Lundi 8 février 2010
08 /02 /2010 14:28
L’inceste et le code pénal
Par Michel Huyette
• le viol sans circonstance aggravante est puni au plus de 15 ans de prison (art. 222-23 du code pénal).
• le viol est puni de 20 ans de prison, notamment si la victime est âgée de moins de 15 ans, et/ou si le viol est commis par « un ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime » (art. 222-24 du code pénal). (2) Sont des ascendants les enfants, les parents et les grands-parents. Les personnes « ayant autorité » sur un mineur sont par exemple un oncle et une tante à qui l’enfant est confié pendant des vacances (3). Dans ces situations la loi est plus sévère car elle considère qu’il est plus difficile pour les mineurs de s’opposer à ceux qui au quotidien exercent une autorité sur eux, ou, à l’envers, qu’il est encore plus choquant que des adultes profitent de leur situation privilégiée auprès de mineurs pour les agresser sexuellement. Elle l’est aussi parce que la proximité affective entre le mineur et l’adulte agresseur rend souvent le viol encore plus traumatisant d’un point de vue psychologique. Pour mettre en lumière ces particularités, l’idée a plusieurs fois été lancée de mieux identifier « l’inceste » dans le code pénal.
C’est l’objectif d’une loi récemment votée par le Parlement (4), mais dont le contenu est sous certains aspects quelque peu troublant. Motivant leur proposition de loi intiale, les parlementaires ont écrit : « Ce sont ainsi plus de 2 millions de Françaises et de Français qui ont vu leur vie brisée par l’inceste. (..) Selon les praticiens,
l’inceste est un déterminant majeur des tentatives de suicide, de l’anorexie, des addictions aux stupéfiants et à l’alcool, des troubles de la personnalité, des comportements à risque et de nombreuses psychopathologies.
L’inceste est un déterminant de l’échec scolaire, professionnel et relationnel, de l’exclusion sociale. (..) Plus largement, c’est aussi la société dans son ensemble qui souffre de l’inceste. Ses fondations sont attaquées : la famille, espace de protection, d’amour et de socialisation par excellence devient dans un climat incestueux le lieu du martyr de l’enfant et l’outil d’annihilation de sa parole. (..)
L’inceste doit être identifié, prévenu, détecté et combattu. » Et ils précisent que l’un de leurs objectifs est « l’insertion de la notion d’inceste dans le code pénal comme élément constitutif des infractions de viol et d’agression sexuelle au même titre que la violence, la contrainte, la menace ou la surprise ».
S’agissant de la définition de l’inceste, les parlementaires ont retenu ceci : « Les viols et les agressions sexuelles sont qualifiés d’incestueux lorsqu’ils sont commis au sein de la famille sur la personne d’un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s’il s’agit d’un concubin d’un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. »
Habituellement, l’inceste est défini de la façon suivante :
• « Relation sexuelle entre deux personnes qui sont parentes ou alliées à un degré qui entraîne la prohibition du mariage par les lois civiles ou religieuses. » (Dictionnaire de l’académie française)
• « Conjonction illicite entre les personnes qui sont parentes ou alliés au degré prohibé par les lois » (Dictionnaire Littré)
Dans notre législation et pour faire simple, les articles 161 à 164 du code civil interdisent le mariage entre les ascendants et descendants (père/fille ou mère/fils), les frères et soeurs, l’oncle/la nièce et la tante/le neveu. Le mariage est également interdit entre beau-père/belle-fille et belle-mère/gendre (après décès du précédent conjoint ou divorce). Le mariage est donc interdit entre personnes liées par le sang (cas 1 à 3), ou entre personnes très proches et dès lors assimilables (cas 4).
Or, ce que l’on constate, c’est que la définition retenue par les parlementaires dans la nouvelle loi est sensiblement plus vaste.
Prenons un exemple. Une mère élève seule deux enfants mineures et, parce qu’elle doit être hospitalisée plusieurs semaines, elle décide de les confier à sa tante qui vit en concubinage avec un homme. Cet homme est bien le concubin d’un membre de la famille des enfants. Pourtant, en droit, il n’existe aujourd’hui aucune prohibition à mariage entre cet homme et ces mineures. Il ne semble donc pas possible de soutenir qu’une relation sexuelle entre lui et l’une d’elle soit « incestueuse » au sens des textes du code civil et des définitions lexicales.
Le Parlement semble donc avoir privilégié, pour définir l’inceste, une notion factuelle de famille, englobant tous ceux qui ont un lien familial de proximité avec la victime, en privilégiant la notion d’autorité de fait. Une autre indication étonne. En effet, la notion de relation incestueuse ne dépend pas de l’âge des deux personnes ayant une relation sexuelle. Un frère et une sœur qui ont une relation sexuelle à 25 et 24 ans ans sont tout autant dans l’inceste que s’ils ont cette relation à 17 et 16 ans. Or le Parlement semble avoir limité l’extension de la notion au cas de victime mineure.
Cela voudrait dire, pour reprendre notre exemple, que la relation sexuelle entre le concubin de la tante et une mineure (nièce de cette tante) âgée de 17 ans est incestueuse au sens de la nouvelle loi, alors que la relation sexuelle entre cet homme et la même jeune femme âgée de 18 ans n’est plus incestueuse ?
Faut-il comprendre que la notion d’autorité de fait étant privilégiée, le Parlement a considéré que la jeune fille majeure n’étant plus sous l’autorité des membres de sa famille, l’extension de la notion ne s’applique plus ?
Maintenant arrêtons nous sur une autre modification de la loi, autour de la notion de contrainte, modification qui apparaît comme la raison d’être principale de ce nouveau texte puisque les parlementaires ont écrit que leur objectif premier est « l’insertion de la notion d’inceste dans le code pénal comme élément constitutif des infractions de viol et d’agression sexuelle ».
La loi, depuis longtemps, qualifie de viol « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise » (art. 222.23 du code pénal) Autrement dit, ce qui caractérise le viol c’est l’absence de consentement de la victime, qui a incité l’agresseur à la contraindre à une relation sexuelle non voulue. Les notions de « violence, contrainte, menace ou surprise », très vastes, nous permettent déjà d’appréhender toutes les situations imaginables dans lesquelles une femme a subi une relation sexuelle non souhaitée, y compris quand l’agresseur n’a exercé aucune violence physique.
C’est par exemple le cas quand un homme profite de l’ignorance de la sexualité chez une très jeune fille, qui ne sait pas ce qu’elle doit faire, pour avoir avec elle une relation sexuelle dont elle ne comprend pas le sens.
C’est pourquoi les juridictions françaises admettent que « l’état de contrainte ou de surprise résulte du très jeune âge des enfants qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés » (cour de cassation 7 décembre 2005). Les parlementaires ont ajouté un nouvel article (222-22-1) pour préciser que :
« La contrainte prévue par le premier alinéa de l’article 222-22 peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ».
Sur le premier point, cela n’ajoute rien ni au droit déjà en vigueur ni à l’analyse des cours d’assises. Les juridictions retenaient déjà tant la contrainte physique que la contrainte morale. Il en va de même de la contrainte pouvant découler de l’autorité exercée par l’agresseur sur la victime. La nouvelle loi suggère de considérer que la contrainte peut résulter de la différence d’âge entre victime et agresseur. Mais même si cette précision n’est pas textuellement dans la loi, la différence d’âge pouvait être un élément d’appréciation parmi d’autres, étant précisé que ce ne peut jamais être le seul pour admettre la contrainte.
En effet, ce n’est pas parce qu’une victime aura par exemple 23 ans et son agresseur 48 ans que, en l’absence de violences, il suffira à la première de verser au dossier deux actes d’Etat civil mettant en avant une différence d’âge pour prouver qu’elle n’a pas voulu la relation sexuelle avec celui qu’elle désigne comme un agresseur. Sur ce point l’indication apportée par la nouvelle loi ne vas sans doute pas modifier les analyses des juridictions pénales.
Enfin, la nouvelle loi modifie la rédaction de la circonstance aggravante de lien familial qui fait passer la peine encourue de 15 à 20 ans : De
« Lorsqu’il est commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou par toute autre personne ayant autorité sur la victime », on passe à
« Lorsqu’il est commis par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait » (5).
Cela ne change rien à la situation actuelle car sous le terme « autorité », les tribunaux et les cour d’assises retenaient déjà l’autorité de fait autant que l’autorité de droit.
Il y était écrit que « un mineur ne peut être consentant à un acte sexuel avec un membre de sa famille », que « le climat incestueux rend en effet caduque toute réflexion en terme de violence, menace, contrainte, ou surprise. Ici, la question du consentement ne peut donc être posée », et en conséquence que « tout acte de pénétration sexuelle incestueux, de quelque nature qu’il soit, est un viol ».
Nous avons échappé de peu à une monstruosité juridique.
En effet, et pour faire simple, puisque le viol se caractérise par l’absence de consentement, il est aberrant de considérer que cette absence de consentement découle inéluctablement du lien de parenté entre deux personnes ayant une relation sexuelle. Pourtant, une nièce de 17 ans et son oncle de 25 ans peuvent vouloir autant l’un que l’autre une relation sexuelle, même qualifiable d’incestueuse.
Ce serait une rupture totale dans notre droit pénal que de considérer que l’on peut envoyer des années en prison un homme qui n’a pas su refuser une relation sexuelle voulue par une jeune fille presque majeure.
Et pour échapper aux poursuites, cet homme devrait prouver que la jeune fille était bien consentante. Comment ? En lui faisant signer un document écrit avant l’acte sexuel ?
Quand la morale et le droit se télescopent et que l’on veut à tout prix privilégier la première, les résultats sont parfois étonnants….
On reste toujours un peu perplexe devant ce genre de loi.
Car au final, pour ce qui concerne les contours et la répression de l’inceste (6), elle ne change quasiment rien aux règles applicables jusqu’à présent.
La définition nouvelle de l’inceste ne remet pas en cause la qualification pénale du viol ni ses circonstances aggravantes, certaines relations incestueuses n’étant pas prises en compte.
Les peines encourues restent les mêmes.
Les jeunes filles ou femmes victimes savaient déjà parfaitement bien que quand leur agresseur est un père ou un oncle, il s’agit d’une relation incestueuse, et elles savaient déjà expliquer au moment du procès combien il est psychologiquement dévastateur d’être agressé par celui en qui elles avaient mis une certaine confiance et sur qui elles pensaient pouvoir compter.
Alors beaucoup de bruit – et un peu de n’importe quoi – pour pas grand chose ?
2. Qu’il y ait une seule de ces deux circonstances aggravantes, ou les deux, le maximum de la peine encourue est le même.
3. Constitue aussi une circonstance aggravante, dans le même article et avec le même maximum de peine, le fait que l’auteur du viol soit » une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ». Par exemple un enseignant, un moniteur de colonie de vacances etc..
4. Pour plus d’informations sur le cheminement parlementaire, voir ici.
5. Ces modifications qui valent pour le viol s’appliquent de la même façon aux aures agressions sexuelles.
6. La loi contient d’autres dispositions relatives à la prévention des agressions sexuelles.
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