Affaire Polanski : le témoignage de Samantha Geimer

Mardi 29 septembre 2009
Affaire Polanski :
le témoignage de Samantha Geimer, violée à 13 ans :
« Je n’ai pas de rancoeur envers lui »
Propos recueillis par le Los Angeles Times, traduits par Cyriel Martin

Samantha Geimer, l’adolescente avec laquelle Roman Polanski a eu des « relations sexuelles illégales » en 1977 – ce pour quoi il a été arrêté samedi en Suisse – est aujourd’hui une mère de famille de 45 ans. Elle a demandé à la justice américaine d’abandonner les poursuites contre le cinéaste pour que « ce chapitre se referme ». Le 23 février 2003, elle racontait son histoire au Los Angeles Times. lepoint.fr vous propose de retrouver les principaux extraits de son témoignage.

« J’ai rencontré Roman Polanski en 1977, quand j’avais 13 ans. J’étais en quatrième cette année-là, quand il a dit à ma mère qu’il voulait prendre des photos de moi pour une revue française. C’est ce qu’il a dit, mais en fait, après avoir pris des photos de moi dans la maison de Jack Nicholson à Mulholland Drive (Los Angeles, Californie), il a fait quelque chose d’un peu différent. Il m’a donné du champagne et du Quaalude (un puissant sédatif). Et il a abusé de moi. Ce n’était pas du sexe consenti, en aucune façon. J’ai dit non, de manière répétée, mais il ne voulait rien entendre. J’étais seule, et je ne savais pas quoi faire. J’avais peur et, avec le recul, j’avais la chair de poule (…) C’est dur de se souvenir exactement de tout ce qui s’est passé (…). »

« Quand je repense à tout ça, il ne fait aucun doute que ce qu’il a fait était horrible. C’était une chose horrible à faire à une petite fille. Mais c’était aussi il y a 26 ans (son témoignage remonte à 2003), et honnêtement, la publicité qui entoure cette affaire m’a tellement traumatisée que ce qu’il [Polanski] m’a fait me semble pâle en comparaison (…). Je n’ai pas de rancoeur envers lui, ni aucune sympathie non plus. C’est un étranger pour moi (…) Mon attitude surprend de nombreuses personnes. C’est parce qu’ils n’ont pas dû affronter tout cela. Ils ne savent pas tout ce que je sais (…). »

« Les gens ne savent pas avec quelle injustice j’ai été traitée par la presse. Je me suis sentie violée ! Les médias m’ont fait vivre un enfer, et j’essaie de mettre tout ça derrière moi. Aujourd’hui, je suis très heureuse dans ma vie. J’ai trois enfants et un mari. Je vis dans un endroit magnifique et j’aime mon travail. Que pourrais-je demander de plus ? Personne ne doit s’inquiéter pour moi. La seule chose qui m’inquiète, c’est que ce qui m’est arrivé en 1977 continue à arriver à des filles tous les jours. Mais si les gens s’intéressent à moi, c’est parce que M. Polanski est une célébrité. Je ne trouve pas ça juste. Il y a certainement d’autres personnes à qui cela pourrait vraiment servir. »

Judge the Movie, Not the Man Roman Polanski’s 25-year-old crimes should not damage his chances for an Oscar, his victim says.

By Samantha Geimer February 23, 2003
I met Roman Polanski in 1977, when I was 13 years old. I was in ninth grade that year, when he told my mother that he wanted to shoot pictures of me for a French magazine. That’s what he said, but instead, after shooting pictures of me at Jack Nicholson’s house on Mulholland Drive, he did something quite different. He gave me champagne and a piece of a Quaalude. And then he took advantage of me.

It was not consensual sex by any means. I said no, repeatedly, but he wouldn’t take no for an answer. I was alone and I didn’t know what to do. It was scary and, looking back, very creepy. Those may sound like kindergarten words, but that’s the way it feels to me. It was a very long time ago, and it is hard to remember exactly the way everything happened. But I’ve had to repeat the story so many times, I know it by heart.

We pressed charges, and he pleaded guilty. A plea bargain was agreed to by his lawyer, my lawyer and the district attorney, and it was approved by the judge. But to our amazement, at the last minute the judge went back on his word and refused to honor the deal.

Worried that he was going to have to spend 50 years in prison — rather than just time already served — Mr. Polanski fled the country. He’s never been back, and I haven’t seen him or spoken to him since.

Looking back, there can be no question that he did something awful. It was a terrible thing to do to a young girl. But it was also 25 years ago — 26 years next month. And, honestly, the publicity surrounding it was so traumatic that what he did to me seemed to pale in comparison.

Now that he’s been nominated for an Academy Award, it’s all being reopened. I’m being asked: Should he be given the award? Should he be rewarded for his behavior? Should he be allowed back into the United States after fleeing 25 years ago?

Here’s the way I feel about it: I don’t really have any hard feelings toward him, or any sympathy, either. He is a stranger to me.

But I believe that Mr. Polanski and his film should be honored according to the quality of the work. What he does for a living and how good he is at it have nothing to do with me or what he did to me. I don’t think it would be fair to take past events into consideration. I think that the academy members should vote for the movies they feel deserve it. Not for people they feel are popular.

And should he come back? I have to imagine he would rather not be a fugitive and be able to travel freely. Personally, I would like to see that happen. He never should have been put in the position that led him to flee. He should have received a sentence of time served 25 years ago, just as we all agreed. At that time, my lawyer, Lawrence Silver, wrote to the judge that the plea agreement should be accepted and that that guilty plea would be sufficient contrition to satisfy us. I have not changed my mind.

I know there is a price to pay for running. But who wouldn’t think about running when facing a 50-year sentence from a judge who was clearly more interested in his own reputation than a fair judgment or even the well-being of the victim?

If he could resolve his problems, I’d be happy. I hope that would mean I’d never have to talk about this again. Sometimes I feel like we both got a life sentence.

My attitude surprises many people. That’s because they didn’t go through it all; they don’t know everything that I know. People don’t understand that the judge went back on his word. They don’t know how unfairly we were all treated by the press. Talk about feeling violated! The media made that year a living hell, and I’ve been trying to put it behind me ever since.

Today, I am very happy with my life. I have three sons and a husband. I live in a beautiful place and I enjoy my work. What more could I ask for? No one needs to worry about me.

The one thing that bothers me is that what happened to me in 1977 continues to happen to girls every day, yet people are interested in me because Mr. Polanski is a celebrity. That just never seems right to me. It makes me feel guilty that this attention is directed at me, when there are certainly others out there who could really use it.

Copyright © 2009, The Los Angeles Times

Quelques mots sur l’affaire Polanski – Journal d’un avocat – 28/09/09

Prescription, vous avez dit prescription…? (chapitre I)

Par Sub lege libertas le Lundi 28 septembre 2009 à 18:05


Avant d’être au même diapason d’émotion que Frédéric Mitterrand et le Président Nicolas Sarkozy, selon ce ministre réagissant à l’arrestation de Roman Polanski, je me suis rappelé que toutes les semaines, je participais au jugement d’atteintes sexuelles sur mineurs et qu’il n’était pas si rare que les faits remontassent à plus d’une décennie, voire nous remissent en mémoire la France du Président Mitterrand, l’autre. Alors, sans émotion, remontons le cours du temps avec un petit cas pratique, toute ressemblance avec des personnages réels ou des faits ayant eu lieu n’étant pas fortuite.

Samantha est née le 28 février 1964. En mars 1977 elle a donc treize ans. Ses parents déposent alors plainte pour viol sur mineur de quinze ans, car elle leur dit avoir été ce mois-là droguée par un photographe né en 1933, qui l’a obligée dans cet état à avoir des relations sexuelles. Ses parents l’avait confiée à cet artiste de la chambre noire pour plusieurs séances, pour coucher sur papier argentique et mettre en lumière la beauté naissante de leur princesse. Une enquête de police commence. Le photographe est entendu, il reconnaît avoir couché avec la donzelle qu’il dit avoir pensée plus âgée et consentante. En septembre 1979, la procédure est clôturée et transmise au Parquet qui la classe sans suite.

Le Parquet reçoit ce jour un courrier de Samantha demandant que sa plainte soit reconsidérée. Elle est perturbée car elle croise de nouveau son agresseur devenu célèbre à ses yeux : il expose ses tirages dans le salon de coiffure chic où elle travaille. Elle “ne veut pas qu’un pédophile comme lui reste en liberté”. Sub lege libertas, votre procureur favori avec Gascogne, après un moment de rigolade nerveuse, s’interroge avec vous : est-ce prescrit ?

Trois éléments vont guider notre réflexion : la date des faits, la date de la majorité de la plaignante et la qualification possible de l’infraction. Les faits ont eu lieu en mars 1977. La qualification possible des faits est viols sur mineur de quinze ans par ascendant ou personne ayant autorité. La notion d’autorité sur la victime paraît de prime abord pouvoir être retenue puisque les parents confiait la mineure à l’artiste… La majorité de la plaignante intervient le 28 février 1982.

Le principe général de prescription criminelle est fixé par l’article 7 alinéa 1 du Code de procédure pénale qui à la date des faits est la version issue de la loi n°57-1426 du 31 décembre 1957, entrée en vigueur le 8 avril 1958, publiée au JORF [1] le 8 janvier 1958 . On y lit ceci :

En matière de crime, l’action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite.
S’il en a été effectué dans cet intervalle, elle ne se prescrit qu’après dix années révolues à compter du dernier acte. Il en est ainsi même à l’égard des personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte d’instruction ou de poursuite.

Donc dans notre cas, le dernier acte d’instruction ou de poursuite est le procès verbal de clôture et de transmission de la procédure au Parquet en septembre 1979. À compter de cette date, la prescription est donc acquise dix ans plus tard soit en septembre 1989. Mais, des règles spéciales de prescription pour les faits sexuels commis sur mineur ont été introduites par la loi du 10 juillet 1989.

L’article 7 du Code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi n°89-487 du 10 juillet 1989 publiée au JORF le 14 juillet 1989 contient désormais un alinéa 3 :

Lorsque la victime est mineure et que le crime a été commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne ayant autorité sur elle, le délai de prescription est réouvert ou court à nouveau à son profit, pour la même durée à partir de sa majorité.

La jurisprudence (classique) précise que cet alinéa ne s’applique qu’à des faits non encore prescrits lors de son entrée en vigueur le 14 juillet 1989. Donc dans notre cas, les faits étant prescrits en septembre 1989 soit après l’entrée en vigueur de ce nouvel alinéa, il s’applique : ainsi la prescription de dix ans se calcule à compter de la majorité de la plaignante et est donc acquise après le 28 février 1992. Bien sûr des lois depuis ont modifié encore cette règle, mais elles sont toute postérieures à la date à laquelle la prescription est acquise. Donc Sub lege libertas comme Gascogne peut s’exclamer avec Maître Kiejman, avocat d’un certain Roman Polanski qui croisa lui aussi en mars 1977 une Samantha qu’ “en France une affaire de ce type était prescrite au bout de 15 ans »[2] : 1977-1992.

Mais Sub lege libertas vient pour autant dire à Maître Kiejman que l’affirmation très générale “une affaire de ce type” est source de confusion. D’abord, car tout le raisonnement précédent ne tient que si une action judiciaire (instruction) n’a pas été ouverte après la plainte, sinon la prescription ne courrait qu’à l’issue de dix années après le dernier acte.

Et si ce dernier acte avait été un renvoi aux assises suivi d’un arrêt de condamnation par contumace (à l’époque), l’accusé étant en fuite, la situation vécue avant hier soir par Roman Polanski dans les alpages suisses serait la même en France si l’arrêt de condamnation par contumace était intervenu après le 23 septembre 1989 (prescription de la peine criminelle de vingt ans qui ne commence à courir que cinq jours après le prononcé).

Ensuite, cher maître Kiejman, votre affirmation ne se vérifie pas toujours pour des faits de cette nature datant d’avant les eighties, si nous faisons varier quelques données. Ceci est une autre histoire que je vous conterai par la suite.