le monde du 22/02/05
Le Bureau de vérification de la publicité affirme qu’il avait émis un avis négatif sur sa diffusion.
Dans l’encart publicitaire, le film plastique rose bonbon, bardé d’annonces accrocheuses, aurait pu contenir un jouet. Il n’en est rien. L’intérieur du paquet renferme une langue, incongrue : « la vraie langue de papa », lit-on sur l’emballage, avec, dans un coin, cette petite note : « 72 % des infractions sexuelles sont perpétrées dans le cercle familial.
Diffusée dans la presse depuis deux semaines, la publicité lancée par l’Association internationale des victimes de l’inceste (AIVI) suscite la colère et l’indignation d’autres mouvements qui luttent contre le fléau, mais aussi l’incompréhension du grand public. Deux autres visuels évoquent « la main baladeuse de tonton » et « le doigt tripoteur du frangin ».
Le Monde a publié l’un de ces encarts dans son édition du 11 février, et a reçu en retour un important courrier des lecteurs (Le Monde daté 20 et 21 février).
Le magazine pour adolescents Actu a publié les trois visuels le 16 février, en expliquant la campagne provocante de l’AIVI dans un article.
D’après l’agence de publicité V, qui a créé gratuitement les images, la diffusion est prévue dans d’autres titres grand public. « Nous avons voulu choquer pour médiatiser le problème de l’inceste », explique Hugues Pinguet, le directeur artistique de la campagne.
La présidente de l’AIVI, Isabelle Aubry, assure l’avoir soumise à des enfants : « Ils n’étaient pas choqués et ils comprenaient le message. Ce n’est pas grave que la campagne dégoûte des adultes si elle permet de sauver des enfants. »
L’objectif, au départ, n’était pas seulement de les diffuser dans la presse, mais aussi de les afficher sur de grands panneaux urbains.
Mais, en décembre 2004, le Bureau de vérification de la publicité (BVP) a émis un avis négatif sur la campagne d’affichage : « Nous ne voulons pas que des parents aient à expliquer ces images à leurs enfants à un moment où ils n’en ont pas envie. Nous ne voulons pas non plus que ce genre de publicité se retrouve coincée entre une réclame de yaourt et une autre de lingerie », explique Joseph Besnaïnou, le directeur général de l’organisme. « Notre éthique est d’éviter de choquer les publics les plus fragiles. Or les victimes d’inceste seraient profondément bouleversées par une telle campagne. »
Joseph Besnaïnou affirme avoir émis un avis négatif sur la diffusion dans la presse à la mi-janvier. Il accuse les journaux qui sont passés outre d' »irresponsabilité ».
De son côté, l’AIVI affirme que l’avis négatif ne concernait que l’affichage et défend sa volonté de bousculer les consciences au moyen d’images chocs. La présidente de l’association, elle-même ancienne victime, se bat pour médiatiser la question de l’inceste : « Ces images sont peut-être choquantes, mais elles le sont toujours moins qu’un viol d’enfant. »
« Ce n’est pas parce qu’on est victime qu’on a raison, rétorque Annie Gaudière, directrice générale de l’organisation Allô enfance maltraitée (le 119). Ces visuels divulguent un message pervers qui demande trop de gymnastique intellectuelle pour être compris. »
Une bonne campagne contre l’inceste devrait, selon elle, « montrer aux parents les limites de l’intimité de l’enfant, en expliquant par exemple qu’il faut fermer la porte de la salle de bains pendant la douche ».
Le vice-président de l’association Enfance et partage, Christian Gautier, craint que ces visuels provoquent « un deuxième traumatisme pour un enfant victime ».
Une personne qui a subi un inceste éprouve toujours d’énormes difficultés à mettre des mots sur son vécu, et « la vue de ces encarts publicitaires pourrait bloquer sa capacité à communiquer ».
L’agence V avait proposé des visuels similaires à Enfance et partage, qui avait décliné l’offre.
Annie Pizon, coordinatrice à SOS-Inceste pour revivre, juge la campagne contre-productive. Le dégoût détourne le public du problème, et les images chocs empêchent la libération de la parole des victimes. « C’est dans l’intimité et dans la confidentialité qu’il faut lutter contre l’inceste, pas en faisant du battage médiatique ! » Le risque est aussi que de jeunes enfants tombent par hasard sur les encarts diffusés dans la presse.
D’après Patricia de Almeida, psychologue et écoutante bénévole à SOS-Inceste pour revivre, ces visuels peuvent provoquer un rejet de certaines parties du corps, voire une phobie des gestes affectifs des parents. « Ces images sont très réductrices de la problématique de l’inceste, et elles salissent les notions de sexualité et de sensualité. »
Sur le site Internet de l’AIVI, on peut lire, à propos des visuels :« S’ils suscitent une réaction forte, ou une simple réaction de dégoût, notre but est atteint. » Sur ce point, la mission semble réussie.
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