Sophie G. – Épidémie, impuissance et pouvoir d’intervenir
« Jour 38 »
Comment avez-vous procédé pour la concrétisation de votre esquisse ?
Comme à l’accoutumée j’ai mis beaucoup de soin dans les préparatifs de mon installation. Je suis même tentée de dire que je me suis encore plus appliquée. Depuis plusieurs nuits, je dors très peu et c’est la nouvelle lune … Je n’ai cessé de me répéter que cette journée allait être la mienne, et exclusivement la mienne. Comprenez par là que je n’y serai pour personne ! Ces cinq derniers jours m’ont aidée à mieux ressentir ce que tellement de gens vivent au quotidien. Il a énormément plu : Mon mari, artisan est donc resté à la maison. Il est loin d’être désœuvré dans ces moments-là. Il est même très créatif comme moi, et il lui arrive parfois d’occuper beaucoup d’espace pour ses réalisations … D’ordinaire quand il fait beau, je peux filer au jardin : Je respecte ainsi son espace tout comme il respecte le mien quand cela se présente. Mais là, clairement pendant cinq jours, « nous » avons manqué de cet espace, et je ne pouvais rien y changer. Nous ne pouvions rien y changer…
Il n’y avait rien de grave à cela évidemment, mais d’un autre côté, j’ai encore mieux pris conscience en quelque sorte des difficultés liées à la situation actuelle : Comment gérer, respecter, protéger l’espace de chacun et pour n’importe quelle raison y compris la créativité ? Personnellement j’ai tenu le coup en me disant que dès le retour du soleil, j’aurais devant moi quelques heures de liberté (nécessaire) en toute sérénité, l’espace de mon jardin à nouveau pour lire, écrire, lézarder … en totale liberté. Et je n’ai eu que cinq jours à attendre ! Je n’ose même pas essayer de me souvenir depuis combien de jours nous sommes en confinement. Cinq jours et je ressens cet immense besoin de respirer, reprendre mon souffle, mes aises, mon espace … Tiens, comment représente-t ’on l’espace en dessin ? je voudrais arriver à retranscrire tout cela sur ma feuille : Cinq jours en état de conscience de ce que d’autres vivent depuis tant de jours.
En même temps, je ressens ce même état d’impuissance face à tellement de choses : Ce virus d’abord dont il est sans arrêt question dès que l’on se connecte sur quoi que ce soit, les décisions des autorités sanitaires comme politiques et autres …. Ce que mon patron va décider quant à la réouverture du magasin. Va t’il respecter les consignes ? Ce sera très compliqué. Pour l’instant, je suis chez moi et je sens en sûreté finalement mais qu’en sera-t ’il ensuite ? C’est pareil pour ma mère que j’ai confinée avec assiduité durant ces semaines. sera-t’elle aussi raisonnable et responsable après le 11 mai ? je crains l’après …
Quels matériaux avez-vous utilisés ?
J’ai souhaité renouveler mon expérience avec les pastels gras, et cette fois elle a été plus positive. C’est pour moi une petite victoire qui va m’ouvrir le champs des possibles, surtout au niveau du toucher qui me posait un problème jusqu’à présent.
D’autres médiums sont venus s’ajouter de manière plus naturelle comme les tampons que je possède en très grande quantité (vestiges de mes années scrapbooking) et que j’ai grand plaisir à ressortir pour leur donner une seconde vie, feutres Tombow, et toujours mes craies aquarellables FB et mes feutres-marqueurs noirs de différentes tailles.
La touche finale a été réalisée avec un feutre-marqueur Posca Or. Je remarque d’ailleurs que pour cette production, j’ai vraiment ouvert ma palette des possibles au niveau des médiums, et je trouve que cela s’est ressenti tant au long de la réalisation, qu’au niveau de la production une fois terminée.
Qu’avez-vous ressenti tout au long de l’évolution de votre création ?
Quand je retourne à ma création je vois chaque chose que je ne peux pas contrôler comme un virus en elle-même mais aussi comme une planète, un monde à proprement parler. Il n’y a pas que le virus qui me laisse sans pouvoir de contrôle. Beaucoup de choses sont devenues source de ce manque maintenant. J’ai d’ailleurs pu rendre cet effet en ayant la possibilité de retravailler au doigt chacun des ronds. Le halo qui entoure chaque zone rend cette idée de propagation possible qui échappe à notre contrôle. Les entourer au marqueur étant peut-être une tentative inconsciente de les mieux cerner, les retenir …
Puis est venu le temps de la réalisation du cercle intérieur avec mon prénom. Un temps surprenant puisque je suis une inconditionnelle des mandalas mais jusqu’à aujourd’hui je n’ai jamais vraiment passé le cap de la réalisation personnelle. Or cette production en a été le moyen car au fil de ma création, j’ai vu ce mandala se réaliser sous mes yeux ? Chaque nouvelle étape annonçant la suivante sans aucune hésitation et avec un plaisir et une concentration assez rares. Certes, il n’est pas parfait mais le plus important, c’est qu’il est un des premiers (le troisième pour être exacte, ce qui est vraiment infime au regard de ceux que j’ai pu « faire-colorier » dans des albums), que je l’ai réalisé en suivant mon intuition, et qu’il me procure quand je l’observe énormément de satisfaction au travers du rayonnement qu’il renvoie. Un rayonnement doré comme le soleil, donc positif qui semble être en mesure de passer outre chacune des planètes-virus représentant des obstacles.
Que ressentez-vous en regardant votre production ?
C’est bien de la satisfaction mêlée d’apaisement, amis aussi d’inspiration et de créativité tellement nécessaires à mon équilibre en ce moment. que je ressens. Je m’aperçois à quel point ces moments où je me construis ma bulle au travers des préparatifs, puis quand je passe à la création en toute concentration et conscience pour enfin poser les émotions par écrit me sont nécessaires voire indispensables ! je parviens même à imaginer finalement les moments que je procure à mes patients que je consulte à domicile, à cet espace de créativité que je les invite à partager, et je comprends mieux le plaisir, la détente, et l’apaisement que je contribue à leur procurer, avant pendant et après …
Aujourd’hui nous sommes le jour 38 …
Des productions sous forme de rendez-vous avec moi-même qui auront été aussi formatrices que bénéfiques finalement.