J’ai écrit ce livre d’abord pour moi-même, pour tenter de me délivrer enfin de ce drame qui a joué un rôle si déterminant dans ma vie. Je suis une rescapée de la mort, j’avais besoin de laisser la petite fille en moi parler enfin. Mon texte est le cri désespéré de la petite fille.
…/…
Un après-midi, son père décide d’aller chercher une canne à pêche dans une cabane, au jardin, elle part avec lui.
Subitement, les mains de mon père commencèrent à explorer mon corps d’une manière tout à fait nouvelle pour moi. Honte, plaisir, angoisse et peur me serraient la poitrine. Mon père me dit : ne bouge pas. J’obéis comme une automate. Puis avec violence et coups de pied, je me dégageais de lui et courus jusqu’à l’épuisement dans le champ d’herbe coupée. Il y eut plusieurs scènes de ce genre ce même été. Mon père avait sur moi le terrible pouvoir de l’adulte sur l’enfant. J’avais beau me débattre, il était plus fort que moi.
Après ce récit de l’acte incestueux, Niki aborde dans cette lettre les questions qui se sont posées pour elle, questions que pose chaque enfant abusé. « Mon amour pour lui se transforma en mépris : il avait brisé en moi la confiance en l’être humain. » Pensait-il ainsi montrer son amour à Niki ? Croyait-il « honorer » sa fille? Voulait-il satisfaire son plaisir ? « Ce n’est pas simple », souligne-t-elle. En effet, il avait la possibilité de le trouver ailleurs, bien que l’adulte puisse éprouver une jouissance particulière avec un enfant (« over », écrit-elle, soit plus littéralement sur ou par-dessus un enfant).
…/…
Mon père est devenu objet de haine, déclare Niki. Le monde m’avait montré son hypocrisie : j’avais compris que tout ce qu’on m’enseignait était faux. Il fallait me reconstruire en dehors du contexte familial, au-delà de la société.
Tel est le dilemme : elle sentait qu’elle devrait ou pourrait le faire hors de sa famille, mais que signifierait cette rupture par rapport au lien familial ? Ce lien qui l’avait construite et avait fait d’elle une jeune fille charmante et jusqu’alors bien insérée dans la société ? Au-delà de la société ? Exilée ? C’est précisément la question à laquelle nous sommes confrontés avec les jeunes filles accueillies à la MAJB, mais « désinsérées » de leur milieu familial.
Puisque je n’étais pas encore parvenue à extérioriser ma rage, mon corps devint la cible de mon désir de vengeance.
…/…
L’agressivité qui était en moi commençait à sortir. Je me mis à faire passer la violence dans mon œuvre.
Elle n’échappera pas à un séjour en clinique psychiatrique. Peu après en être sortie, elle reçoit une lettre de son père, pris par le remords : « Tu te rappelles certainement que lorsque tu avais onze ans, j’ai essayé de faire de toi ma maîtresse ? » À ce moment-là, elle n’en avait plus souvenir : façon de se protéger contre une « vérité insupportable » comme elle semble l’affirmer? Seules les images d’un père élégant, séduisant les amies de sa mère, voire les bonnes, lui restaient en mémoire. Niki a pourtant connu la psychiatrie avant que son père ne fasse resurgir le souvenir, indice qu’il n’était, sans doute, pas assez bien enfoui.
__________
Autres billets sur Niki de Saint-Phalle
1/ Niki de Saint-Phalle : Mon secret
2/ Mon secret de Niki de Saint-Phalle réédité
4/ Autoportrait
5/ L’interdit
6/ Forme de pardon
7/ Les traces du viol dans l’œuvre de Niki de Saint-Phalle Par Rennie Yotova