Dans la discussion générale,la parole est à M. Michel Vaxès.
M. Michel Vaxès – GDR Gauche Démocrate et Républicaine
Député de la 13ème circonscription des Bouches-du-Rhône.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, chers collègues,
lors de l’examen en première lecture de cette proposition de loi, nous avions dit combien il était essentiel, sur un sujet qui touche à l’innommable, l’inceste, de veiller à ce que l’émotion ne prenne pas le pas sur la raison. Nous avions ainsi rappelé que, si notre droit pénal ignore la qualification d’inceste – tout comme d’ailleurs le droit civil, qui ne le connaît que par les empêchements à mariage –, il le sanctionne néanmoins spécifiquement.
Dès lors que le texte qui nous était présenté se proposait simplement d’inscrire symboliquement l’inceste dans le code pénal, afin de l’identifier et de l’isoler comme tel dans notre droit, nous nous étions interrogés sur l’apport d’une telle disposition pour les victimes de viol, d’agression sexuelle ou d’atteinte sexuelle à caractère incestueux. Nous posions cette question sans provocation aucune, car il nous semblait indispensable, dans le souci d’une bonne construction juridique, de ne pas aboutir au simple affichage de notre répugnance instinctive à l’égard de l’inceste.
Nous avons entendu les arguments selon lesquels il est important pour les victimes de pouvoir nommer l’acte subi. Cependant, et nous avions insisté sur ce point, en visant à qualifier juridiquement l’inceste, cette proposition de loi risquait d’engendrer des inégalités de traitement entre les membres d’une même famille ou entre les mineurs victimes.
Pour illustrer ce point, j’avais pris deux exemples, que je me permets de rappeler car la question se pose toujours avec la même acuité en deuxième lecture. Le premier tenait à la distinction faite entre une adolescente mineure de dix-sept ans et une majeure de dix-huit ans, toutes deux victimes d’un père incestueux. Dans les deux cas, il s’agit d’un inceste.
Pourtant, en vertu de ce texte, les faits seraient qualifiés d’inceste pour la première et pas pour la seconde.
Si nous sommes dans l’importance du « dit », je ne comprends pas pourquoi l’inceste serait nommé par notre droit pénal dans un cas et pas dans l’autre. Mme la rapporteure m’avait alors répondu qu’il n’y avait pas là matière à discussion. Précisément si, puisque l’intérêt essentiel de cette proposition de loi serait à rechercher dans l’ordre du symbole.
Or, sa définition de l’inceste est totalement déformée, puisqu’elle se réduit aux actes subis par des mineurs.
J’avais ensuite souligné la distinction qui serait faite entre un mineur victime d’une personne proche, voire très proche, de l’entourage familial, investie de la confiance et de l’affection de l’enfant, et un mineur victime d’un membre de la famille qu’il ne connaît que très peu ou pas du tout. Pourquoi, dans le premier cas, serait-il, au plan juridique, « simplement » victime d’une agression sexuelle, et non d’un inceste ? Pensez-vous vraiment que la première agression est moins traumatisante, moins incestueuse que la seconde ? Cette hiérarchisation de la douleur, de la souffrance et de sa reconnaissance est difficilement concevable.
Dans bien des cas, en effet, les conséquences psychologiques d’un viol ou d’une agression sexuelle sur mineur peuvent être tout aussi dramatiques que dans les cas ainsi juridiquement qualifiés d’incestueux. La dimension sociale de l’inceste ne méritait pas d’être ainsi ignorée. Comme de nombreux professionnels, nous devrions tous, ici, avoir la conviction que le crime d’inceste n’est pas seulement l’abus sexuel commis par une personne de la même famille, mais qu’il doit aussi désigner l’ensemble des agressions sexuelles perpétrées sur un enfant par des adultes qui, sous quelle que forme que ce soit, auraient autorité sur lui. La limitation du crime d’inceste à la famille ignore, en effet, l’état de complète dépendance de l’enfant vis-à-vis des proximités affectives que ses propres parents ont créées autour de lui et dont ils ont façonné les frontières.
Au reste, la volonté d’élaborer à tout prix une définition de l’inceste s’exposait nécessairement aux critiques. Pourquoi, par exemple, avoir omis de mentionner les cousins ? La nouvelle rédaction proposée par le Sénat corrige cet oubli, mais elle n’empêche pas de créer des incohérences, voire des absurdités.
Ainsi seront concernés par la définition proposée les actes commis par des personnes – beau-père, belle-mère, beau-frère – qui n’ont pas avec la victime un lien de parenté interdisant le mariage. Sera donc qualifiée d’incestueuse, puisqu’elle sera nécessairement contrainte, la relation entre un homme et sa belle-fille de dix-sept ans et demi. Pourtant, six mois plus tard, il pourra vivre avec elle, voire l’épouser, en toute légalité.
C’est la preuve qu’il est pour le moins imprudent de prétendre donner en quelques mots, forcément réducteurs, une définition juridique de l’inceste.
Les définitions successives de l’acte incestueux proposées par Mme la rapporteure, notre assemblée, le Sénat, puis le Gouvernement, suffisent à prouver l’embarras de celui qui tente de donner une définition juridique cohérente.
Je persiste donc dans mon questionnement : n’est-il pas permis de se demander si nos codes civil et pénal n’ont pas eu raison de ne pas parler de l’inceste ?
Comme le dit très justement l’Association de thérapie familiale systémique, « la notion d’inceste est une notion qui appartient au vocabulaire des sciences humaines et qui ne peut passer sans dommage dans le vocabulaire juridique. L’inceste est un “tabou” d’ordre moral. Le ramener à un simple interdit légal revient à en diminuer considérablement la portée. »
Le tabou de l’inceste est tel qu’il se situe à un niveau supérieur à la loi, laquelle réprime déjà clairement les actes incestueux sur mineurs dans le code pénal. Quant à La Voix de l’enfant, association fédérative pour l’aide à l’enfance en détresse ayant pour but l’écoute et la défense de tout enfant en détresse quel qu’il soit et où qu’il soit, elle n’est pas non plus favorable à la proposition de loi. Cette association reconnue pour son sérieux et son travail auprès des enfants estime en effet que « le droit protège déjà les victimes et réprime sévèrement l’inceste par la qualification de circonstances aggravantes. Il apparaît donc que l’insertion de ces articles dans le code pénal est superfétatoire. »
Cela étant, et au-delà de l’inscription de l’inceste dans le code pénal, les agressions sexuelles sur mineurs sont dramatiques et leurs conséquences souvent irrémédiables. C’est pourquoi il nous faut non seulement les sanctionner, mais aussi et surtout les prévenir et, lorsqu’elles se sont, hélas, produites, bien traiter les troubles qu’elles ont générés. C’est sur ce point que nous devons concentrer tous nos efforts.
Notre rapporteure avait cette ambition, mais elle n’a pu échapper au couperet fatal de l’article 40 : le volet sur la prévention et l’accompagnement des victimes est désormais réduit à la portion congrue. Compte tenu de la faiblesse des moyens que le Gouvernement est prêt à mobiliser pour la prévention de l’inceste et la prise en charge des victimes, cette proposition de loi ne peut apparaître que comme une pieuse déclaration d’intention. Ce sentiment est confirmé par l’étiolement des moyens humains et financiers mis à la disposition de l’ensemble des professions médicales, scolaires, sociales et de justice et par le refus de leur accorder les moyens humains nécessaires à l’application des lois existantes.
Je confirme donc l’appréciation que nous avions portée sur ce texte en première lecture : il n’apporte rien de bien convaincant dans la lutte contre l’inceste.
C’est pourquoi nous nous abstiendrons de nouveau.
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