Roman Polanski arrêté, mobilisation du monde du cinéma

Par Noël Blandin, le lundi 28 septembre 2009.
Rattrapé par la Justice pour une ancienne histoire de moeurs, le cinéaste franco-polonais Roman Polanski a été arrêté samedi soir par la police suisse, alors qu’il se rendait au Festival du film de Zurich où il devait un prix pour l’ensemble de son oeuvre.

Roman Polanski, aujourd’hui âgé de 76 ans, était sous le coup d’un mandat d’arrêt international délivré en 1977 par les Etats-Unis pour avoir eu des relations sexuelles avec une adolescente de 13 ans, Samantha Geimer. Selon celle-ci, l’auteur de Rosemary’s Baby avait à l’époque voulu organiser une séance de photos avec elle chez l’acteur Jack Nicholson, à Hollywood Hills (Los Angeles). Dans la villa, il l’aurait photographié nue puis l’aurait ennivrée et droguée avant de la violer. Arrêté sur plainte des parents de la jeune fille, Roman Polanski, à l’époque âgé de 43 ans, avait récusé l’accusation de viol mais avait plaidé coupable de « relations sexuelles illégales » et passé 42 jours en prison avant d’être libéré sous caution. En 1978, craignant de devoir retourner sous les verrous pour plusieurs années à cause de cette sombre affaire, le cinéaste avait décidé de fuir les Etats-Unis. Il s’était installé en France où il a depuis poursuivi toute sa carrière et épousé l’actrice Emmanuelle Seignier. Samantha Geimer a quant à elle quitté Los Angeles dans les années ’80 pour se marier et élever trois enfants. Désireuse d’oublier l’affaire, elle a déposé trois demandes d’abandon des poursuites contre le cinéaste, déclarant qu’elle avait pu surmonter l’épreuve et guérir « de tous les maux que M. Polanski a pu m’infliger lorsque j’étais enfant ». La procédure n’a cependant jamais pu être annulée pour des raisons tenant au système juridique des Etats-Unis et le réalisateur n’a jamais remis les pieds sur le sol américain.
Le parquet de Los Angeles a déclenché la procédure d’arrestation la semaine dernière, après avoir eu vent du déplacement de Roman Polanski en Suisse. Selon le ministère de la Justice helvète, qui ne pouvait qu’éxecuter le mandat d’arrêt international dont il était saisi, le cinéaste a été appréhendé dès son arrivée à l’aéroport de Zurich. Il est actuellement en « détention provisoire en attente d’extradition ». Une éventuelle décision d’extradition pourra être contestée auprès du tribunal pénal fédéral, puis du Tribunal fédéral, mais si Genève décide de son extradition, il sera alors de nouveau confronté aux juges américains.
De nombreux cinéastes, comédiens, artistes et intellectuels — entre autres Costa-Gavras, Monica Bellucci, Bertrand Tavernier, Ettore Scola, Barbet Schroeder, Wong Kar-Wai, Fanny Ardant, Tony Gatlif, Jean-Jacques Beineix,… — dénoncent dans une pétition « le traquenard policier » que constitue cette arrestation pour une affaire vieille de plus de trente ans. « Roman Polanski est un citoyen français, un artiste de renommée internationale, désormais menacé d’être extradé. Cette extradition, si elle intervenait, serait lourde de conséquences et priverait le cinéaste de sa liberté », écrivent les signataires qui exigent « la remise en liberté immédiate de Roman Polanski ». La Pologne et La France, via notamment le ministre de la Culture François Mitterrand qui estime cette arrestation « absolument épouvantable », ont déclaré apporter leur soutien à Roman Polanski. Les deux pays appuient la demande de libération présentée aux autorités helvétiques par ses avocats, Me Temime et Me Kiejman.
Copyright © Noël Blandin / La République des Lettres, lundi 28 septembre 2009

Roman Polanski, le viol, la justice et nous par Clémentine Autain

Roman Polanski, le viol, la justice et nous (chronique France Culture)

Alors qu’un hommage devait lui être rendu au Festival du cinéma de Zurich, le grand cinéaste Roman Polanski vient d’être arrêté, samedi soir, à sa descente d’avion et placé en détention provisoire, « sous mandat d’arrêt américain ». A l’âge de 76 ans, l’artiste est rattrapé par son histoire. Il y a trente ans, il fut accusé aux Etats-Unis d’avoir eu des relations sexuelles avec une adolescente de 13 ans. Alors qu’elle venait pour une séance photo que Polanski réalisait pour un magazine, la jeune fille a déclaré avoir été victime de viol et droguée avant les faits. Polanski a alors plaidé coupable devant la justice mais en niant la contrainte – donc le viol – et le fait de l’avoir droguée. Il fut arrêté six semaines puis relâché avant la sentence. Mais Polanski n’a pas attendu le résultat du procès, qu’il estime inéquitable : il fuit alors les Etats-Unis, part pour Londres puis s’installe à Paris. Ces dernières années, le procureur du Comté de Los Angeles avait déjà fait plusieurs tentatives pour exécuter le mandat d’arrêt de 1978, quand Polanski voyageait dans des pays ayant passé un traité d’extradition avec les Etats-Unis. C’est le cas de la Suisse. Et les délits sexuels contre les mineurs sont imprescriptibles aux Etats-Unis et en Suisse. Alors c’est vrai qu’il est troublant que l’arrestation se soit produite au moment de ce Festival de Zurich alors que Polanski possède un chalet en Suisse et y passe une bonne partie de ses vacances.
Mais j’avoue ressentir un certain malaise devant la manière dont est traité l’événement. Que des artistes, notamment ceux qui sont proches de Polanski, clament à corps et à cris qu’il doit être relâché me paraît logique et légitime. Que les Français qui l’aiment soient stupéfaits, en colère et émus, je le comprends tout autant. En revanche, le traitement médiatique épouse sans réserves la défense du cinéaste et banalise du coup le viol sur mineure : la victime, c’est Polanski. Les termes employés sont révélateurs : il est rarement question de viol mais « d’affaire de mœurs », « d’atteinte sexuelle ». Je ne sais évidemment pas ce qui s’est passé mais ce qui est en cause est suffisamment grave pour ne pas être balayé d’un revers de manche. Elle avait 13 ans, il en avait 43 : il est permis d’être sceptique devant l’hypothèse d’un consentement. Et là où je tombe de ma chaise, c’est quand le ministre français de la culture se croit en droit de juger.
Pour Frédéric Mitterrand, c’est – je cite – « une histoire ancienne, qui n’a pas vraiment de sens ». Si elle n’en a pas pour le ministre, elle en a en tout cas pour la justice car, des deux côtés de l’Atlantique, le viol est un crime. Mais ces temps-ci, le pouvoir politique prend l’habitude de désigner par avance les coupables et les innocents… Le ministre s’en prend également à « l’Amérique qui fait peur », celle qui « montre ici son vrai visage ». Rien de moins.
Un Internaute commentait hier sur la toile : « le piratage, c’est mal ; le viol, c’est pas grave ». Ce qui est aussi choquant dans ce traitement médiatico-politique, c’est que la défense de Polanski se fait au nom de son talent et de sa notoriété. Frédéric Mitterrand le défend parce qu’il est un « cinéaste de dimension internationale ». La nouvelle directrice générale de l’UNESCO, Irina Bukova, a également déclaré – je cite : « je ne sais pas le détail mais c’est choquant (…) il s’agit d’une personnalité mondialement connue ». Jack Lang veut que « la liberté soit rendue à ce grand créateur européen ».
Les artistes célèbres devraient-ils donc échapper aux règles de droit valables pour le commun des mortels ? Nous ferions mieux de questionner les choix politiques sur lesquels reposent le droit et les fonctionnements internationaux de la justice. C’est là que devrait se situer le débat, pour réinterroger ou réaffirmer le bienfondé des règles de l’extradition et de la prescriptibilité des viols sur mineurs. Roman Polanski mérite sans doute un soutien plus musclé, mieux argumenté, qui ne masque pas la gravité des faits en cause.