Une nouvelle loi sur la récidive est "inutile" et "démagogique"

LEMONDE.FR | 18.11.09 | 17h06 • Mis à jour le 18.11.09 | 18h07

Marie : Une nouvelle loi est-elle réellement nécessaire ? Ne faudrait-il tout simplement pas appliquer les lois déjà existantes ?
Serge Portelli : Cette loi est totalement inutile. Il n’y a pas un seul article à sauver. C’est une loi démagogique qui n’apporte rien à la prévention, au traitement ou à la répression de la délinquance sexuelle, si ce n’est des solutions purement répressives et nuisibles.
La loi de 1998, à l’élaboration de laquelle j’avais modestement participé, contient toutes les solutions nécessaires. Elle est surtout un modèle dans l’articulation qu’elle instaure entre le soin et la peine, entre le personnel médical ou soignant et les juges. D’autres lois se sont succédé, celle de 2005 qui a créé la surveillance judiciaire, celle de 2007 essentiellement sur les peines planchers, celle de 2008 sur la surveillance et la rétention de sûreté. Ces lois sont inutiles, elles n’apportaient rien par rapport au mécanisme instauré par la loi de 1998. C’est à partir de cette loi-là qu’il aurait fallu éventuellement travailler pour en compléter et en adapter le dispositif.
HR : Au regard du nombre de propositions de loi depuis quelques années, comme autant de réponses à des faits-divers, ne s’agit-il pas plutôt d’un constat d’échec sur les ambitions et le rôle des institutions et des organes socio-judiciaires ?
Il est bien évident que la multiplication des lois qui tendent toutes au même but signe un échec des nouvelles solutions qui sont préconisées. L’objectif était de toute façon illusoire. Il s’agit à chaque fois de faire croire qu’on va faire disparaître la délinquance sexuelle et la récidive. Nicolas Sarkozy avait d’ailleurs promis en 2007 de « régler le problème de la récidive » avant l’automne. Nous en sommes loin. Nous en serons toujours très loin.
Il n’y a pas à proprement parler d’échec de la justice, ni du personnel soignant, ni des services sociaux. Simplement, la délinquance sexuelle est un risque permanent, il y aura toujours, hélas, des viols. Il y aura toujours des criminels en série. Le devoir de la justice est d’abord d’appréhender ces criminels, ce qui n’est pas une mince affaire, puis de les punir et de les traiter. Il ne faut pas oublier que les peines prononcées, notamment en matière de délinquance sexuelle, sont particulièrement élevées.
La France est d’ailleurs, et de loin, un des pays les plus répressifs en Europe en matière de délinquance sexuelle. N’oublions pas que chaque année, plus de vingt réclusions criminelles à perpétuité sont prononcées par les cours d’assises en France, et que les très longues peines se multiplient actuellement, posant d’ailleurs de graves problèmes dans la gestion du monde pénitentiaire.
Guest : Pourriez-vous préciser les différentes modifications qu’apportent cette loi aux dispositions en vigueur ?
Le projet de loi actuellement en discussion essaie, dans un premier temps, de contourner la décision du Conseil constitutionnel, qui avait déclaré la loi de 2008 sur la rétention de sûreté partiellement non rétroactive. Plusieurs dispositions sont proposées pour élargir le champ d’application de la surveillance de sûreté.
En effet, la révocation de cette mesure de surveillance de sûreté entraîne quasi automatiquement le prononcé d’une mesure de rétention de sûreté. Il s’agit donc d’un procédé destiné à accroître le champ de cette surveillance de sûreté qui, elle, peut s’appliquer rétroactivement pour des faits antérieurs à février 2008. On ne peut que déplorer cet acharnement à vouloir contourner une décision qui a été prise par le Conseil constitutionnel en application de principes de droit fondamentaux.
L’autre partie de ce projet de loi concerne ce que l’on a appelé improprement la castration chimique et que je préfère nommer traitement hormonal. Là encore, ces dispositions sont totalement inutiles. En effet, la loi n’a pas à entrer dans le détail des soins qui peuvent être prodigués soit en prison, soit à la sortie de prison. Il appartient au thérapeute qui a en charge le condamné de choisir librement l’un des types de soins possibles. Ce peut être une psychothérapie, un travail en groupe de parole, l’application d’une méthode cognitivo-comportementaliste, et, pourquoi pas, dans certains cas relativement rares, un traitement hormonal.
Les initiateurs de ce projet de loi essaient de faire croire à l’opinion publique que le traitement hormonal est une panacée. C’est évidemment faux. Absolument tous les spécialistes de la question le savent.
Antonin : Vous avez dit récemment que le taux de récidive criminelle pour viol était autour de 1 %. Pourtant, en tant que président de juridiction, vous êtes bien placé pour savoir que ce chiffre est déconnecté de la réalité, puisqu’il ne prend pas en compte la grande majorité des viols, requalifiés en « agression sexuelle ». Le véritable taux de récidive pour viol n’est-il donc pas beaucoup plus élevé ?
Non, puisque même en prenant en considération les crimes de viol requalifiés en agressions sexuelles, on trouve un taux de récidive à peine plus élevé, de l’ordre de 4 %. Il existe un « chiffre noir » du viol et des agressions sexuelles. En effet, très peu de victimes en définitive déposent plainte. Mais ce chiffre noir existe pour l’ensemble de la délinquance, même s’il est vrai que, pour les atteintes aux personnes, les violences physiques comme les violences sexuelles, ce chiffre noir est plus important que pour les atteintes aux biens.
Eric : La rétention de sûreté n’existe-elle qu’en France ? Sommes-nous le seul pays à envisager de placer indéfiniment des psychopathes dangereux dans des centres médico-psychiatriques?
Il serait utile de discuter des termes employés dans votre question, notamment de la notion de psychopathie, qui est très largement discutée et contestée dans le monde médical. En tout cas, d’autres pays en Europe notamment connaissent des systèmes qui s’approchent de la rétention de sûreté.

Chat modéré par Alain Salles

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