La consigne vient d’Alice Albertini : Les mains
Le cercle
Créer dans votre esprit un cercle protecteur central, comme un ancrage. Sur la petite feuille tracer un cercle qui prend toute la place. Exprimer à l’intérieur du cercle les appréhensions pour l’avenir à l’aide de votre moyen d’expression préféré. Travailler la matière et les formes. En observation faites tourner le cercle. Mettre la main non dominante sur le cercle et tracer le contour de la main au crayon. Avec des ciseaux, découper le contour de la main qui représente nos difficultés, nos nœuds, notre anxiété. Comme il s’agit de la main non dominante, nous représentons celle qui ne sait pas quoi faire.
L’énergie de la main dominante
Coller, sur la feuille plus grande, la main non dominante et faites le contour de l’autre main en face. Il s’agit donc de la main qui a les capacités d’agir. Elle n’est pas paralysée par l’anxiété, elle garde son calme, elle est capable de s’ancrer. Créer à l’intérieur de cette main la force en s’inspirant des mots échangés inscrits sur le tchat des mots qui permettent de rester ancré. Avec les matériaux que vous voulez, vous remplissez la main en respectant un espace d’avec le texte. Vous soulignez les contours de la main avec un feutre.
Entre les deux mains, dans l’espace vide, vous inscrivez les mots de l’énergie qui va passer de la main dominante à l’autre. La main est le symbole du toucher, interdit en cette crise sanitaire. Il s’agit de la considérer, de la mettre en mouvement malgré l’interdiction.
L’étau se resserre…
Mise en arrêt de travail par mes médecins estimant que mon état de santé me rend vulnérable, mais aussi et surtout, et c’est ce qui m’inquiète, parce que nous vivons sous le même toit que ma mère. Certes, et heureusement, nos deux appartements sont séparés, mais chacun de nos échanges, surtout s’ils suivent pour moi une sortie, sont potentiellement source de contamination donc de danger. Mon cardiologue m’a expliqué ce matin, que si elle devait être hospitalisée, son pronostic vital serait largement engagé étant donné le syndrome de Parkinson ajouté à son âge et à la surcharge des services de réanimation… Anxiété… Je ne suis pas effondrée mais je suis inquiète…
Autour de nous, les gens montrent à quel point ils ont des difficultés à supporter seuls la solitude et les nouvelles responsabilités que le confinement leur fait découvrir. Avec mon mari, nous découvrons que notre mode de vie s’en approchait déjà auparavant. Est-ce la chance d’avoir chacun des occupations qui tiennent de la passion, de vivre dans une maison avec un jardin qui réclame beaucoup d’attention dans une région baignée de soleil ? Nous étions confinés finalement dans notre bonheur de vivre avant même ce confinement ! Bien sûr la menace gronde au dehors. Nous en sommes conscients, et notre inquiétude est bien réelle et grandissante par rapport à notre fils qui vit à Toulouse.
Et voilà qu’aujourd’hui les choses se compliquent… Un grain de sable vient enrayer ce confinement plutôt bien rodé. L’un d’entre nous se trouve doublement « surexposé » et nous devons encore augmenter notre attention, la protéger encore plus !! L’idée même d’avoir à sortir de ce « bunker doré » me pose souci. Je groupe les courses au maximum. Je multiplie les gestes barrières. J’ai ressorti tous mes coupons de tissu et je nous fabrique nos propres masques. Une seule devise « protéger maman », et par conséquent ensuite, « nous ».
Quand on connait mon histoire… C’est assez intéressant ! j’ai toujours été très Mère-poule avec mon fils, me voilà Mère-poule avec ma mère… Qui n’a pas été une mère modèle… Je me retrouve à porter cette lourde responsabilité que je ne partage pas avec mes deux sœurs, mais en même temps j’ai cette impression de gérer la situation même si elle génère de l’anxiété. C’est sans doute cette situation qui fait que je m’agace un peu à chaque nouvelle sollicitation extérieure. J’ai besoin de calme si je ne veux pas faire d’erreur… L’anxiété gagne du terrain parfois. J’avoue que j’avais essayé de tout prévoir. C’était sans compter sur Covid19 et ses répercussions.
Comment avez-vous procédé pour la concrétisation de votre esquisse ?
Comme à l’accoutumée, j’ai commencé à consciencieusement préparer toutes mes affaires, papier au bon format et toujours en 300 grs, feutres crayons de couleurs, peinture acrylique et aquarelle mais aussi pastels. Je veille toujours à ce que le calme règne. Si la télévision est allumée c’est sur une chaîne animalière ou musicale. C’est plutôt pour avoir un fond sonore. Je souffre d’acouphènes, le silence est compliqué pour moi car il n’existe pas : Il est synonyme de bourdonnements. J’essaie de les éviter avec des musiques de fond ou des reportages avec des voix off. De plus, nous veillons à éviter maintenant les chaines d’information particulièrement anxiogènes.
Quels matériaux avez-vous utilisé ?
J’ai utilisé des feutres Posca pour le croquis de ma main non dominante. Pour les couleurs, je savais déjà que j’allais privilégier le rouge le gris et le noir. J’avais en tête de réaliser une spirale infinie, symbole de ces idées qui ont tendance à tourner en boucle. Une spirale à laquelle il faudrait pourtant finir par mettre un terme. Autour de ce centre qui reste sombre et rigide au travers de toutes ces lignes, les couleurs semblent commencer à prendre le dessus, mais gardent l’apparence de flammes. Cette fois, j’ai voulu tenter de sortir de ma zone de confort, en utilisant ensuite des pastels gras, mais je n’aime décidément pas leur texture et le toucher. Je suis donc très rapidement revenue sur mon choix, en ressortant ma boite de craies aquarellables. Leur douceur et les possibilités infinies d’utilisation ont toujours eu ma préférence à commencer par l’aquarelle. Les couleurs deviennent tout de suite plus douces quand on les dilue et c’est justement ce dont j’ai besoin en ce moment. De plus les différents mots repris par ma main dominante ont tendance à se fondre dans la couleur. Toute l’écriture est faite au feutre d’architecte très fin (0.5). J’ai finalement dilué mes couleurs comme prévu pour essayer d’obtenir un dégradé lumineux et énergique à la fois.
Qu’avez-vous ressenti tout au long de l’évolution de votre création ?
Beaucoup d’idées négatives en réalisant la main non-dominante. Idées accentuées par les petites lignes droites particulièrement répétitives. (Une ligne-une idée ?!?…) C’est la question que je me pose. Curieusement j’ai l’impression en les regardant que cette main est plus petite ! C’est sans doute un effet d’optique. Mais cette idée est intéressante, je trouve.
Puis j’ai ressenti un apaisement général au moment de réaliser la main dominante à tel point que j’ai sursauté quand mon mari est entré dans la pièce. Heureusement j’avais pour ainsi dire fini, mais cela m’a permis de me rendre compte à quel point j’étais concentrée dans cette bulle d’apaisement et dans ma création.
Que ressentez-vous en regardant votre production ?
Quand je me tourne vers ma main gauche. Je la trouve fermement décidée à prendre le dessus. Toutes les idées positives se dirigent vers l’autre main, un peu comme une vague. Mais l’idée principale qui s’en dégage est cette nécessité absolue de respirer. Ce confinement me pèse, m’oppresse. Je ressens mon espace vital comme atteint.
Ma main droite reste définitivement plus petite à mes yeux. J’ai l’impression que l’énergie de ma main dominante aura toujours le dessus face à l’anxiété, tout comme l’art et l’écriture resteront mes deux soupapes de sécurité. Je dois rester attentive à mes émotions à l’avenir et rester prête en permanence à sortir les outils de créativité en cas de besoin, en y ajoutant quelques exercices de respiration. Prendre le temps de respirer ne devrait pas me faire de mal !…
Pour moi, l’écriture est thérapeutique. Elle m’apaise. J’ai l’impression de respirer enfin quand j’écris ; Chaque nouvelle phrase est une inspiration. La ponctuation, une expiration. J’aime écrire. … L’aquarelle, me permet plutôt de me concentrer et de donner de la douceur à mes idées.
Cette création me procure beaucoup d’émotions, surtout quand j’observe cette main gauche, pleine de vie à mes yeux. J’ai d’ailleurs toujours accordé beaucoup d’importance au fait d’être gauchère, un peu comme une chance.