion des hommes et des femmes. Il est interdit aux hommes, parce qu’il devient danger de fermeture sur soi, d’aliénation à un reflet qui est renvoyé par un objet et pas par un humain. L’interdit masculin du miroir symboliquement, rappelle le moment du sevrage, marque de coupure avec le monde des femmes. A partir d’un moment, on expulse le garçon hors du gynécée. Le miroir est réservé aux femmes. La femme objet, renfermée sur elle-même, chez elle. L’homme est un sujet, la femme un objet. Le miroir les sépare. Le miroir sert à préparer la femme à rencontrer l’homme. Elle devient proie à la passion bestiale de l’homme. Le désir de l’homme demande à être stimulé, et ce de la femme? Le désir de l’homme réside dans « le naturel » du corps. Ce de la femme exige un surplus de parure. La femme est donnée à voir. Pourquoi il faut qu’elle se voit elle-même? La femme doit se voir avant d’être vue; elle se place comme sujet et objet à la fois. Quand elle se marie renonce à ses jouets d’enfance et elle offre sa poupée à Artémis, afin de devenir femme. Plus tard, quand elle va avoir vieilli elle abandonnera son miroir à la divinité. Une femme qui se perd dans son miroir ne meurt pas mais elle devient folle. La femme est objet et sujet du regard de l’homme par l’intermédiaire d’un objet, un œil artificiel.