La victime dans le procès pénal par Michel Huyette

24 juin 2011
Le titre de cet article est autre chose que ce qu’il semble être. En effet, c’est aussi le sujet de droit pénal distribué le 23 juin 2011 aux candidats à l’admission à l’école nationale de la magistrature (ENM, son site).
Les organisateurs se doutaient sans doute, en choisissant ce sujet, qu’ils allaient plonger les candidats au cœur de l’actualité judiciaire, et, plus largement, au cœur d’un débat concernant toute la société française.
La veille de l’épreuve, nous nous interrogions ici même sur le viol, les incertitudes judiciaires et la motivation des décisions des cours d’assises (lire ici). Quelques jours avant, nous réfléchissions sur la possibilité offerte aux parties civiles (le mot « victime » ne devrait être en principe utilisé qu’une fois l’infraction reconnue par une juridiction) d’interjeter appel des décisions d’acquittement (lire ici). Et juste avant nous étions en plein débat sur la présomption d’innocence, à laquelle certains veulent opposer une présomption de véracité des accusations de certaines victimes, notamment des femmes victimes de viols (lire ici).
Et voilà que le lendemain de l’épreuve, un accusé pour viol, condamné il y a quelques années à une longue peine de prison et qui bénéficie d’un troisième procès après la décision de la commission de révision des condamnation pénales est finalement acquitté, la « victime » ayant affirmé après le procès en appel avoir menti en le désignant comme son violeur.
Pour lire le billet, cliquez sur le logo de Paroles de Juges

Outreau : que disent leurs souffrances ? par Jacques Cuvillier

25 mai 2011
par Jacques Cuvillier, Retraité de l’enseignement supérieur

Je suis innocent ! Mais comment le faire croire ? À la racine du mot, le latin nocere signifie nuire. L’innocent serait donc celui qui n’a pas nui. Vaste prétention. D’une manière plus restreinte, on dira d’une personne qu’elle est innocente vis-à-vis des faits qui lui sont reprochés. Lorsqu’il y a litige, ce sont les observations et les déductions qui peuvent éclairer la situation.

Mais que vient faire ici la souffrance ? À quel point interfère-t-elle avec le sentiment qui nous porte à croire en l’innocence d’une personne qui prétend l’être ?
Aucun en toute logique, même si la vue de la souffrance nous incite à la compassion. Il n’est pas de raison d’absoudre celui ou celle envers qui l’on en éprouve. On pourrait toutefois expliquer cette tendance par notre culture chrétienne imprégnée de cette notion qui fait coexister souffrance et innocence. Le Christ pour commencer — victime sainte et sans tâche — qui renvoie aux rites du judaïsme, où l’animal « élevé » en holocauste devait ne présenter aucun défaut physique. Souffrance et de l’innocence concernent aussi l’humain : la fête des « saints innocents » commémore le massacre des jeunes enfants de Bethléem. Et combien de noms le calendrier ne contient-il pas en souvenir des saints martyrs qui ont perdu la vie du fait de leur foi, dans des conditions soigneusement relatées afin que l’atrocité de la souffrance soit le gage de leur sainteté ?
Dans cette optique, c’est par la souffrance subie, au besoin même par celle que le pénitent s’inflige volontairement, que nos fautes seraient en définitive effacées, expiées.
Prouver sa souffrance, surtout injustement subie, serait donc une façon de montrer son innocence : « Voyez comme j’ai souffert ! Pouvez-vous encore douter ? »
Mais on peut aussi voir une autre signification. Un être qui a beaucoup souffert physiquement et moralement du fait de ses semblables ne peut correctement survivre si la société ne le rétablit pas dans son honneur. La question lancinante qui reviendra sans cesse à son esprit sera toujours celle-ci : « vous tous, de cette société qui m’entoure, condamnez-vous ce qui m’a été fait ? »
Si la réponse est en substance « non, on s’en moque » il est clair que la société se constitue comme une faction hostile dans laquelle il n’aura pas sa place. Comment pourra-t-il alors se concevoir comme l’un de ses membres, qui contribuera à son fonctionnement, qui saura en accepter les règles ?
Si la réponse est clairement « ce qui t’a été fait n’est pas normal et nous le réprouvons avec force », alors la reconstruction de l’être social est possible. À condition que les fautifs soient désignés et traités comme tels sans ambiguïté.
Dans les récents développements médiatiques de l’affaire d’Outreau, la souffrance s’affiche avec insistance :
La présentation de la vidéo « présumé coupable », d’autres séquences facilement disponibles sur le net, et tout dernièrement l’émission Zone interdite avec Karine Duchochois, reprennent l’idée selon laquelle la justice aurait complètement failli et broyé la vie de personnes mises en cause et exhibent de la souffrance des acquittés qui veulent maintenant consolider leur statut d’innocents.
La courte vidéo de Chérif Delay — victime parmi les douze enfants reconnus victimes dans cette affaire — préfigure le film de Serge Garde à leur sujet. Son livre bouleversant « je suis debout » aussi : accusé de rien, il veut dire son vécu et se reconstruire.
Comment interpréter leur message ? En quoi se distinguent-ils ?
Une différence saute aux yeux, en particulier des yeux des personnes qui connaissent bien la psychologie des victimes : Chérif ne prétend pas à son innocence, mais à sa culpabilité. Culpabilité de n’avoir pas parlé plus tôt, de ne pas avoir su protéger les autres enfants, de n’avoir pas résisté de ses quinze ans à l’écrasante charge lors du procès. Ce sentiment est caractéristique d’une authentique position de victime qui tourne d’abord son ressenti contre elle-même.
Autre différence tout aussi visible : Chérif est réfractaire à la pitié qui lui est insupportable, qui le fait passer dans la zone basse du regard des autres. Une bonne raison sans doute de dire « je suis debout » pour retourner dans la sphère de la relation équitable.
À ce témoignage qui bien que terrible ne demande que la reconnaissance de la vérité, sans prétendre à l’innocence, sans réclamer de compassion, s’oppose ceux des acquittés qui vont manifestement en sens contraire.
Voilà qui ne permet sans doute pas de considérer les témoignages de la même façon.
Pour lire l’article, cliquez sur le logo du Monde
____________________
D’autres billets de Jacques Cuvillier
Qui a peur des enfants d’Outreau ?
Outreau – Plus que de poursuites, Chérif Delay a besoin de soutien
Affaire d’Outreau : le contradictoire enfin !
Quelques réflexions sur l’acquittement
_____________________
Autres billets sur les enfants d’Outreau
Outreau : Abus sexuel « argument fallacieux » comme un abus d’alcool, entre misogynie et enfants sataniques, dans le déni et l’ignorance
Outreau : Définition des négationnistes qui nient les viols par inceste transgénérationnels
5 mai 2011 : Ignorance des conséquences des viols par inceste transgénérationnels dans le Nouvel Observateur
Outreau : les enfants ont menti ! les nouveaux criminels
Justice : combien d’Outreau ? par Gilles Sainati
Outreau : la parole des enfants toujours en question par Maitre Rosenczveig
Qui a peur des enfants d’Outreau ? par Jacques Cuvillier dans le Monde

Igas : Le rapport qui embarrasse sur les enfants d’Outreau